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LA FOLLE
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LA FOLLE
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ElIlLi: IVEGRIA.
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TOULOUSE
IMPRIMERIE V» SENS ET P. SAVV
Rue Saint-Rome , 4,
1857
Allez , heureux du siècle , arllez l'aire les courses
Pendant que le plaisir puise l'or dans vos bourses ,
Si le pauvre à son tour y puise le denier ,
Allez , et vous serez bénis du peuple entier !
L'aumône loin de vous repoussera l'envie.
Alors que le destin vous a doré la vie ,
Faites que sous vos pas , où brillent tant de Ikuib ,
Jamais l'infortuné ne répande des pleurs,
Oh ! j'aime a rappeler au milieu de \05 fè(e/?
Que sous le poids du sort d'autres courbent leurs téte^ ,
Que d'autres , sur le seuil d'un somptueux festin ,
Souvent rongent leurs doigts et murmurent : j'ai iaim !
Au souille du malheur mon luth encore vibre j
Mais, puisque pour tout bien j'ai ma pauvretb libre,
Je voudrais qu'à ma voix , je voudrais qu'à mes chaula
Le riche sans compter donnât aux ifidigents.
Tant de grandeur ici , tant de luxe s'rtale !
La gaze et le damas , le rubis et l'opale ,
La moire et le satin , venus de tout côté ,
Composent de Luchon la parure d'été.
Or , devant ce grand monde éblouissant de fastf ,
Je regarde plus bas et je vois le contraste ;
Et je viens dire a ceux qui n'ont jamais souffert
Qu'arrosé de sueur le pain est bien amer.
?l*eut-être quelques-uns , séduits par ma parole ,
"Dans une main qui tremble iront glisser l'obole :
Et moi j'aurai des vers reçu le plus beau prix !
Les sous que vous donnez dans le ciel sont inscrits ,
-Noble dame ; on rachète une saison d'ivresse
En versant rrculcnient au rein de la détresse
Les miettes de la table ; et plus tard , lorsqu'un jour
Les glas feront pour vous gémir la vieille tour ,
L'auguste' Charité , s'ofTrant alors sans voiles ,
Vous prendra par la main à travers les étoiles ,
Et vous énumerant tous vos bienfaits passés
A Dieu vous conduira pour qu'ils vous soient pa\e^ !.
Et vous, ma saur, ma mère, objets de ma tendresse,
Vous que le ciel remplit d'une sainte allégresse ,
Qui , près du riche trône où la divinité
Des vastes univers règle l'activité ,
Unissant votre voix à la voix des archange? ,
Et célébrez son nom et chantez ses louanges .
Vous qui du roi David tenez la harpe d'or ,
Venez , venez aider mon poétique essor ;
Prêtez à mes accents , à défaut de génie , ■
De vos hymnes sacrés la suave harmonie ;
Oh ! jetez quelques ileurs sur ces rudes sentiers
Qui mènent a la gloire en meurtrissant les pieds !
— 19 —
Poui' gtikler ici-bas la marche du poète ,
Que du nimbe de feu qui pare votre tête ,
Comme dans le de?cil la nuée auv Ilébicux ,
Un subîimo rayon vienne luire à mes yeux I...
Allez , heureux du siècle , allez faire les courses î
D'un lleuvc magnifique allez goûter les sources ,
Allez du val du Lys voir le gouffre maudit ,
Voir le Chaos célèbre ou le loup se blottit ,
Voir Venasque , l'Hospice et ces immenses crêtes
Qu'anime seulement le cri des gypaètes. {*)
Ce fantôme tout blanc , c'est la Maladetta
Que la terre bouillante autrefois souleva :
Sur son antique front ceint de neiges splendides
L'if au branchage noir semble former les rides.
{') Le gypaùlc est le plus fort des aigles. La puissance de son vol
est si grande qu'après avoir enlevé un mouton , il le dépèce et le
mange dan^ les airs.
— 1î —
"Osi^rez-vous gravir les daiigercux sentiers
Do l'isard , de l'ours brun ; par-dessus les glaciers
Chasser le bouquetin aux cornes gigantesques ?
Sinon, du vieux Cazeaux les peintures grotesques (*;
Avec moins de danger offrent d'autres plaisirs.
Allez , d'émotions remplissez vos loisirs ;
Chez un hôte charmant , allez à Valentine
Voir l'ouvrier fabriquer les bijoux de la Chine :
Bysance , l'Etrurie à leurs vases fameux
^'e donnèrent jamais un tour plus gracieux.
Montez à Cazaril , où de Supevbaguc're
Gagnez en serpentant la gentille Chaumière . (**)
(*) Nous renvoyons nos lecteurs , pour les descriptions topograplii-
ques de ces villages et de ces courses, aux Bains et Courses de Lxichon,
par M. Nért^e Boubée. C'est l'ouvrage le plus clair , le plus complet ,
le plus sa\aiit et le plus méthodique qu'il soit possible de trouver en
v,c' g-^nre.
(**) La Chaumière a éld bâtie un peu au dessus de la Fontaine
d'Amour qui était auparavant le but de toutes les promenades. De
petits et charmants cabinets y sont offerts aux étrangers qui jouissent
de là d'un panorama superbe. La vallée de Ludion présente parfaite-
ment de ck'tte hauteur la configuration d'un ancien lac, Les baigneurs
vont déjeùniT et rire à la Chaumière , comme les Marseillais vont à la
B^serve se procurer le même plaisir. Nous ne parlons pas du quart-
d'Iieure'dc Habelais : les montagnards s'enlendfnt aussi bien que les
fils des Phocéens à se transformer en Gascons, dans cette circonstance
solci.nclle où les chiffres de la carte viennent troubler la di^çestion.
\/.\ Chaumière , posoe aux iliwr^ ombreux du .u /,:i
Comme un autel de fleurs où sautillent en rond
Les Amours et les Ris ! Partez , l'iieure est venuc^ ;
La gorge dont la Pique au loin borne la vue ,
Pleine encor de vapeurs qui brillent au soleil ,
Dans une mer de feu vous montre Castelvieil ;
A travers les rochers déjà le jeune pâtre
Pour paître ses troupeaux a déserté son âtre ;
Déjà , chassés du nid par les premiers rayons ,
Les oiseaux ont chanté leurs premières chansons •
Parlez gais et sans crainte : au haut des Pyrénées
Se succèdent toujours de si belles journées î
Sur le cours d'Etigny quel bruit ! quel mouvcmeii
De costumes divers quel mélange charmant !
D'y galopper défense ; et malgré les alcades
Passent en galoppant toutes les cavalcades.
Le fouet, sceptre burlesque à la main du dandy,
De claquements aigus perce les airs. On rit ,
- 13 —
On se prépare , on court , on appelle , on se p]'.c^^i'
Une bonne épigramme accueille la paresse ,
Des groupes animes sortent de toute part ;
Chacun brûle d'ouïr le signal du départ.
Comme la tige penche au souffle des automnes ,
Sur le cou du destrier penchent les amazones.
L'animal semble fier de l'aimable fardeau ;
Il pialTe , il écume, il hennit et bientôt ,
Sous la petite main qui le flatte et l'excite,
Aux regards indiscrets dérobera sa fuite.
Qu'une femme a de grâce et d'atlraits à mes yeux ,
Quand le coursier l'emporte et que les plis soyeux
De sa robe flottante, au loin , dans la poussière ..
Laissent sur son passage un sillon de lumière !
Enfin dans tous les sens les guides sont partis ,
Entraînant avec eux ces folâtres amis.
Alors que du Larboust la fertile vallée ,
Quand Luchon est dans l'ombre , encore est éclairée
Nous les verrons rentrer ; un bruit plus éclatant
De leur joyeux retour indiquera l'instant.
— Ti-
nt moi, pendant qu'ils voient les rocs, les précipioes,
IMoi , n'aurai-je donc pas une part des délices ?
Comme ces malheureux qui demandent au bain
Contre des maux cruels un remède certain ,
Passerai-je le jour à rêver sous l'ombrage ?
Rêver ! plaisir divin tu n'es plus de mon ûge !
Maintenant sous le coup de la réali'.é
Dois-je , puis-jc rêver? Ces beaux temps ont été,
Mais hélas ! ils ont fui comme le trait qu'on lance.
Qui me rendra , Seigneur , mes rêves de l'enfance
Qu'est devenu le toit qui couvrit mon berceau ?
0 soleil de Provence , ô ciel si pur , si chaud ;
Piivage sohtaire où j'égarais mon âme ,
Où mes pensers suivaient les pensers d'une femme ;
Délicieuses nuits où ma lyre vibrait ,
Où d'espoir , où d'amour mon être frémissait ,
Oj les étoiles "d'or, ut la mer infinie,
Et ses sables roulés , et sa triste harmonie
Dans le recueillenieut plongeaienl mon jeune cœur ;
0 pins de la Crosettc à la sauvage odeur ,
Souille ardent clu mistral , vagues capricieuses
Qu'effleure l'alcyon de ses ailes joyeuses ,
Ile dont les saints borJs portent un vieux, castol
Comme un géant debout sur l'abîme éternel ;
0 Cannes , mon pays , ma charmante patrie ,
Oasis d'orangers , temple de poésie ,
Eden où le Zéphyre avec Flore , où l'Amour ,
Pour rendre l'homme heureux ont placé leur séjour,
Qu'êtes-vous devenus ? E-t-il quelque poète
Qui puisse comme moi de la ro])e de fête
Dont partout la nature a paré votre sein
Et comprendre et chanter toute la grâce ? En vain
Les étrangers , d'un fils montrent l'enthousiasme.
Votre air toujours si doux guérira leur marasme ;
.Mais pour glorifier vos beautés , vos trésors ,
L'enfant de votre plage aura seul des accords.
Ah ! pleurez , pleurez-moi comme ici je vous pleure !
La mousse verte hélas ! doit couvrir à cette heure
Cette roche isolée où tant de fois le soir ,
Quand la lune brillait, je revenais m'asseoir !
— K) —
Sur son humble tombeau peut-être de ma mért
L'ombre vient réclamer mon tribut de prière !
Ah ! le pain de l'exil est bien noir et bien dur !
Non , non. A la prêtresse il laul un vase pur
Au rossignol il faut un tranquille bocage ,
Au nautonier il faut une mer sans orage :
De même pour voler aux régions des esprits,
Au barde il faut une âme exempte de soucis.
Que dcNenir alors ? Que faire ? J'ai ma lyre ,
J'en vais tirer des sons , je vais tâcher d'écrire
Au milieu du silence et loin de tout regard ,
L'histoire que m'a dite un ancien montagnard.
Ces lieux dont Sévigné prédisait la ruine
Et qui devaient passer comme le grand Racine
Ne sauraient procurer un si doux passe-temps.
— 17 —
Au Casino du Tir, les cors relcnlissants (*)
Éveillent à l'enlour Vecho de chaque cime ;
L'ombre du. Paladin sans doute se ranime
A ce son qui jadis aux monts Pyrénéens
De sa lutte annonçait U's eflbrts surhumains.
Laissons-y les chasseurs , sous un habile maître ,
Apprendre à mieux guider le plomb et le salpêtre
Et d'Irma dont la mort a coûté tant de pleurs ,
De cette pauvre Irma racontons les malheurs.
(*) Toutes les années de nouveaux centres de réunion se forment
à Luchon. Le Grand Casino ouvre le soir ses salles , son théâtre et ses
jardins ; durant le jour, dans un local conligu, le Musée Pyrénéen per-
met d'admirer toutes les curiosités de la chaîne réunies et classées dans
un ensemble agréable et intelligent. Non loin de là , le Casino du Tir
ne désemplit jamais : les messieurs et les dames qui ne sont pas allés en
courses s'exercent au pistolet et à la carabine; un salon splendide ,
percé de plusieurs fenêtres sur les quatre points cardinaux , servi par
le meilleur restaurateur de Toulouse, procure aux riches désœuvrés lu
plaisir de la table après le plaisir des armes. Le directeur , 31. Sapènc,
donne lui même des leçons d'escrime et de tir et se met à la disposi-
tion de ses hôtes nombreux avec une gracieuseté toute avenante. Aucun
récit ne peut donner une idée de l'animation cl du confortable de ces
magnifKjues élablissemcnls pendant la saison.
Z'Z.
L'âtre noirci brûlait clans l'auberge rustique ;
D'un flambeau résineux la lueur fantasli(iue
Jetait sur la muraille un mystérieux jour ,
Comme ceux de Rambrand ; attablés tout autour
D'une mense où trônait un broc de vin d'Espagne
Nous prêtions l'oreille aux conteurs de montagne
Au dehors , la tempête et sifflait et hurlait;
Sur un volet mal joint que la bise ébranlait ,
h\ \\\uw et Ii'S grêlons vrei>ilaient avec rago .
De démons , on vùl dit qu'une troupe sauvage
Gambadant , et sautant . cl criant dans les airs ,
Pour diriger sa course allumait des éclaivs ;
Kt la foudre , ce sombre et terrible murmure ,
Connue un va-^te soupir de toutj la nature ,
Comme un choc de soleils . comme les craquements
Des vieux monts ébranlés jusqu'en leurs fondements
Par des milliers d'ecbos mille fois répétée ,
Laissait de son fracas notr.- âme épouvantée.
C'est alors qu'une fable inspire à l'auditeur
Tn intérêt réel pour la moindre douleur ,
Qu'on croit au maléfice , au sorcier , au vam[>ire .
Que l'on prend pour des dieux les guerriers de l'Empire
Et qu'ici la légende au sourire enfantin
Rapporte le grand saut du pieux Aventin.
Nous étions attentifs , et dan- riunnble veillée
Nous trouvions le plaisir des salons de l'allée.
— 'Àli —
l,rs ;;iii<l<'^ nous (lisiiicnl li- hiMii |i;iM<)r:itii;i
Q(l(j r(i;il voildii soiaiiicl di; hi Miiliiili:ll:i.
Les chassiiir.s nKtonlaicnl leur ^^'loiicii c liitlc
Avec l'oins , (|ii:in(l j'iiivci' l;i l^iitn \r. iK-isériilc.
Na;i;n(''ro> , d'une ^'roll(! en expioriinl l'iihoKJ ,
I/un (i'enlrc eux est sui|)iis par la liélc (|ui sorl.
Kllc inarelie sers lui , deboul , Irnlc , irn|)assilil(' ;
Mlle ollVe le comltal , la liiilc csl iinpossihic ;
Il a laissé son ainie , il laiit donc acceplcr.
<Mi(d niunifnt, ! (|uc le ('(i>ui' alois doit palpiict' !
I,es voilà «-orps ,i coi'ps , coidondanl leuf haleine ,
Se serrant , se poussaid , se .«•oulmanl a prine ,
r.ointne elie/ li's ancien^ deux x)sli(|in's puissaids.
l/onrs î^ronflail cl grinçait de foitiiidahlcs dents ,
l/lH»nin>" se dctciidait «mi silence ; a la fa;.'e
Il ta<diaiL d'oppo^ei' l'adi'ose {\\. le coura;»e.
S. s forces redoidilaient eu laci' de la mort.
Mais le uionsli'c a la (in , d'un violeid ( tTort.
I.e reuNçrsc , cl lou> deu\ ronleid dans la poussière.
Crand Dieu ! du nionta;;nard est-ce l'iieiire deniitM'e ?
Sou ixui aii;^e veillait et prit |)itie. de lui.
D'autres lraqueur> cpars accoururent im \,v\\\[
Vingt fusils à la fois lâchèrent leur détente,
Et ranimai blessé , sur la terre sanglante
Se débattit , rugit et bientôt expira.
La trompe tout le soir dans le pays sonna ,
Pendant que la victime était , selon l'usage ,
Sur un char triomphal apportée au village.
Que de beaux faits ainsi passent inaperçus î
Par ces héros obscurs que de périls vaincus !
Chacun avait hvré sa part de souvenance.
Un vieillard seul encore observait le silence ,
Un de ces bonS' aïeuls dont l'imposant aspect
Commande aux jeunes gens les égards , le respect ,
Dont les cheveux tout blancs révèlent les années ,
Et que l'on trouve en nombre au sein des Pyrénées,
J'avais , à ce récit d'un combat dangereux ,
Vu dun dernier éclat briller ses faibles yeux.
Sans doute , avant que l'âge eût incliné sa tête y
Il avait su comme eux chasser le gypaète ,
— 25 —
Se battre avec les ours et prendre dans leurs nids
Les ignobles vautours par l'Afrique vomis.
Vers ce roi du fover se tourna l'auditoire :
— ((Vous, père, dont cent ans ont meublé la mémoire,
IS'allez-vous pas narrer céans à votre tour
Quelque ancienne aventure ?
— Aujourd'hui , c'est le jour,
Répondit le vieillard d'une voix lente et grave ,
Où le sort à mes vœux mit la première entrave ,
C'est le funeste jour où Tanière douleur
Pour la première fois a déchiré mon cœur.
A mon oreille aussi votre joie est légère.
Dieu vous préserve , enfants , d'un tel anniversaire !
Voyez le ciel : le ciel semble s'en souvenir.
3
— 2(i —
— O père , niioux que lui nous savons ooinpcitir.
Qiiaml l'étoile d'un mort au ciel n'a phn de llanime .
N'avons-nous pas toujoursdes pleurs poin- -a p;ui\ re ame ?
Dites-uous vos chagrins.
— Mes ehaarins sont bien lourds .
Enfants ; ils jetteraient le deuil sur vos discours.
— D'Irma serait-ce enoor la triste rcmembrance ?
Père , dites toujours , d.tes-nous sa souffrance.
L'étranger l'entendra ; peut-être l'étranger ,
Coiniaissant vos douleurs . sain-a les soulager.
— Votre désir , enfants , et me plaît et ma touche
Mais dois-je dans ce but ouvrir ici la bouche ?
— 27 —
Dois-je ici reiimcr les cendres du i)asse ?
Et ne craignez-vous p;i5 , quand vous in aurez laisse ,
De revoir en dormant l'image de la l'olie ?
— L'impie et le méchant ont une peur tViv» le
Cependant que le thym et le laurier bénits
Gardent noire sommsil au chevet de nos lils.
— Hé bien ! enfants , daignez écouler une liisl.oire
Bien touchante , bien simple et bien facile a croire.
Ma barbe sous l'acier tombait moins blanche alors ,
Caria Pique depuis a vu ses jolis bords
Trente fois s'émailler de douces violettes ;
Mais déjà je cédais la faulx et les serpettes
Aux paysans plus que moi lestes et vigoureux,
•l'ai connu cette Irma , nul ne la connut mieux.
Ah ! vous pouvez rêver de belles fiancées ,
Sous un berceau g;trni de lleurs tinti'clacee.- ,
— 28 —
Livrant leur sein de neige à vos brûlants transports ;
Vous pouvez du harem épuiser les trésors ;
Vous pouvez évoquer ces Nymphes , ces Naides
Qui jadis habitaient les flots de nos cascades ,
Ou ces êtres divins , qui souvent à vos yeux
Sur l'écharpe d'Iris semblent venir des cieux
Jamais , jamais , d'Irma vous n'obtiendrez la grâce.
Son pied sur le gazon ne laissait pas de trace ,
Tant elle était légère ; elle eût de Murillo
Elle seule inspiré le sublime tableau ;
Son œil limpide et grand était un jet de flamme ;
Son sourire exprimait la candeur de son âme ;
Son front avait toujours la pureté de l'air ;
E? ses cheveux ?.... je crois que le Gouffre d'Enfer,
A l'heure où les hiboux chantent dans les masures,
Devait être moins noir. Des plus riches parures
Son cou , ses blanches mains auraient doublé l'éclyt.
Aussi , le croirez- vous ? lorsque la jeune Irma ,
Durant les mois de bain , traversait les allées ,
Que de fois , en passant les dames échpsécs
Jetaient sur la pauvrette un envieux regard !
Personne mieux qu'Irma ne nouait ce foulard,
29
Qui de vos sœurs encor compose la coillurc ,
Personne ne portait la mantille de bure
Avec le même goût ; et chacun dans Luclion
Admirait, chérissait la fille de Raymon ;
Et Raymon était fier. Sans parents , sans famille
Il n'avait pour son cœur que l'amour de sa fille :
Elle était tout pour lui , sa gloire , son soutien ,
Sa consolation , son plus précieux bien.
Or il voyait sans crainte approcher la vieillesse.
Pour elle il avait tant amassé de richesse !
Comme un roi de Grenade il eût pavé le sol
De ces pesants doublons qu'apporte l'Espagnol ;
L'ardoise recouvrait ses courtaous innombrables; (*)
Les mules de Castille emplissaient sesétables ;
De valets , chaque aurore , un groupe adulateur
Saluait son réveil en lui disant : Seigneur !
De ses bois l'aigle seul voyait les deux lisières ;
Ses chars de fruits creusaient de profondes ornières ;
(*) Fciuiss datts les monts ordinairement rccouvcrlos de cliaiimc.
3.
— 30 —
Dans SCS champs ({u"oii metfait vingt jours à moissonner
Les pauvres bien longtemps trouvaient de quoi glaner;
El lorsque ses troupeaux de?eenJaient dans la plaine
Le mont qu'ils recouvraient frissonnait comme un chêne
Sur lequel a passé la rafale. Quel sort !
Quel beau sort ! direz-vous. Hélas ! Voyez la IMort
Approcher de son toit plus près que la Fortune ,;
Ses armes , ses limiers . voyez , tout l'importune ;
L'ombre d'un être cher semble suivre ses pns ;
Assis sous les cyprès il rêve le trépas ;
Dans toute la contrée , ou l'on aimait sa fille ,
Il prodigue ses biens , se fait une famille
Des mille malheureux qui bénissent son nom
Mais n'anticipons point.
Le modeste Baymon
Avait su conserver les mœurs de ses ancêtres.
Le vin de l'Hiberie , à ses repas champêtres ,
Dans une peau de bouc , procurait le plaisir ;
Les pommes , qu'au verger Irma courait choisir
Sur un lin qu'elle-même avait tile naguère?- ,
S'ajoutait au produit des chasses journalières ,
Et , comme chez Jacob , aux voyageurs perdu??
De l'hospitalité les soins étaient rendus.
Leurs habits n'avaient pas de superbe apparence ;
Rien ne les distinguait de leur ami d'enfance ,
Sinon qu'ils pouvaient mieux secourir le prochain
Encore cachaient- ils leur bienfaisante main.
Irma s'était formée aux brises des montagneS;
Ainsi que l'églantinc , et parmi ses compagnes
Elle marchait la reine en sagesse , en beauté ;
Vierge timide , à peine avait-elle compte
Seize printemps....
Jeunesse ! à Jeunesse ! ô bel âge
Qu'on regrette toujours, dont le brillant mirage
Dans le passe toujours resplendit à nos yeux ,
Jeunes.^e à qui sourit l'ange du haut des cieux ,
Jeunesse cfont la sève est un torrent de llammes
Allumé par l'amour pour consumer deux âmes j
Jeunesse qui se livre a tous les sentinieuls ,
Comme l'oiseau de mer se li\rc à tous les vents,
Sans calculer, j^ans voir , sans craindre les obstacles,
El qui de sa franchise espi-re des miracles !
t'est elle qui d'Irma détruisit le bonheur.
Pauvre enfant , elle crut aux mensoni^es du cœur.
Je vous ai dit combien alors leur exi>lence
Était tranquille ; au sein des fleurs qu'elle balance
L'haleine du zéphyr puise moins de parfums ;
Le chantre des forêts , loin des cris importuns ,
Fait entendre la nuit des notes moins joyeuses ;
L'onde de Bercugnas, sous les vertes yeuses.
Coule moins doucement ; et dans un ciel d'azur
De l'astre qui se couche un rayon est moins pur.
Sans doute c'était trop d'ivresse pour un père ;
Dieu refuse la paix et la joie à la terre ,
Connue l'ombre au désert ; tout finit par changer.
Qui donc jeta chez eux le trouble ? Un étranger.
— 33 —
Il est mort. Uespectons le repos de la tombe.
Mais sur les siens au moins que son crime retombe
Que le jour où Raymon mit la main dans sa main
Soit oublié , maudit ; et que sur leur chemin
Ceux qui le même jour entrèrent dans la vie ,
Puissent n'avoir foulé que la ronce et l'ortie ! » —
Il dit et s'arrêta pour essuyer son front.
Nous observâmes tous un silence profond.
^S2,
Le bon vioill;»rd ropril : — « il ost un tVoid rivii-i-
Ou li» soleil jamais ne brunit lo visage.
Le peuple qui l'habite , entouré par les eaux ,
Pour chaque mer du globe a construit des vaisseaux
Et, s'emparanl ainsi du trident de Neptune ,
A dans le monde entier poursuivi la Fortune :
Et depuis, la Fortune , aux quais de loua ses ports
4
— ;;8 —
Des pliB loiiiUiins pays débarque les trésors.
La , même sans pouvoir entamer leurs richesses ,
Des Lords font constamment de royales largesses ;
Mais sous un ciel brumeux ils naissent maladifs.
Aussi \crs nos climats ces pâles fugitifs ,
Avant qu'un givre épais ait blant^hi leurs tourelle»
Partent-ils tous les ans comme les hirondelles.
Vous les voyez ici , je les vis autrefois.
L'humanité toujours se plie aux mêmes lois.
Prêtez- moi maintenant une oreille attentive,
Vous tous, enfants ; car c'est de cette sombre rive
Que l'astre du malheur se leva pour Ray mon.
Trente ans déjà passés, sur le sable Breton
L'Océan , au milieu d'écumeuses épaves ,
De son immense sein où courent tous nos gaves
Vomit un de ces Lords. Il venait parmi nous,
Contre un précoce mal tenter un air plus doux.
Or , lorsque pour gravir nos vastes Pyrénées ,
De. Ravmon abordant les treilles fortunées ,
— o'J —
Il (leniauda le guide , un noir pressentiment .
Dans le cœur de Ray mon fit affluer le sang.
Telle la blanclie hermine aux bois pressent l'orage
Et cherche par instinct un asile sauvage.
Oui , mes enfants , un brave , un sensible étranger
Devait être du sort le fatal messager.
Il avait nom Edward. Son antique noblesse
D'un merveilleux éclat enlourail sa jeunesse ;
Sa prodigahté , ses taleats , fa douceur ,
De ceux qui l'approchaient soudain gagnaient le cœur j
Il était bel et grand ; et je crois qu'une femme
De lui pour être aimée aurait damné son ûmc.
Ce dût bien être ainsi , puisque la gente Irma
A son premier abord lui sourit et l'aima.
Un jeune homme , Bruno , depuis la tendre enfance
Recevait de Raymon une aimable assistance ;
La mort avait jadis isole son berceau ,
Quand Raymon se chargea de l'innocent fardeau ;
Celui-ci l'entourait de tous les soins d'un père ,
Et d'Irma l'orphelin semblait être le frère.
C'est donc lui que l'Anglais pour guide avait choisi.
— iO —
Ils parlent un malin. Vers le IMc du .Midi
Ils lancent le coursier au mors tout blanc d'écume ,
Et le coursier alors sur sa croupe qui fume
Du ménage emporta les Larves prolecteurs.
Telle est la vie. Un astre au ciel perd ses lueurs
Tour une simple nue aux vents abandonnée;
Sous une goutte impure une rose est fanée ,
Un caillou trouble seul l'onde des clairs ruisseaux ;
De même a nos plaisirs succéderont les maux
Parce qu'un inconnu traverse notre route.
Quels motifs pour le fuir ? L'avenir, plein de doute,
Kst un livre secret, où le regard humain
S'efforce vainement de lire le destin.
Je ne vous dii-ai pas, diiiant cette journée ,
Conmient des jeunes gens l'aficction est née.
Bruno , franc et joyeux , fut bien vite séduit
Par les charmes du Lord , franc , joyeux comme Im.
Le riche .\nglais jetait l'argent sur son passage ,
Et partout ils lrou\aieul un radieux \isi«ge.
_ il —
Or devant la nature au grandiose aspect.
Le naïf montagnard, rendu moins circonspect
Et comblant par le cœur les distances humaines ,
Eut bientôt confié ses projets et ses peines.
11 parla de l'arrêt qui le fit orphelin ,
Du bienfaiteur dont Dieu sans cesse ouvrait la m:*in
II lui parla d'Irma. Fallait-il davantage ?
Le soir , en retournant , de notre gai village
Ils n'avaient pas encor vu la fumée au loin ,
Et le Mylord déjà bridait d'être témoin
De tant de piété , de tant de modestie.
Irma de la maison , par hasard fut sortie ;
Mais ^ur son compagnon , au moment du repas ,
En éloges pompeux Bruno ne tarit pas.
Sans qu'ils pussent se voir ainsi trois jours passèrent
Et des lèvres du guide à chaque instant coulèrent,
Comme un poison subtil à du miel mélangé ,
Comme un feu de volcan par du lierre ombragé ,
Les louanges ... d'Amour trop redoutables armes !
De la fille des monts Edward rêvait les charmes ;
Et la fille des monts , dans un vague désir
Trouvait, san? le comprendre , un inconnu pl-^i^ir
i
Tisse virent enfin. La sainte Providence
Aurait-elle ici-lwsoinl et marque d'avance
Ceux qui doivent s'unir ? Une égale rougeur
Annonça que tous deux claient frappés au cœur.
V^ous dirai-je à présent comment avec mystère
Leur passion grandit ; comment loin de son père
La pauvre Irma , cédant aux élans naturels ,
Dans une coupe d'or buvait des sucs mortels;
Conmient ils ont goûté cette ivresse suprême
Daimer et d'être aime? Je l'ignore moi-même.
Souvent des plus beaux fruits cueillis dans le verger ,
Sur des pampres de vigne , au charmant étranger
Llle fit don ; souvent l'œillet et l'eglantinc
Pour lui vinrent remplir les pois de Valentinc , (*)
\*) Valenlinc est un jtetit hameau , dans les enviions île SaiiK-
daudens. C'est là que se irouv» la vaste et célèbre fabrique <le jtorcc-
liiiies de M.Fouque, dont les produits aux expositions universelles
diit figuré à côté des produits de Sèvres cl de la Bohème. On nous a
lerlifié qu'il part de Valentine des chargements considérables jiour
l'étranger d'où ils reviennent complètement nationalisés chinois. C'est
une des belles choics à voir dans les IN renées.
Et , près de son chevet mis avant son réveil ,
Embaumaient son tranquille et paisible sommeil ;
Souvent il eut sa part des produits de la chasse ;
Même , pour que U'ur loi pût laisser quelque trace ,
Au tronc d'un vieux, tilleul , fidèle gardien ,
Souvent elle grava son nom avec le sien.
Lui n'était pas ingrat : de mille prévenances
llsa\ait l'entourer; peines , marches , dépenses ,
Il ne regrettait rien ; et chaque nouveau jour.
Par (le nouveaux présents, augmentait leur amour.
Raymon, sur des hens qui se montraient .-aiisllin'j
Pouvait-il concevoir des sou[;çons et des craintes ?
Pouvait-il redouter ces innocents rapports ?
Oh ! non. Sa conscience ignora les remords.
Son fils d'adoption , qu'un caractère aimable
Avait toujours gardé de tout acte blâmable ,
N'était-il pas admis à partager leurs jeux ?
Et la neige bientôt , par l'autan iiirieux
*4
l'ortoe à gros llocoiis sur nots loils ([u'cllo aiïiiis.'^f ,
^"allait-cllc pas mettre un terme à leur lendre^!*(; ?
La saison s'avançait. De l'oublieux Edward
Jas feuilles en tombant annonçaient le dépari;
Pour la deu\it'me fois , depuis son arrivée ,
De l'astre de la nuit allait être athe\ée
la révolution ; et les tristes frimas
Chassaient nos visiteurs vers de plus cîiauds cl i mais.
Bien loin d'ici , dit-on , C.annes-la-Belle et Nice
D'un piititemps éternel leur olîreut le<lclice.
Il devait doue s'enfuir à son tour. Ni l'aymoji ,
ISi Bruno ne pou \ ait comprendre la raison
De ce retard. Tous deux croyaient qu'a leur vallœ
Par l'Amitié son ûme avait été gagnée ;
Et tous deux éprouvaient ce divin sentiment.
ïlélas ! c'était 1 amour , c'était un doux serment.
Irma l'aimait. Un noir Gitano de Sévile
Lui prédit qu'il auraif la vierge au sein nubile.
Comment se séparer alors ? comment partir ?
Comment la condamner a pleurer , à souffrir ?
Comment abandonner une fleur délicate
Dont le premier parfum vous ;illirc et \«:usllatle f
— j5 —
0 mes enfants , mallieur, malheur , si nous aimez
Des êtres dont le rang vous sépare à jamais !
Que , semblables plutôt à des tiges fauchées ,
Les fibres de vos cœurs soient toutes desséchées î
Or l'instant arriva. L'intrépide Rruno
N'avait plus qu'à mener Edward au lacd'Oo ,
Et des courses ainsi terminer la série.
Encor deux jours. D'Irma la sombre rêverie
Parut dès ce moment voiler un vif chagrin.
Pauvre ange ! Elle avait cru qu'elle serait sans (in ,
(À'tte félicité dont le ciel est avare.
Que de déceptions un rêve nous prépare I
Avant donc de mmiter a notre lac fameux.
Le Lord vint voir Irma. De la Pique tous deux
On les vit aborder la rive solitaire,
(l'était l'heure où l'aiguail brille dans la fougère ^
L'astre naissant ,, à peine, autour du frais Lu<^hon ,
— 40 —
D'une auiculo tlor couronnait chaiiuo mont,
Lo silence dos bois, si doux pour ceux qui s'aiment
Sur le tondre gazon que les Nymphes y sèment ,
Protégeait leurs aveux , leurs regrets , leurs soupirs.
I!s devisèrent là d'amour 5 et les zéphyrs,
Avec la feuille morte, au creux de la vallée
Emportaient les discours de l'amante éplorée.
Qui jamais entendit des propos !-i touchants ?
Leurs lèvres distillaient et le miel et l'encens.
Ecoutez. Trop de fois hélas ! dans sa folie
Elle les répéta, pour que je les oublie.
i
^If'o
Le jouiio hoiniii;' disait ; « Je pars oi je pars sfui
<' >fon Irma ; c'est rlcniaiii. L'érorco du tilleul
'( Reste de notre foi riuimble dépositaire.,.
'( Deux noms entrelacés ... quel contrat plus sincènï
u Tu viendras, n'est-ce pas ? t'isoler en ces lieux
« Ou nous nous ^adressons le dernier des adieux v
H II me semble te voir, à l'ombre de ces charmes,
u Aux larmes du matin join<lre tes saintes larmes ;
o
— :;(> —
a II me semble l'enlondre interroger l'oiseau ,
(« Demander si son aile, en rasant le coteau,
« De ton Edward chéri n'eflleura point la trace.
« Tiens , mon Irma , vois-tu ce nuage qui passe ?
« Comme un mantel de rois il est pourpre et brillant;
« Il est tout plein encor des feux de l'Orient ;
« Sans doute d'Italie il a longé "les plages :
« Eh bien ! quand tu verras de semblables nuages
« Pense à moi , car d'Edward ces rapides coursiers (*)
« T'apporteront aussi la pensée. A tes pieds
« Vois ce cristal qui roule , écoute ce murmure :
« Ces mouvements qui sont le pouls de la nature ,
« Ces chants lointains du pâtre isolé sur les monts ,
« Ce bruit d'in.sectes d'or mêlés à des rayons ,
(') D'ordinaire on fait trois syllabes des mots coursier, tablier ,
peuplier, etc. , c'est la prononciation des gens du Nord. Riais dans
tout le Midi on n'en fait que deux. Par contraire , ils disent ffardien
et nous disons gardi-en. Or , il n'y a pas plus de raison pour les un;
que pour les autres. Nous avons vu des exemples des deux manières
cher les poètes. Si l'on dit entier , pourquoi dire coursi-er ? Si l'on
dit iî'en, pourquoi dire li-en ? Jamais dans la conversation on n'a osé
prononcer hi-tr : Cela est trop dur; cependant cet horrible hiatus esi
usité dans la poésie ; de sorte que la langue des dieux devient plus dure
que la prose de M. Jourdain. Nous croyons plus naturel et plus com-
mode de faire de nos sortes de mots , des mots nd libitum comme ou
latin. La question e«t ainsi tran'-ln-c cture Io< liiioraienrï du Nord et
ceux du Midi.
« Ce frùleinciit des fleurs au contact du Ze[)hyre ,
« Tout cela te dira qu'EdNvard ainsi soupire.
« Mais , Irma; je l'envie un douloureux bonheur :
u Les jasmins n'oti'rent point la ravissante odeur
« Qua le buis des sentiers foulés par ceux qu'on aime
« N'est-ce pas? Or toujours ce val sera le même ,
« Toujours lu reverras ce que mes yeux ont vu ,
« Toujours tu pourras boire à la tasse où j'ai bu ;
« Et moi , quand je serai sur la terre étrangère ,
« Qui me rappellera celle qui me fut chère ?
« Qu'aurai-je ? Des bouquets depuis long-temps flétris
« Des lettres , des cheveux en souvenir ravis....
« Ah : si tu le Noulais , fille des Tyrenees ,
i' Si lu voulais d'Edward suivre les destinées ,
« Si lu voulais , cédant à son fidèle amour ,
« Accompagner ses pas vers un autre séjour,
« Edward pour te payer vos nobles jouissances ,
« N'aurait jamais assez de plusieurs existences.
0 Viens , lu verras un peuple humain et généreux j
« Chez qui de tous pays accourt le malheureux.
« Le sol de noire England , si plein de poésies ,
« Te bercera bientôt de longues rê\ cries ;
(( Kt le soir tu croiras entendre avec le vent
« Résonner dans les airs la harpe d'Ossian ;
« Et nos pâles brouillards, peuplés d'âmes guerrières,
a Sembleront frissonner au-dessus des bruyères.
« Viens , à mon vieux castcl lu dicteras les lois ,
« Mon castel où jadis, pour recevoir des rois ,
« Les sombres ponts- levis en grinçant s'abaissèrent
« Et les cors des archers en fanfares sonnèrent ;
« Car , Irma , j'ai des rois au rang de mes aïeux.
« Tu voudrais le soleil peut-être ! Aimes-tu mieux
« De l'Inde où ma patrie a porté ses conquêtes
« Voir les pagodes? Viens, viens : les rames sont prêles,
(• Une nef nous attend. Oh ! jamais nos destins
«' >"e seraient j)lus heureux (pie sur ces bords lointains ;
« Le palmier , l'aloës nous prêteraient leur ombre ;
« Autour de nos tapis des esclaves sans nombre
(( Avec des ésenlails nous rafraîchiraient l'air ;
« Tu foulerais la peau des tigres du désert,
<( Comme ici je te vois fouler la blanche laine
(I De tes brebis. Là-bas l'indous au teint d'ebène ,
« Dans des conques de mer , du frais et pur ruisseau
« Pour chasser le sommeil viendrait l'apporter l'eau ;
« Et , sur un éléphant plus blanc que son ivoire ,
« Plus blanc que tes perdrix, plusblanc queleciboireC)
(( De nos plantations tu parcourrais les champs.
« Là-bas, toi dont j'ai su des actes si touchants ,
o Des Parias qu'un dieu poursuit de sa colère ,
« Tu pourrais adoucir l'accablante misère.
« Là-bas , le ciel, toujours inondé de rayons ,
« Par des fruits diflcrcnts distingue les saisons.
{*) La periliix Jfs Pyrciiccs , grise en été , liigarrée en autoninp ,
'•îrviciu complètement blanche en hiver, t'est alors une petite béte
'ou(-j-fail gracieuse.
Ok
« Crois-moi , ce ne î?ont point des songes iHnsoirrs.
« Viens , lu te baigneras avec les filles noires
« Dans le Gange où Brama lui-même est descendu ;
'« Comme elles si tu crains de montrer ton corps nu ,
« Viens , de tes longs cheveux tu te feras un \oile...
" Ce bonheur , ces plaisirs que mon coeur te dévoile ,
« Irma , ne sont-ils rien ? ne te tentent-ils point ? »
Et la \ierge disait : « M'expatrier si loin !
« Est-ce possible, Edward? Quand pour me faire instruire,
« En la cité mon père a daigné me conduire ,
« IS'a-t-il pas résolu de former mon esprit
f( Afin d'avoir plus tard quelqu'un qui le comprit ,
» Qui l'aimât , qui reçût toutes ses confidences ,
« Qui préparât le baume à toutes ses souffrances ;
(' Qui , riche sans éclat , ne rougît pas de lui
« Et fût de ses vieux ans un agréable appui ?
<( Et vous voulez qu'Irma le quitte , le délaisse ?.. ,-
¥ Quelquefois , il est vrai , je lis avec iNresse
— bD —
« Ces livres de voyage a travers l'Orient ,
t< Je rêve leurs palais d'or et de diamant ;
« Je rêve qu'à mon tour une fée , un génie,
« Dévorant dans son vol la dislance infinie ,
« M'y porte tout-à-coup sur ses ailes de feu !
« Mais c'est un rêve, ami, ce n'est qu'un simple vcvu,
« Jamais , même pour voir ces rives fortunées ,
« Je ne déserterai nos froides Pyrénées ,
« Je n'abandonnerai mon père. 11 est si bon :
» Vous le savez , Ed\vard , vous connaissez Raynion.
« Comment nous repaver ? Vivre loin de son pcrc ,
« De toutes les douleurs est bien la plus amère !
« Moi partir... moi le fuir... moi lui coûter des pleurs.,
« Et qui viendrait après essuyer les sueurs
f< Que le travail arrache à son front vénérable ?
« Qui dans ses faibles mains mellruit le bois d'érable.
— iiG —
f< tt 5Ur h- (.our.x irait le proinener , le î^oir '/
« (le coupable abandon ferait son désespoir ;
« Qui le consolerait? qui , le jour d'une fêle ,
« Pourrait comme sa fille arranger sa toilette ,
« Peigner ses cheveux blancs et puis avec orgueil
» Ou temple sous son bras aller franchir le seuil?
n D'un péri' lorsqu'enfin sonne la dernière heure ,
" Si l'enfant n'est point là qui gémit et qui pleure ,
« C'est un grand crime, EdA\ard : alors sis yeux mouianls
« Cherchent l'objet chéri parmi les assistants ,
« Sa main voudrait bénir, et cette main glacée
c< Ne peut par son enfant pas même être pressée !
« Oh ! l'agonie alors doit être lourde ! Et moi ,
« Moi , sa fille , à présent , sans regrets , sans ctVroi ,
« Je lui préparerais une fin si cruelle : !
« >'on , je veux recevoir sur sa lèvre mortelle
« Le suprême soupir , je ne fuis pas , non . non ;
« Car pour Irma le ciel n'aurait plus de pardon ,
« Car nos amis nn jour au fond du cimetière ,
v >'e voyant pas de fieurs près de son himible pierre ,
« M'appelleraient ingrate. Oh î non , plu'.ôt mourir ^
" riutôl NOUS perdre, EdNAard. non. je nepuisj-arlir !...>>
viirge ai
La voix du ménestrel errant de ville en ville
Etait moins entraînante ; aussi le jeune Lord
Quand elle avait fini , l'écoutait-il encor !
Et tous les deux , assis sur l'herbe de la rive ,
En rêvant soupiraient , et leur àme craintive
IS'osait plus exprimer trop de sensation.
Cependant dans leur cœur bouillait la passion ;
L'atmosphère , d'amour exhalait un arôme.
Sur l'épaule d'Irma la tête du jeune homme
S'appuyait mollement ; ils se tenaient les mains ,
Ainsi qu'aux saints autels deux pieux séraphins ;
Et les cheveux d'Edward, blonds comme un ciel den
Et ceux d'Irma plus noirs que le jais de l'Ariége ,
A flots mêlés tombant de deux gracieux fronts ,
Semblaient faire un tableau d'ombres et de rayons.
« Laisse-moi pour adieux , ô femme bien-aimee,
« Cueillir un ^eul baiser sur la bouche embaumée ;
— 08 —
« C.'ei^t le sccl que le cœur en loul leiups doit po-er
« Si la sic au berceau s'ouvre par un baiser,
« Au cercueil n'est-ce pas un baiser qui rachève ? »
Irma ne vivait plus , elle vivait en rêve ;
Elle écoutait distraite , elle n'entendait pa-.
Trouble délicieux ! Il la prit dans ses bras ,
La serra , la retint sur sa poitrine ardente ;
M pria , supplia la colombe innocente ;
Au milieu des soupirs il répandit des pleurs ;
Il lui parla de foi , de serments, de douleurs;
Puis de l'éloignement il peignit les alarmes.
Et la vierge séduite , entraînée à son tour ,
S'abandonnant entière aux élans de l'amour ,
Pour montrer , pour prouver une égale tendresse
Fit au noble Mylord la plus douce promesse.
Elle promit. Soudain s'éveilla la pudeur ;
L'iKiIcmcnt , le bois , l'onde . tout lui lit peur
— 59 —
Elle voulut s'enfuir et regagner la ville.
Sa conscience , hélas ! devenait moins tranquille ;
Mille pensers divers s'y livraient des combats.
« Ce soir , lui disait-elle appuyée à son bras ,
0 Ce soir je suis à vous ; me voilà résolue ,
« Edward. Mais pour calmer un remords qui me lue ,
« Après ce sacrifice éternel , accablant ,
« Au moins dites-moi bien que vous serez content.
« Il faut que je le sache , il faut que je le croie.
« Qu'importe , quand ma honte aura fait votre joie?
« Allez , soyez heureux ; en ne rêvant qu'amour ,
« Parcourez notre lac. Que l'heure du retoiu-
« Parl'.Vngelus lointain vous soit vile annoncée.
« Mais quand vous quitterez la roche crevassée ,
a Qu'une dernière fois , de ce flot toujours pur ,
« YoU3 penchant sur les bords, vous voudrez voir l'azur.
' Prenez bion garde. Edward, que cette coupe immense,.
it Comme iiii miroir veiip;oiirde ma rhrro iimorom-t-
« Tout-à-coup ne reflète à voscoupalili^s yeux
« .Mon ange gardien qui s'en relrninie luix cieux ! »
i
i
Avant de s élancer sur le coursier rapide ,
Edward contre l'oubli voulut prendre un égide;
Dans un vase qu'Irma soignait à son balcon ,
D'une fraîche pensée il cueillit le bouton ,
Et puis en le donnant à celle qu'il adore :
« Sous tes baisers , dit-il , tu le feras éclore
'( Si tu penses à moi. » Doux gage de laniour î
("adeau que ne vaut pas tout l'argent d'une ("our \
— ()i —
Comme au fond de l'aulel on cache une relique ,
Elle cacha la Heur dans sa gorge pudique.
Aimable enfantillage ! Une dernière fois
En de tendres serments ils mêlèrent leur voix ;
Une dernière fois , d'une longue caresse
Us scellèrent l'aveu de leur vive tendresse ;
Et, quand Bruno s'en vint annoncer le départ,
Tous deux lurent l'espoir dans un dernier regard.
Fol espoir ! Après l'heur dont gémit la vallée ,
Les gens qui des Soupirs avoisinent l'Allée ,
Dirent que sur les pas du guide et du M y lord
On avait vu courir , en hurlant à la mort ,
Le chien du vieux Raymon , celui qu'aux pâturages
N'osaient pas attaquer les loups les plus sauvages ,
La nuit , quand pour goûter les charmes du repos ,
Les bergers le laissaient gardien des troupeaux.
Quel instinct put apprendre à l'animal fidde
Que déjà sur Edward la mort ouvrait son aile ?
>ul ne le sait , enfants , c'est un sublime instinct.
— g;j —
Ils disparurent donc à l'angle du chemin.
F.ongliMnps la jeune fille accoudée aux treillages
Regarda s'élever en fantasques nuages
La pondre que leurs pieds avaient lancée au vent ;
Son œil fixe et rêveur dans ce prisme mouvant,
Inonde de rayons comme un palais de lees ,
Semblait chercher encor l'ange de ses pensées.
Des craintes l'assiégeaient. Sans motif, sans raison ,
Elle eût voulu qu'Kdward n'eût pas quitté Luchon.
Elle aussi , n'écoutant que son instinct de femme ,
Freesentait, redoutait quelque terrible drame.
Or , ces vagnes tourments , ce précoce regret,
Enfants , du Seigneur Dieu sont un avis secret.
Croyez-en mon grand âge , auquel l'expérience
Sait faire apprécier la joie et la ^ouflVancc.
De même l'ak^yon. aux hardis matelots
Annoiii-e la tempête en elilcuranl les eaux-
Vuur la lilie des munts les heures s'ecoulerent
iBien tr'sles. Quels ennuis ! que de larmes coulèrent
— GG —
Sa pauvre âme luttait. Ces mille cmoliuns ,
Ces vifs élans d'un cœur rempli de passions ,
L'ardente soif d'amour qu'au matin de la vie
La créature sent et le monde renie ,
Le charme qu'on éprouve au contact frémissant
D'un être comme soi , jeune , bon , innocent ,
Le cri de la nature , et cette sainte ivresse
Où nous plonge à vingt ans la première caresse ,
Et tous ces doux propos qu'il lui semblait encor
Entendre à son oreille , et ces beaux rêves d'or ,
Ces rêves de plaisirs qu'un sourire fait faire ,
Cet attrait enchanteur du vague , du mystère ,
Tout cela la troublait , la pressait , l'entraînait ;
Le plus léger remords alors l'abandonnait ,
Et dans son sein couraient comme des jets de flamme
Des désirs inconnus. L'amour est le dictame
Que Dieu nous a donné contre les plus grands maux.
Mais bien \ite , timide autant que ses agneaux ,
lîR-n vile elle un ail peur de >a tendresse même
Qu'a\yit-elle promis? Quel abandon sii|irènK '
Renier la vertu , c'était presque mourir ,
C'était voiler le Christ, c'était faire flétrir
Ce lys de l'innocence aux parfums si suaves !
Alors sa piété soulevait des entraves.
Coupable , oserait-elle aborder le saint lieu ?
La honte sur le front, comment contempler Dieu ?
Et puis dans l'avenir , sous ses pas, un tel crime
N'allait-il pas creuser quelque fatal abîme ?
Et son père , son père objet de tant de soins ,
Voudrait-il la revoir , la recueillir au moins ?
En la montrant au doigt, devant elle peut-être
Du déshonneur bientôt allait surgir le spectre.
Elle hésitait sans cesse ; elle céda pourlam.
« 0 Dieu des dieux, dit-elle, ô toi Dieu juste et grand,
(( Qui par besoin d'amour formas la créature ,
« Peux-tu le regarder comme une chose impure ?
« Esl-ce vrai que chez nous il t'inspire l'horreui' ?
« Navons-iious pas au cœur un reflet de Ion cœur ?
— 68 —
« Quand il >etit, (jiKitul il lut, (iiiaïul il aime a\t'C force,
« Esl on souille par lui ? C'est ta loi (jui nous force.
« l/amour est tout l'hymen si l'amour ot réel.
<« .l'aime comme autrefois aimaient les sœurs d'Abel ,
« Qui n'avaient pas île lemi)leit de cérémonies.
'« hst-il possible , o Dieu . ({ue nous s()yons punies
« Dans ton éternité ? Voi^ , je verse des pleurs ,
'< Je crains de t'offenser le monde a des rigueurs....
" Le monde.... penses-tu comme pense le monde ?
«< li^st-ce mal que d'aimer ? Que ta voix me confonde !
t< Non , non , je veux livrer mon âme a son penchant.
K L'oiseau fait resonner les bosquets de son chant ,
" Il aime , il obéit ; la graine que l'on sème
" Pousse et devient un arbre , elle obéit , elle aime :
" Lt si j'aime à mon tour et si je l'obeis ,
a Si je cède aux instincts qu'en moi ton Verbe a mis ,
« .Moi, moi seule, Se gneur, je deviendrais coupable !..
<f Ton idée est en nous nécessaire , immuable ,
«» L'amour également est en nous. Sans terreur
" On peut donc savourer les délices du cœur ;
" Qu'il \ienne donc, Edward, car je l'aime... je l'aime
" Qu'il vienne réclamer cet abandon suprême ,
♦iO
a Oh ! qu'il vienne ! Et vidant la- coupe du plaisir ,
« Nous nous croirons encor dignes de te bénir ! ! »
Ainsi réfléchissait l'enfant delà nature.
Elle croyait tout pur parce qu'elle était pure ;
Elle n'écoutait rien qu'un noble sentiment ;
Et dès-lors , confiante au Dieu bon et clément ,
Elle voulait agir sans trembler , sans combattre.
Société farouche , implacable marâtre ,
C'est toi qui fais le crime en mettant ici-bas
Des inégalités que Dieu n'établit pas !
Vous dirai-je d'Irma toute l'impatience ?
Vous dirai-je comment la crainte et l'espérance
La tinrent en émoi jusqu'à la fin du jour ?
L'attente est bien cruelle à qui brûle d'amour.
Elle eût voulu hâter l'astre de la lumière ;
l'.lle allait cl venait ; a la moindre poussière
— 70 —
Oui fin \al (lu Larboiisl ;>"oleMiil vtT> k'^ licux ,.
In éclair tle bonheur jaillissait de ses )eux ;
Le sol semblait bouillir sous elle, et la vesprétr
Etait bien longue. Enfin la voilà rassurée.
Dans notre vieux clocher , dernier reste romain
Les marteaux ont iVappe quatre fois sur l'airain
C'est l'heure du retour i)ar Edward desij^nee.
Aussi pour un instant tst-clle résignée.
Mais Iheurc fuil encor. l'oignante émotion I
Cn oiseau de malheur planait à l'horizon.
Edward n'arrive pas, rien au loin ne se montre.
Que faire ? Elle s'échappe et part à sa rencontre.
Bientôt elle a passé ce Cazaril bâti
Comme l'aire d'un aigle au milieu du granit ;
Elle a laissé Luchon , reine de la vallée ,
l'erle par l'ancien lac sur ses bords déposée ;
Déjà se dessinait la tour du Sarrazin ,
Elle\ovait déjà le rocher d'.Vvcnlin
— -/I —
Un bruit EUo s'arrèn^ l'a soupçon la dovoro :
<( Du mont u'otUends-je point vibrer le flanc sonore ?
« Écoutons , deux chevaux trottent sur le chemin.
« Ce sont eux. Ah ! voici là-bas dans le ravin,
« Sous le soleil couchant leur ombre qui s'allonge !
« Mon Edward bien-aimé! ciel! que vois-je? est-ceun songe?
« Bruno, tout seul ! grand Dieu, t(|nt seul! pourquoi cela?
« Qu'a-t-ildonc fait d'Edward ? Comme le cœur me bat!
« Dieu ! pour le comprimer ma main toute tremblante
« N'a plus assez de force » Et la craintive amante
Se rappi'Ue aussitôt les présages du jour.
Au devant de son frère elle avance , elle court.
Inquiète , halelanfe et le regard en flamme,
l.t dans un simple mot peignant toute son àme •
« Edward? s'écria-t-ellc. — Hélas! répond Rrima ,
« L'étranger a péri dans les ondes d'Oo. »
Finiesliî aveu 1 Le guide ignorait leur mystèr?.
Ce coup fra,:)pjiit Iriui comme un cùiip de toaueire ;
— lî —
rarcille a\i jeune iziird altcinld'iui plomb moitcl
Knapprennnl un fait si fatal , si cruel ,
Sans ce ménagement qu'au malhour on apporte .
Elle pousse un p:rand cri , hélas ! et tombe morte.
O mes enfants , pour li^ , pour ce pauvre Raymoii
Quel pénible chagrin ! Sa fille à la maison ,
Au travers du village et d'une foule amie ,
Par Bruno fut portée encore évanouie.
C'en est fait. Le bonheur va déserter ce toit
Où depuis si long-temps il présidait en roi.
Plus de rire joyeux , plus de joyeuse fête 1
Sous le poids du destin il faut courber la tête.
Tout sera désormais et solitude et deuil ;
La bruvère et la ronce ombrageront le seuil. » —
Et 1.' vi«'illard se tut. Sa parole attendrie
Avait desaudileiU'S gag!jé la sympathie.
— & 0 père , dis-je alors, ne sait-on jjas cominoiit
Dans ce lac si limpide avait pu choir l'amant ?
— Il voulait pour Irma cueillir la lleur sauvage.
Vous savez qu'un esquif doit servir au passage :
Il préféra tout seul suivre l'étroit sentier ,
Qu'ont tracé tout autour les pas du ciievrier ;
El pendant qu'il cherchait à saisir une plante ,
De la rive escarpée une roche mouvante
Avec elle entraîna lo jeune audacieux,
lïélas ! dans cette mer si voisine des cicux
L'onde est si froide et puis le bord est si mobile !
Or Edward de nager ignorait l'art utile.
En vain il se roidit , en vain il appela ;
Avant qu'on l'eût oui tout son sang se glaça ;
Et quand le batelier voguant à tonte rame
L'atteignit à la fin , ce fut un corps sans anie.
— 0 père , dites-nous qut^l champ d'égalité
A re^'U sa deponille.
— 74 —
— On vint de la rite
Où Clémence est célèbre , avec pompe le prendre.
Je ne sais si c'est là que repose sa cendre.
Sans doute , en sa patrie au ciel toujours brumeux ,
On le joignit plus tard à ses nobles aïeux.
— Et la fille des monts après que devint-elle ?
— Quoi !.... ce qu'elle devint? A la voûte éternelle
Son étoile fila , car , bien avant le corps ,
Son esprit descendait au royaume des morts.
Oui , mes enfants , Irma , la vierge, devint folle.
Folle !.... comprenez-vous? Elle , l'amour , l'idole ,
L'espoir du vieux Raymon folle ! Jamais vos yeux
Ke verront ici-bas père plus malheureux.
Prêtpz-moi derechef une oreille attentive.
-^zy-
Vous avez remarqué la tendre sensifhe
Frissonnant sur la tige au contact de vos mains ;
La passion de même agite les humains.
Irma passa la nuit dans un complet délire.
Le temps de son sommeil fut pour elle un martyre ,
Elle à qui chaque soir , avant cet accident ,
Les anges apportaient un rêve bienfaisant :
Du moins on r.'iurail cru . car , lorsque son vieux pere^
— IS —
Quelquefois au milieu de l'ombre et du mvitere ,
De sa couche entrouvrant les pudiques rideaux ,
Son allait épier un précieux repos ,
D'usage Irma dormait comme dort linnocence ;
Son front était plus pur qu'un matin de Provence ,
Kt son souffle plus doux que la brise dCs mers.
I)irai-je de Raymon lou> les tourments amers?
Voir pleurer , voir soulïrir l'être que l'on rev<re....
lour sentir cette peine il faut un cœur de père.
Il soupirait tout bas , il suppliait le ciel
D'éloigner au plus tôt ce calice de fiel.
Vieillard infortuné ! Mais l'astre de lumière
Recommença tout seul sa brillante carrière,
Et pour l'esprit d'Irma la nuit régna toujours.
La \ierge était bien folle , oui , folle. El les Amour-
Causèrent tout cela !!
Depuis celte occurrence
agiter l'existence.
Sa folie était tri't'te et tranquille. Un .seul mot
— 79 —
En son ànie semblait éveiller un écho :
Edward , Edward. Ce nom frappait-il son oreille ,
Elle se ranimait ; une couleur vermeille
Rendait à son visage un éclat passager :
« Edward ?.... vous l'avez vu le superbe étranger ?
« Disait-elle. Ecoutez... Edward s«r la pelouse
« Avait juré qu'Irma deviendrait son épouse ...
« Ils sont ailes au lac, Edward suivait Bruno. ..
« Mais il a préféré la paysanne d'Oo ,
u II a voulu rester. Edward est avec elle ,
« Il doit l'aimer, il l'aime, il la trouve plus belle....
« Edward ?... Vous l'avez vu ? Dites-lui qu'il m'aima
« Et que je l'aime encore.... Edward est pour Irma ;
« De l'hymen pour moi seule il tient le diadème....
« Allez donc , vous , allez lui dire que je l'aime ;
« Edward n'a point péri dans les ondes d'Oo ,
« Puisque vous l'avez vu.... Courons au bord de Wixii
« Le chercher !! » Et la vierge alors vers les montagnee
Voulait se diriger.
— 8(J —
Sutivcnt a ses conipugne.'^
Eîle allait se inéler. Elle leur redisait
Ces mots d'amour qu'Edward naguère lui disait ;
Puis, gazelle du Tell qu'un peu d'ombre effarouche
Elle s'enfuyait vite , et le doigt sur sa bouche,
Connue si , tout-à-coup paraissant à ses yeux ,
Edward lui reprochait de semblables aveux.
D'autres lois de Raymon partageant l'e.-cabe'.le ,
Elle lui demandait si sa fille était belle ,
Si c'était vrai qu'au lac les bergers avaient vu
La rivale d'Irma , s'il avait entendu
Les doux propos d'Edward, Alors le pauvre père ,
Retenant une larme aux cils de sa paupière ,
Trompant par un soupir un serrement de cœur ,
L'écoutait et rêvait un retour de bonheur.
Et lorsque, du Mylord répétant les tendresses.
Elle appelait Edward , Edward et ses caresses ,
Le vieillard malheureux la pressait sur son sein,
La couvrait de baisers, la suppliait en vain
De le voir, de l'entendre : o 0 ma fille , ma fille ,
<( Pauvre lys des vallons tombé sous la faucille ,
« Pauvre ange que le ciel n'a repris qu'à moitié ,
— M —
f( De iluyinoii , de luii i>ci'e à la fin prends pilié.
<( O ma iille ,' reviens , lua tille bien-ainiée. ! o
Et la vierge à ces mots , radieuse el charmée ,
S'éveillait comme an bruit de célestes accords ;
Son esprit , éloulïé sous le linceul des morts ,
D'un éclair de raison recevait la lumière ;
Elle semblait revi\re , elle embrassait son père ,
Et d'un instant de joie enivrait le vieillard.
Mais hélas ! revenait le souvenir d'Edward.
Fatalité ! Ravmon perdait encor sa fille ! —
Ainsi la pâle lune ou s'obscurcit ou brille ,
Selon que deN ant elle un nuage est placé ,
Ou (pie par l'ouragan le nuage est chassé !
Oh ! vous n'auriez [)as cru que c'était la folie 1
C'était plutôt un rêve , une mélancolie :
Surtout quand vers la Pique elle portait ses pas.
Les gazons desséchés au souffle des frimas
Craquaient sur son passage ; et ces notes étranges ,
ÏMus ([u'aux pieux élus les hymnes des archanges,
— 82 ~
Procuraient a ton âme un mystique plaisir.
Leur froissement pour elle était un souvenir ;
Vous le savez : c'est là qu'elle fit sa promesse ,
C'est là que le Mylord lui dit ces mots d'ivresse ,
Ces mots de volupté que sa faible raison
Nous répétait toujours. Et puis de la maison
Lorsqu'elle reprenait la route tant connue ,
Gravement , lentement , l'épaule demi-nue ,
Fixant sur le terrain son œil limpide et noir ,
Comme pour y chercher quelques lignes d'espoir ;
Et de ses longs cheveux , parure de Bacchantes ,
Laissant flotter sans frein les boucles ondoyantes....
On eût dit la Druidesse au sein de la forêt ,
Allant pour nos aïeux cueillir le gui sacré.
Et lorsqu'elle passait à travers le village ,
Les habitants disaient : Pauvre Irma I quel dommage
Et l'un d'eux chaque fois la prenant par la main ,
Et lui parlant d'Edward , de son retour prochain ,
Sous le toit de Raymon ramenait l'insensée.
Elle trouvait les fruits de sa vertu passée :
Chacun plaignait , chacun environnait d'égards
CcHg qui secourut longtemps les montagnards.
' Sollicitude ainiiiMe 1 Amiable rccompensc !
— 83 —
Un j»tur Ja vierge avait un accès de démence.
A peine la fauvette aux accents matineux,
Sous des ifs que le lierre enlace de ses nœuds ,
Avait elle annoncé l'aurore ; les collines ,
Sur un fond encor noir , de franges purpurines
A peine se bordaient ; le berger , les troupeaux,
Et le soc, et les bœufs, tout était en repos,
Irma , la tendre Irma , déserte sa demeure
Sans qu'on puisse la voir , sans que sa robe effleure
Le chevet de son père. Elle court , elle fuit ;
Mais le chien, qui l'a \uo, heureusement la suit.
Elle court vers le lac, et l'animal fidèle
Ainsi qu'un protecteur se tient toujours près d'elle.
Une heure après l'alarme est donnée , et Raymon
Part avec ses valets. Ce fui à Castillon
Qu'ils trouvèrent la vierge. A.ssise sur la pierre ,
Triste, le front baissé comme un ange en prière ,
Cédant à la fatigue , au froid , à la douleur ,
Et pressant sur son sein le reste d'une fleur ,
De celte simple fleur qu'Edward avait donnée .
Dans une extase immense elle semblait plongée;
Et le chien devant elle . avec de faibles cris ,
Altonlil' , iiiquiel , léchait sis pieds inciirlris
Tableau doux et touchant ! Ilélas ! je me rappelle
Je crois la voir encor, si modeste et si belle,
Quand on la ramena sur un rustique char .
Comme un rayon du ciel nous jeter un regard !!
Ainsi passa l'hiver. Dans tout notre \illap;ê,
Depuis son infortune on l'aimait davantage ;
Et les petit> enfants, pour présider leurs jeux ,
L'appelant notre sœur l'emmenaient avec eux.
On savait respecter la timide insensée
Et la chérir. Malhair à qui l'eût oifensée .'
De son âme si Dieu relirait la raison .
Il lui laissait un cœur toujours pur , toujours j)on
Car , malgré sa folie elle savait encore
Donner aux indigents que le besoin dévore ;
Et tous les indigents étaient ses protecteurs....
Ainsi passa l'hiver , hiver plein de rigueurs ,
Hiver qui de tous deux brisait la destinée.
La Aie est une fleur , elle est \ile fanée !
*^i2a.
Le malheur , mes enfants , disperse les amis.
A celte horrible loi nous sommes tous soumis ,
Tous, et vous en ferez un jour l'expérience.
.Néanmoins par pitié pour sa grande souffrance ,
Personne de Raymon ne déserta le toit.
C'est que personne aussi, d'avoir le cœur étroit
IS'aurait pu l'accuser : tant de fois sa richesse
Avait de ses voisins secouru la détresse ;
- 8S —
Lui-iiiùinc tant de fois , devinant leurs besoins ,
Leur avait apporté de l'argent sans témoins.
La bourse est le creuset où l'amitié s'éprouve;
Le bienfait qui se cache est le seul que j'approuve.
Or, dès que les bluels au milieu de nos champs
Annoncèrent enfin le retour du printemps ,
Ses amis avec lui pour un pèlerinage
Gagnèrent d'Averilin le modeste village.
Ils pensaient qu'au moment où les airs , et les bois,
Et l'insecte, et les eaux forment leur mille voix
A chanter le Seigneur , où chaque créature
Et proclame et bénit l'auteur de la naUire ,
S'ils mêlaient leur prière à ce concert pieux >
Leur prière plus noble arriverait aux cieiix.
Raynrwn était jaloux de la foi de ses pères.
S'il eut vu cette époque où les divins mystères
Et l'explication des rites et des lois ,
Et le grand sacrifice achevé sur la cioix
— 89 —
So cck'biaicnl Ui nuit , an foiul doî- cdlacombe'- ,
Kiilie des condaniiiés et de réceiilcs lombes ,
\a\\, bénissant la main qui l'aurait fait mourir ,
De sa religion fv'it devenu martyr.
De même ses amis. Mes enfants , que vos imies
D'une telle piété gardent les saintes flammes ,
Ayez toujours la foi. C'est chez nous , sur nos mont?
Que l'ange catholique a fui les noirs démons j
C'est chez nous que survit l'ardeur des premiers âges
Et les pas de l'impie ignorent nos villages.
Cne simple prière , un battement de cœur ,
Mieux que tous les plaisirs procure le bonheur.
Restez toujours pieux ; laissez les gens du monde
Chanter dans les festins lorsque l'orage gronde ,
Rire comme Satan , déchirer le missel ,
Kt sans courber le front passer devant l'autel ;
Ils pleureront plus tard , attendez leur vieillesse.
On se souvient du ciel aux heures de détresse ;
Et vous tous , ,qui céans m'écoutez en ce lit u ,
Si vous avez souflerl . vous devez rmire en Diei.i-
— 00 —
Ils parlent donc eiisenible. Us portent pour oUViwules
IHi miel dans un panier entouré de guirlandes ,
Uu agneau parmi cent pour sa blancheur choisi,
Et qui la veille encor sur le gazon fleuri,
Bondissait en bêlant tout autour de sa mère ,
Un nid de passereaux que dans Superbagnère
Un pâtre de Raymon sous des sapins touffus
Était allé ravir aux parents éperdus ,
Des œufs , du lait bien frais en un vase de marbre ,
Deux palombes des bois tt deux brins de cet arbre
Qu'avant Pâques , le prêtre avec pompe bénit.
Dieu préfère les dons que la terre fournit.
Au pied du saint autel ils mettent leur richesse ,
Et l'auguste pontife y célèbre la messe.
Ensemble à deux genoux ils implorent le ciel ;
Ensemble dans leurs mains ils élèvent le miel,
Et les brins de laurier, et les douces palombes ,
Et le lait, et l'agneau. .Myslicjues hécatombes !1I
Jamais hyume.'- plu^ purs vers le trône de Pieu
i
?>e montèrent en cliœur de ce inoile:-te lieu ;
Jamais pour se signer, dans la conque d'eurite.
Pèlerins plus fervents n'y privent l'eau bénite.
Lt le bœuf du portique , œuvre des premiers arts
Et la cliùsse qui voile aux profanes regards
Les ossements du Saint , et sous l'antique voûte
La lampe expiatoire, à leurs accents sans doute
Tressaillirent de joie 1...
Apres que le cure
eut lu l'évangile sa
Raymon en essuyant quelques furtivcs larmes ,
Raymon pria : « Grand Dieu , toi qui vois mes alarmes,
(( Dit-il , dont la splendeur fait pâlir ks soleils ,
c( Toi dont le bras est fort , toi que les flots vermeils,
" Et le simoun qui brûle, et l'éclair des orages ,
« Et l'espace .et nos pics , et nos gouffres sauvages
« Ont proclamé si grand ; toi qu'un nid de gazon ,
« Une larve d'insecte a proclamé si bon ,
(' Père qu'on dit veiller sur toute la nature .
— 9i —
'< ^L■lnlt'll^a^-lu longtemps les douleurs que j endure ?
« Si j'ai commis un crime ou transgressé ta loi ,
« IHuiis-moi , juste Dieu , mais ne punis que moi.
« Laisse ma pauvre enfant , au banquet de la vie
« S'asseoir, comme ses sœurs radieuse et ravie ;
« Daigne de sa raison rallumer le flambeau :
" Sans cela l'existence est pire qu'un tombeau.
«Oh 1 rends-moi mon Irma, grand Dieu , rends-moi ma fille,
« Et les premiers épis tombés sous la faucille ,
« Et les premiers raisins du pampre détachés ,
M Et les premiers boutons au bord du pré fauchés
a Te seront tous les ans apportés en offrande ;
« Fais que pour la guérir ton Esprit-Saint descende.
« 0 grand Dieu, m'entends- tu? Prends pitié de mes maux
« El vous , Aventin, vous, patron de ces hameaux ,
« Vous qui fites souvent des miracles insignes ,
« Intercédez pour nous si nous en sommes dignes;
0 Acceptez ces présents , gages de notre amour ;
« Et là-haut , près de Dieu, donnez-nous en retour
« Votre protection. Rendez à ma vieillesse
« Mon Irma , mon -îOUlicn , mon unique lendres:re!î «^
— î)3 ->
Le père alors au ciel levait ses bras treinblaiils ;
Et de l'autel rustique avec ses cheveux blancs
il essuyait la marche ; et sa sainte prière,
Que ses pieux amis , le front dans la poussière ,
Hépétcrent en chœur , au milieu de l'encens ,
iMonta jusques au seuil des porches éclatants.
La les pieds du Seigneur posent sur des étoiles.
Derrière leurs rayons, impénétrables voiles,
U se cache aux humains ; mais l'œil des bienheureux ,
Sans en être ébloui, voit à travers ces feux.
Le Seigneur entendit ces cris de la détresse ;
Et cependant helas ! l'arrêt de sa sagesse
Fut contraire à Raymon. Le Seigneur aima mieux
D'un ange d'ici-bas faire un ange des cieux.
L'église d'Aventin fut témoin d'un miracle :
Les amis, tout-à-coup, devant le tabernacle
Virent descendre un être au regard doux et[tur,
Aux grandes ailes d'or , dont la robe d'azur ,
Flottant comme la gaze au front des fiancées ,
Etalait de l'iris les franges nuancées.
Lambre ([ue l'Arabie a forme dans son sem ,
La niNirhe du Carmel , l'aubépine, le thym
- 94 —
ÎS'otit pas tous les parfums qu'exhalait sa presince.
Les montagnards éraus l'admiraient en silence.
Dieu, pour récompenser tant de dévotion ,
Avait permis pour eux cette apparition.
Le cœur du vieux Raymon sautait dans sa poitrine
Que va lui révéler cette bouche divine ?
Est-ce de son Irma la délivrance? Ou bien
Lui va-t-elle annoncer son trépas et le sien ?
Il espère , il attend. Mais l'envoyé céleste
A lu dans son esprit. Avec un noble geste ,
« Ta fille , lui dit-il , sera sœur d'Uriel ! »
Puis il reprit son vol en lui montrant le ciel. » —
Le vieillard s'arrêta, son docile auditoire
Attendait en émoi la fin de cette histoire.
Tous, je crois, pour sauver la fille de Raymon ,
D'une part de nos jours eussions fait l'abandon.
1
Avez vous comme nous , seuls, à pieil et sans guide,
Gravi du lac d'Oo la montagne rapide ?
Avez- vous du sommet de ce roide chemin
Promené le regard sur l'immense lointain ?
Avez-vous entendu mugir la cataracte ?
Pendant que de frisson \olre chair se contracte ,
Sur l'abîme penchés et tremblants de terreur ,
Des gouiïres avez-vous sondé la profondeur ?
9
— 98 —
Et puis pour abi'é{>erla route qui serpente,
Comme un boa couché sur les flanc> de la pente .
Avez-vous traversé ces monceaux de cailloux
Que votre pied détache et qui roulent sous vous?
Et puis , lorsque pour prix d'une s^ grande peine
Et la chute et le lac , merveilles de la chaîne ,
Apparaissent enfin à vos yeux étonnés ,
Vous êtes-vous assis sur les gazons fanés .
Et passant le mouchoir sur votre front eu nage
Avez-vous admiré ? L'homme aime davantage
Les biens qu'il a conq»;.- par ses propres travaux ;
Le plaisir est plus vif s'il vient après des maux.
Laissez là vos juments ; pour le joyeux touriste
La course a plus d'attraits. Peintre , naturaliste .
Musicien , poète , à ces antiques monts
Peuvent tou^ demander quelques émotions.
Je brûlais de le voir cet hôte des nuages ,
Qui lance des torrents , qui nourrit les orages .
Ce lac tant renommé. Je ])ris pour compagnon
— O'.l —
Un ami do Pans , luMilier de Hutloii.
Nous partîmes lous deux , le bissac sur l'épaule
lU le biUou en main, moi rêvant à la Folle,
Lui martelant la pierre vl l'angle du rocher.
I-a verte Salamandre , innocente au toucher ,
Kl ({ue le montagnard avec frayeur évite ,
Sous la ronce à ce bruit >'enruyait au plus \i(c.
Quelle succession de tableaux ravissants !
Tantôt à l'horizon des fantômes tout blancs
Pour la mettre à l'abri des coups de la tempête ,
Lèvent jusques au ciel leur gigantesque tête ;
Le chemin, qui côtoie un double rang de monls,
Suspend le voyageur sur des ravins profonds ;
L'eau de tous les côtés descend avec murmure :
On la goûte vingt fois, elle est toujours si pure !
Au-dessous de la neige , au-dessous des forêts
Sur l'abrupte versant s'échelonnent des prés ,
Ou presque tout le jour le frais règne avec l'ombre....
Tantôt tout le Larboust cl ses hameau.\ sans nombre
— 100 -
Se montrent à la lois : Aventin , Castillon ,
Qu'un récent incendie, agent du noir démon,
Venait de dévorer , et Cazeaux dont le temple
De peinture naïve offre un naïf exemple ,
Et le gentil Oo , village fortuné ,
Séjom-que l'âge d'or n'a pas abandonné....
Panorama sublime ! Et puis dans la science
Nous savions trouver une autre jouissance.
Là le bloc erratique, à nos regards surpris ,
Du combat des Titans présentait les débris ;
Là le rouge grenat , l'épidote , le schiste ,
Les phyllades , le gneis , le quartz , le micaschiste
Tour à tour étalaient aux rayons du soleil
De leurs riches cristaux un mélange vermeil.
Ou bien nous cherchions sous la mousse et les plantes
D'innombrables hélix les coquilles luisantes.
Ou bien nous cueillions, en désignant leur nom ,
La grande violette et le rhododendron ,
La campanule bleue et le safran d'automne ,
— lot —
La saxifrage en loufl'e et le grand pavot jaune.
C'était un vrai plaisir ; l'étranger paresseux,
Qui prise des chevaux le secours dangereux,
Ne l'cprouvîwjaniais. Ainsi nous arrivâmes ,
Ainsi d'émotions s'abreuvèrent nos âmes.
Mais ces rocs aux tlancsgris , ces sapins ebranchos
Et par les aquilons à la terre arrachés ,
Ceseauxqui dans tous sens roulent, grondent, s'élancent,
Ce lierre que les vents sur les grottes balancent ,
Ce froid entretenu par d'éternels glaciers ,
Ces abîmes béants enlr'ouverts sous nos pieds ,
Ce fracas des torrents , ces frémissements vagues ,
Ces bruits mystérieux comme le bruit des vagues ,
Cette roule qui monte et qui monte sans fin,
De sommet en sommet , de ravin en ravin,
Cet aspect , ces beautés changeant à chaque cime ,
N'avaient fait qu'annoncer le spectacle subUme.
VdlCl l»î ItM ,. , .-.(ilul, , «tlltlt S»'( (jlcjd ,
Hohil. Ii»fj(»i(lr Itito (U* oiukw d'I'iÇipifiKo (*) ,
t.iic (|iii loiiriM'R l»«fi(ii(^(u pour «l)r(iMV<5r lojtHngi'x,
J'iii romiiH' MM .f.r)ir H'uvril nu |i»»yn (Irr. oruriUCf» ,
Hlllllt.... 1VX))I)<|U<- IKM!": f|lli l'ù llii>-. (Il ('0 liOU ,
Qui t'o pIfKMi r.) Iifiut. Quiim) I(j ^oufthMlr hn ti
'n^diilt ou UtnUiU l() f«ol (lo Moln^ Vinwv ,
VMao ITApril du fiifit (|ui (huit) fsii (liuic, nMinruixt
l'.n odloMnifil l'i II ri'i) fi (M'CUM^ Ion «hIIom ^
l'*ftN!0 HV(»mI Ir': rn'iiniMi)iillp-.(|iM-l<|Nr iiKui^tic t^nttH itdlit
Qui, piurrt) lo«« Kiolior^ <:o fniydnt un pii^^ufttt
l'I ^rulliuil r)(f Ml {^rilVc, » faruU^ Icdi rlvMfjço ?
(M.^< M(>u<! i|iil l'ii doiuM' pfiin- oiiloui'cr t(5i» ihuwH
'lit ('l^lllllll'l■(l«Mnllnl■. iiux ii'pli^ IdUJoUI'^ li|flli('<«.
l'A'Vi'' pour Irniliilln <|u iimc !••(' «•uf(»nliU(5
A nmw Mtv Uii» UmU l« ncilio lourmnlintî?
Tu (luis Mi'ohl(ui IhM' , 6 Uw ^\ cUii , «d h' nu ,
|.iil'.:(|ll ' r.li(/ll1 l'MVill VK-mI IiIiM'I'. (lillio I.MM CIUI .
(*) Uitno ln|i(iv« "M (lu IdillIttritmiitiMl Irtc de KwHiJr'Jd M l(•^ (lO.,
Il Mil tdfnK» (<«r l'i^pddlMttiiH» (Im Iflr d'I'Iaiildlto f|Ml ImI in^lM» r»«l |IHI
«(<Im1 (Ipo OMllU^ I.»»»» (il<iH>9, Vim i-Imo »I« (l«>t«iU volt /«♦ /.'tfiifitlfnir*
nit l,no it'thi, \m M M. HomI'I*» '•' «-ut fl»» «KlrtOtHte »(*"• rtnlni»»..
«I «Kd'lM'sttUf'tW*^,
l,ors(nrunc fommo alniabU» ol brilli\fit«Mlo jii;\re ,
Sur la hanino l(''p;ôro cflliMiro la surfatH^
Ta oasradr, dont l'honnuo ignore la haulour,
Au civ] a i\\\ ravir \o voilo <lo vapcin-
l>«>iil ollo r«Mnt'lo|>|>o un rayon ilo luniim*
Chaiigo ri\ ntiago «lOr snn hnniido poiissiôro ;
('l»a«juc gnnlle ilovionl \\n rulns , un saphir ;
^ous la voyous touvhor ol luiro cl rebondir ;
Kl loulocla le fait \ine rare panne,
O lae , Iranquille nier , Mjon «le la nalure....
II» unMiv , trois fois heureux ! «]ui pourra «Nuunie no^^
AilnuriM" Ion azur , respirer ton air doux !
.l'ai (lon«^ v»i eel Oo , ce IhéAlre du dran\e.
Te souvenir d'K.dvvanî y poursuivit n\on Aine;
Il me semblait encore o\îïr le monlagnar<l.
F-ooiUons-le à préscivl , c'est lui , c'e^l le Nirillard.
-^<%r% ■
— a Kafant> , ajnulat-il , vous lo?avozsan.^ doute.
A cotte époque Oo n'avait aucune route ;
Dans la saison des froids c'était un lieu désert
Que les ours et les loups fréquentaient de concert.
A peine quand Heurit la verte saxifrage ,
Pouvait on lentement atteindre son rivage,
Et le lac d'Espingo , les Quinze Lac« Glacés
Jamais par l'elran'^er ne furent visités.
~ '108 —
lié bien ! malgré l'obstacle, Irma , la pauvre folle .,
Y parvint ; mais hélas ! pour ouvrir la corolle
De la fleur des tombeaux. Ce que l'ange avait dit
Un mois après le vœu , mes enfants , s'accomplit.
D'Edward, sans cesse Irma revoyait le fantôme.
<( 11 est là , disait-elle , Edward. Le vois-tu comna
« Il me regarde ? Il rit , il m'apî)elle , il m'attend.
« Père , vois , c'est Edward , Edv\ard. Il m'aime tant :
c( Et moi je l'aime aussi ; je suis sa fiancée....
« Père, le flambeau luit , la couronne est tressée ,
<( Vois... Nous allons au Lac, ses flots ont mon épouv
« Ma rivale n'est plus , l'avenir est à nous....
a Vois , vois , c'est bien Edward ! »
Et ces phrases sans suite
Avaient fait redouter quelque nouvelle fuite.
-• 100 —
Du guetlail l'insensée , on ne la quittait i»a>.
Vaine sollicitude attachée à ^cs i)as !
Devant Dieu sa souffrance à la fin trouva grâce ;
Le Dieu juste, parla ,. les anges firent place.
Une nuit.... nuit fatale , épouvantable nuit i:
Le chien du vieux Ray mon hurla dans son reduil
Kt fit entendre au loi»i des aboiements funèbres ;
Sur le toit paternel , un oi?eau des ténèbres
S'abattit en chantant avec des chants plaintif.^ ;
Im brise des forêts en passant sur les ifs
(îémit; et , toul-à-coup sortant d'un affreux rê\c
Ou son esprit voyait un noyé sur la grève .
L'infortuné Raymou éprouva dans le cœur
Vn serrement aigu , présage d'un malheui-.
Oui, ce fut un malheur irréparable, immcnsf.
Kroutez . écoutez.
Irma dans sa démence.
A la faveur de l'ombre , à travers le vallon .
f'ne seconde fois avait fui de Luchoji.
10
— 110 —
Or , courant sans relâche et sans reprendre haleine .
Pareille à ces wyllis qu'un tourbillon entraine ,
Avant qu'à l'Orient l'aurore n'eût paru ,
Les pieds tout déchirés par le sentier ardu ,
Elle eut atteint le lac : « Edward » — l'écho sonore
Répéta seul Edward. — « Ed^^ard , je t'aime encore, i
— Encore, dit l'écho. — « Me voici.... ton Irma. » ~
Et, croyant dans le lac voir celui qu'elle aima,
Elle avance , elle glisse , elle enfonce dans l'onde
En lui tendant les mains. Mais hélas ! l'eau profond»
Sur elle sans pitié se referme ; l'azur
Un seul instant troublé redevient calme et pur.
Tout était dit. Silence , obscurité , mystère
De leur triple linceul recouvrirent la terre.
Pauvre vierge des champs , ce fut là ton destin !!!
Et quand le vieux Raymon arriva, le matin,
Pour chercher son Irma , quand il vit sur la rive
Comme un cvp:nc endormi sous son aile chélivc .
— 111 —
Flotter un corps , quand lui , lui son père , eut dressé
Ce corps tout ruisselant , inanimé , glacé ,
Quand il eut reconnu dans la main entrouverte
Cette fleur par Edward au dernier jour offerte ,
Et , séparant enfin les tresses de cheveux
Qui cachaient le visage à ses avides yeux ,
Quand il eut appuyé sur cette lèvre pâle
Une lèvre tremblante 0 surprise fatale !
Comprenez-vous , enfants , quel fut son désespoir ?
Quel autre événement mieux fait pour émouvoir ?
Qui pourrait l'exprimer ?
« S'écria- t-il , Irma , toi , l'honneur du village,
c< La rose des forêts , le rayon de mes jours ,
« Tu n'es donc plus, Irma !.... De toutes nos amours
u 11 ne me reste plus pas même ton sourire,
« Pas même ton regard , pas même ton délire.
« Folle, c'était beaucoup ; morte, c'est trop, grand Dieu!
'( Quel monstre , quel démon t'a conduite eti ce lieu ?
-. Cet r:ih\ai\l de malheur , est-ce lui ? Dis. ma fille,
Réponds, vois à mes cils cette larme qui brille.
Pitio pour ton vieux père , Irma ; réveille-toi....
<i Lâche ta proie , ô Mort ; Christ , viole sa loi,
if Rends-moi ma fille, ou bien que je meure avec clU;...
'( Aveugle que je suis : la tombe est éternelle,
«c Quand la tombe est ouverte. Allons , allons , Rruno,
«■ Assez de cris , partons , quittons ce lac d'Oo.
(( Puisse un volcan de feu jaillir de nos montagnes
« Et le dessécher 1 Viens , aux anciennes compagnes
u De notre Irma chérie , allons dire ce soir
« De couper leurs cheveux , de mettra un voile noir .
« D'allumer pur l'autel le cierge funéraire .
(( De pleurer comme nous. carP.aymon n'est plus [)iMv.)'
Kt Kaymon , et Bruno, sur deux branches de houx,
Rapportèrent le corps , fardeau pénible et doux ,
•ÏMsqu'au prochain village.
Oh 1 je crois encore être
\ii jour ou retentit le triste chant du prêtre.
— H3 —
Ce jour-là le travail aux près fut suspendu.
Pour suivre le convoi chacun s'était rendu ;
Chacun versa des pleurs et des pleurs bien sincères
Après elle on eût dit tout un peuple de frères ;
Des lys et des liias entouraient son cercueil :
Des vierges la portaient en longs habits de deuil ;
Les pauvres éplorés l'appelaient leur bon ange :
Ce n'étaient que douleur , larmes, regrets , louange,
Enfin on la laissa dans le champ du repos.
Et maintenant , enfants , au milieu des tombeaux
Cu cyprès toujours vert vous indique sa place.
I. orage , de ses pas a balayé la trace ;
Mais Luchon garde encor son pieux souvenir, » —
A peine le vieillard venait-il de finir
Que la foudre gronda dans l'éclatanle nue :
Le ciel semblait sa joindre à l'assemblée émue.
De i'àtre négligé les feux s'étaient éteints ,
Les verres devant nous étaient encore pleins ,
Tant on avait suivi cette touchante histoire.
to.
— {14
« ~ Et Bruno? dimes-nous.
Lui , l'habile chasseur , suspendit son fusil.
^■lll ne le vit depuis aflVonter le péril ;
Et l'ours impunément put déserter son antre.
Le chagrin comme un trait au cœur des homme- entre.
Le chagrin le tua. De la mort de sa sœur ,
Sans cesse en soupirant , il se disait l'auteur.
Il traina quelque mois dans la mélancolie ,
Puis.... à celle d'Irma sa toml>e est réunie.
— Et Raymon
— Accable de peine et de malheu
Baymon pria le ciel de finir ses douleurs ;
Mais le Très-Haut voulut prolonger sa souffrance.
rs
— 115 —
Ilaymon alors, du val devint la Providence ,
11 donna tousses biens : les pauvres , grâce à lui ,
Virent un peu de joie habiter leur réduit.
Haymon a bien gémi , bien soulTert sur la terre ,
0 mes enfants , Raymon dans sa longue carrière
A versé bien des pleurs , Raymon a bien souvent
Appelé , désiré l'ineffable moment
Ou l'ange de la mort, qui sans doute l'oublie ,
D'un coup d'aile éteindra le flambleau de sa vie.
Raymon n'a plus qu'un but , ne forme plus qu'un vœu,
C'est de dire à ce monde un éternel adieu ,
C'est d'offrir au Seigneur sa longue pénitence
Va\ expiation , en prix de chaque offense , .
C'est de rejoindre Irma , sa bonne et douce Irma ;
De la voir , de l'aimer de même qu'il l'aima
^ur cette terre.... Irma , tu me vois , tu m'écoutes ,
N'est-ce pas ? Tu m'attends sous les célestes voûtes ,
0 mon Irma chérie , humble vierge des monts ? > —
Et comme le prophète au front ceint de rayons
Le veillard se dressa. Des larmes abondantes
Roulèrent sur son sein -, et , de ses mains tremblantes
Cherchant dans l'angle obscur son bâton pour sortir,
Sur l'auditoire entier qu'il venait d'attendrir ,
Pleine de gratitude , il promena la vue.
Puis , à moi dont la vie était toute connue :
« Etranger , me dit-il , toi que l'adversité ,
« Malgré ton front sans ride , a déjà tourmenté ,
« Toi qui connais , qui sens les douleur^ de famille
f( Pardonne mes sanglots : Irma , . . . .
C'était mu fille.
g^^^ggg^rr^'yc-
L'UNION DES ARTISTES
PRG\:\E DU HIDI.
( Bureaux à TOULOUSE , allée Louis-Napoléon , 32. )
Ikdacleur en chef: Emile Negrin , place de la Pierre , 26.
Dirccleur- Gérant : Rocamir de la Torre , allée Louis-
Napoleon ,32.
Le but (le ce journal est d'inspirer , de répandre ,
d'encourager le goût des beaux-arts et des belles-lettres. Il
oflre, toutes les semaines, une notice biographique, !-oit
(les artistes morts , soit des artistes vivants de tout le
Midi. On y passe en revue ks cabine's et les collec-
tions des amateurs . les ateliers et les cartons des pein-
tres , afin de donner une idée des richesses artistiques
(le cette partie de la France. Des collaborateurs distin-
gués , M. Fernand Ln garrigue , membre correspondant
de l'Institut , Robert-Victor . président de l'Union des
Poètes de Paris , et Hippoly te Philibert y rendent compte
de toutes les nouvelles artistiques , littéraires et biblio-
graphiques. Le mouvement et le prix de vente des
r>bjels d'art y sont consignés. Des causeries , des cor-
respondances parisiennes , des articles d'actualité , des
nouvelles à la main , quelques poésies inédites donnent
à cette feuille toute la variété nécessaire pour distraire
(]es hautes questions d'esthétique. C'est la première et la
|)lus complète publication de ce genre qui ait paru dans
le Midi.
Prix de l'abonemext : Toulouse , un an , 8 l'r. ; six
mois , D fr. — Départements, un an, 40 fr. ; six mois.
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LA RÉFORME AGRICOLE
Journal des Engrais et des Amendements.
Rédacteur en chef, ?sérée Boubée , Ingénieur agricoU
La Réforme Agricole, indispensable à tout proprié-
taire de terres peu fertiles , publie tout ce qui parait sur
les engrais , amendements, drainage, irrigations, etc.;
tout ce qui intéresse les applications agricoles de la géo-
logie , de la chimie , de la physique , de la zoologie ,
de la botanique , etc. Cette feuille , pour ainsi dire le
Moniteur des fermes , est d'une véritable utilité prati-
que pour les agriculteurs.
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— Quels contes frauks? lue direz-vous. A Paris,
au nionient île \o\yc départ , vous deviez publier un
volume intitulé Contks (V\n.ois. Fst-ee ee même
volume? Ce changement de titre est il un elVei n^tar-
dataire de la conquête des (laules?
- Non, mailre. Ne va pas a f.orinthe ipii veut, et
on n'imprime pas quand on veut.
J'ai cru devoir diviser mes contes en deux séries :
D'un côté, ceux du genre où Lafontaine domine,
où ont brillé Boccace, Brantôme, Marguerite, D'Ou-
ville et Vergier , où TArétin et l'auteur de La
Métromame ont commis des écarts , où la langue
de Rabelais et de Montaigne , adoucie par Marot et
par Voiture, projette des reflets originaux ;
De l'autie côté, ceux de ce genre sans spécialité,
sans limite , sans règles , où Voltaire et Andrieu ont
répandu mille paillettes, où De Resseguier et Viennet
ont cueilli quelques fleurs, où obtient droit de poésie
tout ce qui est intéressant.
Sur le seuil de ce dernier genre, une belle Muse
est postée; elle crie « qui vive?... » aux vers légers
qui se présentent , et pourvu qu'ils répondent
« esprit!... », la belle Muse les laisse entrer.
Mes Contes Fra>ks sont ainsi nommés par simple
opposition a Cotes Gaulois; rien de plus. Si pierre,
paul , Jacques Public leur conteste une valeur litté-
raire, ils ont au moins le mérite d'être nouveaux, ce
qui est peut-être quelque chose : tant de gens
aujourd'hui, vont chercher leurs inventions dans les
recueils de vieux anasî.,.
Quant aux Com-es Gaulois , ils font dans un tiroir
ce que l'héroïne de Perrault faisait dans le bois : j'ai
enveloppé d'une bonne feuille de papier gris la nudité
VJI
de leurs hémistiches, la gaillardise de leurs césures,
et ils dorment.
Dormez votre sommeil, grands hexamètres! Com-
bien de temps dormiront-ils? Demandez-le a cette
Déesse que les anciens représentaient vêtue de
blanc, tenant un sreplre d'une main , un bonnet de
l'autre, et ayant auprès d'elle un joug rompu avec
un chat.
Que voulez-vous î Je n"ai pas l'avantage d'êlre
une intelligence servie par des métaux, comme a
failli dire De Bonald , en définissant les rentiers.
Donc, contentons -nous des Contes Franks. Ils
prennent leur vol de Paris ; Paris daigne les patroner;
bonne chance ! 0 navis ! réfèrent in mare te novi
fluctus
Pouvait-il en être autrement? Parce que la docte
Faculté m'a exilé au pied des Alpes, devais -je
pousser le cri des D'Assas de province ? « A moi
la décentralisation ! » Enfantillage ! La décentra-
lisation des lettres est le grand dada sur lequel
chevauchent les orgueilleux et les sots que la Capitale
a dédaignés.
« Paris ! » répondent-ils « ce Gargantua qui absorbe
tous les hommes d'élite, et d'où rayonnent cin-
quante voies ferrées, se suicide lui-même, comme le
scorpion entouré de charbons ardents. Il veut que
▼III
les magnifiques cités de la France deviennent ses
faubourgs ; ce sont elles qui deviendront des quar-
tiers de Paris. »
Qu'ils comptent la-dessus et qu'ils beuvent frais !
Et cependant cette façon de prophétie a presque
l'air d'être vraisemblable, quand il s'agit de Nice :
Nice, la ravissante Néréide aux noirs cheveux toujours
mêlés de rayons d'or , aux pieds mignons toujours
baignés de flots d'azur , Nice où accourt en hiver
l'aristocratie de l'Europe entière , et qui paraît être
alors le chef-lieu du monde élégant !
Marie De Solms et Alphonse Karr sont bien un
peu de cet avis.
Encore un mot :
J'inaugure ici une modeste réforme dans l'emploi
des italiques, des majuscules, des demi-majuscules,
des tirets et des guillemets. J'en ferai bientôt le
sujet d'un petit traité.
Rancé de la casse î comme cela serait sonore !
Adieu, tout a vous.
Emile Negrin.
LA CONSULTATION
Jeune beauté naguère va trouver
Vieux médecin d'un mérite illusoire
Pour obtenir deux phrases de grimoire
Touchant son front qui la fait endêver.
Docteur alors dont le vice est notoire^
Et qui d'emblée à chacune dit tu:
«Voyons ton sein.-Pourquoi?...-Pour qu'il soit vu.
— Mais c'est le front.... ainsi je ne puis croire...
2
— Eh bien î va-t-en ailleurs, ma chère. » Afin
De mériter l'ordonnance savante,
La pauvre dame aux regards du faquin
Expose donc une gorge charmante.
Le sensuel touche , admire , jouit ,
Et la reluque encor lorsqu'il écrit.
« Yoici » dit-il « ce qu'il te faudra faire. »
La belle sort et , chez l'apothicaire',
Sans l'avoir lu, court porter le papier.
c( Oh ! qu'est cela ? » répond le boutiquier,
Riant plus haut qu'une grosse comparse,
(( Voyez , lisez. » Elle lit. Quelle farce !
D'un rire fol elle pouffe à son tour,
Puis du billet ainsi mis au grand jour,
Dans le pays qu'amuse ce bon tour.
Elle répand mainte copie éparse.
Qu'était-ce donc ? C'étaient propos d'amour.
Bagnères de Lacbon.
LE RÈGLEMENT DU GASCON
Un Gascon s'était marié,
Et, bien qu'il eût écus en caisse ,
A son impatient curé
One ne voulait payer la messe.
Depuis ses noces vainement
Notre homme attendait un enfant
Pour perpétuer sa lignée.
Sa bonne foi fut indiiïnée
Du mensonge du capelan.
« Ah ! » s'écria-t-il a bon jésuite ,
Bon trafiquant de l'eau bénite ,
Ah ! vous me promettiez , sadis t
Dans votre langue hétéroclite ,
Autant d'enfants pour mon logis
Que la mer a de grains de sable ;
Sadis ! et depuis ce temps-là
J'attends le titre de papa
Sadis f la chose est détestable,
Et de mes sous vous n'aurez brin ,
Je vous jure.... » Parole il tint.
Du jour qu'il eut épouse en chambre ,
Trois fois janvier suivit décembre
Sans qu'au presbytère il revînt.
Le dit curé fut las d'attendre ,
Mais dans la crainte d'un esclandre
Oncques il n'osa s'adresser
Au juge , autre mangeur d'épices.
Pourtant ne pouvait renoncer
A de si pieux bénéfices.
Adonc , un matin , furieux ,
Armé des canons de l'église ,
Il court chez l'autre et lui dit: « gueux ^
Paie ou je t'anathématise. »
— (( Sans vous on peut aller aux cieux, »
Répond le gascon « je m'en moque.
J'avouerai donc sans équivoque
Que je vous dois réellement ;
Mais avant de toucher l'argent "
On finit l'œuvre , ce me semble :
Attendez mon enterrement ,
Et nous réglerons tout ensemble. »
Toulouse.
VICTOR OU L'ENFANT DE LA CANNEBIÈRE
Victor
Oh ! que vous êtes belle , iiélène ! Vos grands yeux
Brillent sous leurs longs cils comme une flamme épaisse;
Pareil au lys royal votre front pur se dresse ;
Votre bouche paierait des mondes à des dieux ;
Votre torse qui plie a toute l'élégance
Du flexible palmier que la brise balance ;
7
Vos soupirs sont plus doux que les harpes des deux ;
Le cygne qui des lacs effleure l'eau limpide ,
Neige animée, à peine a-t-il votre blancheur ;
L'enfant des oasis , la gazelle rapide
N'est pas si gracieuse ; à mon àme , à mon cœur
Comme un écho divin votre parole arrive.
Hélène , parlez-moi, parlons de nos amours;
Plus ma tendresse augmente et plus elle est craintive.
Répétez-moi ce mot que j'entends tous les jours,
Que tous les jours je veux une autre fois entendre :
Hélène, m'aimez-vous?
Hélène
Si je t'aime, victor?....
Toi , l'homme tant rêvé , toi , l'amant le plus tendre ,
Toi sans qui je mourrais près d'un mari butor,
Toi que partout j'avoue et j'avouerais encor ,
Dût le poignard m'atteindre ou dût la ville entière
M'appeler adultère et me cracher au front.
Toi, pour qui je suis prête à souffrir tout affront,
Toi, sous les pas de qui je voudrais la poussière
Transformée en jasmins!... 0 victor, mon victor.
8
Oui, je t'aime. Toi seul tu remplis de lumière
La nuit de mon destin. Sans toi, les fêtes, l'or,
Les honneurs sont amers ; sans toi, dans la campagne,
Les fleurs n'ont plus d'arôme et le ciel plus d'azur \
Le pain de tous les jours, sans toi, me semble dur!
C'est que l'on souffre bien loin de l'objet qu'on aime,
0 Victor, et je t'aime... Est-ce vrai que tu crains
Que ce doux mot ne soit un mensonge, un blasphème?
Sur ta mâle poitrine alors que tu m'étreins ,
N'ai-je donc pas traduit tout l'élan de mon âme?
Que faut-il? Que veux-tu? Qu'attends-tu d'une femme?
Je livre à tes baisers tous mes secrets trésors ;
Et, loin de me poser en timide victime.
C'est moi qui dans ton être éveille les trarisports ,
C'est moi qui te recherche et t'appelle et t'anime.
Je voudrais un instant être reine en ce lieu ;
Et je te donnerais mon trône, mon empire.
Mon palais dont l'Estrel eût fourni le porphyre,
Mes tapis où des pieds le moindre bruit expire.
Mes soldats dont le fer lance des jets de feu ;
Et je te donnerais mes coursiers d'Arabie,
Mon char aux essieux d'or, ma cour, mes diamants.
Et la belle oriflamme aux ennemis ravie ,
9
Et les fleurs du triomphe, et mon peuple en orgie,
Et Fantichambre ouverte à mille courtisans!...
Alors je serais fière, heureuse, bien heureuse;
Le doute dissipé me laisserait joyeuse,
Car j'aurais pu montrer mon amour, j'aurais pu
Prouver ce que tes yeux dans les miens ont mal lu.
0 Victor, oui je t'aime. A toi toute mon ame ;
A toi tous mes soupirs ; à toi tous mes baisers ;
A toi ce sein ému qu'un autre me réclame ,
Mes nuits où nous mêlons nos souffles embrasés,
Mon espoir, mes pensers, chaque heure de ma vie,
Ma portion du ciel, tout, tout
Victor
0 mon amie.
Quel amour délirant à ta beauté s'allie !
Aimons : qu'importe, après, le blâme, le trépas?
Qu'importe le malheur? Qu'importe que la terre
Au souffle des démons s'abîme avec fracas?
Que sous nous le chaos s'ouvre comme un cratère?,
Pourvu que nous roulions ensemble dans tes bras.
\0
Hélène
Vous m'aimez donc beaucoup, victor, beaucoup?
Hélène,
Un charme irrésistible à vos genoux m'enchaîne.
Ma vie est une flamme étrange et surhumaine
Qui brûlant par vous seule avec vous s'éteindra.
Hélène
Merci , mon bien-aimé , merci pour ces mots-là,
Victor
Oh! laisse, laisse-moi dérouler chaque tresse;
Que j'étale à flots d'or ta chevelure épaisse
11
Pour y plonger mes doigts. La tendre Comala
Semble t'avoir légué cette blonde parure
Que l'antique Ossian autrefois préféra.
Ton cou, tes blanches mains ornés par la nature,
N'ont pas recours, pour plaire, aux perles, aux saphirs.
Quel délice ! Le musc et' les roses et l'ambre
Des senteurs du harem ont inondé ta chambre ;
Leur arôme à mes sens porte mille désirs;
Mais plus que ces parfums j'aime ta tiède haleine,
0 ma gente sylphide, ô ma fée, ô ma reine.
Aimable fleur cueillie au ciel des vieux Émirs.
Viens, approche ; pour moi sois l'ange des plaisirs ;
Viens m'abreuver de joie, et me griser d'ivresses,
Et me faire bondir sous d'ardentes caresses ;
Viens, tes mains en mes mains, ton cœur contre mon cœur^
Ta lèvre sur ma lèvre, exciter mon délire;
Avec ces mots si doux que toi seule sais dire ,
Viens, au bruit des baisers, me parler de bonheur.
0 ma belle, à ton sein que ma bouche se colle.
Que ma tête s'appuie à ta charmante épaule ;
Et puis fermons les yeux; et puis de nos amours
Enivrons-nous longtemps, lentement... Oh! je t'aime...
Je t'aime
<2
Hélène
Et moi, Victor, je trouverais trop courts
Les siècles à venir et l'éternité même,
Si je pouvais, dans un embrassement suprême,
Les passer avec toi !
Mettons des points ici.
Nous serons dispensés d'en mettre sur les i.
Quand on est deux, qu'on s'aime et que la porte est close.
On laisse à deviner le reste de la chose.
Qu'en pensez-vous, lectrice? Ah! vous avez souri.
Adonc, de ces amants faut raconter l'histoire.
Hélène est mariée à iranquillin Grégoire.
Sans fortune, orpheline, elle a pour tout trésor
Un nom de grand effet, comtesse Du Valdor.
Au bout de quatorze ans, Tranquillin, à Marseille,
En vendant poivre, sel, café, salsepareille,
Avait de beaux louis comblé son coffre-fort ;
Mais des Trois-Épiciers méprisant la roture ,
Il voulut corriger une naissance obscure,
43
Et sur des parchemins marcher comme sur l'or.
A cette fin , il mit son magot aux enchères
Parmi les nobles gueux. Hélène l'emporta.
Contre son nom elle eut toilettes, bonnes chères,
Équipages, valets, hôtels et cœtera;
Et contre son argent Grégoire eut une femme
Qui, pour bien soutenir le rang de grande dame,
Du tablier du mari se fit un falbala. (*)
(•) On a l'habitude, en poésie, contrairement à la prononciation volgairc, défaire
trois sjllabes des mots: tablier, peuplier, baudrier, bouclier, etc., et deux syllabes
des mots: lien, hier, etc. On respecte cependant cette prononciation dans les
mots: poêle, Caen. fouet, goélette, etc., malgré l'orthographe, malgré l'autorité
du tréma. Il nous a par suite paru toujours p!u3 naturel de nous soumettre aux
exigences de l'oreille et, quand nous lisons des vers, de prononcer comme si nous
lisions de la prose. Les licences poétiques ont rapport aux règles grammaticales
mais non aux expressions.
Nous avons, dans cet ouvrage, essaye de limiter l'emploi trop irrégulier des ita-
liques et des majuscules. Les typographes mettent en italiques aussi bien un titre
de volume qu'un calembourg, qu'un nom de gravure ou de navire, qu'où substantif
étranger ou nouveau. Le moyen de s'y reconnaître? On écrit à la fois: Rubens,
c'est-à-dire le célèbre coloriste, et Rubens, c'est-à-dire une toile peinte par lui; on
écrit l'Antiope du Corrége, sans faire une différence entre Antiope, reine des
Amazones, elle tableau superbe du Salon Carré, entre Antiope et le Corrége. D'un
autre cùté, si Ion écrivait la transfiguration de Raphaël avec un t, il semblerait
que Raphaël s'est transfiguré. Une distinction est donc nécessaire.
En voici une assez simple. -
Les noms relatifs à la sculpture, à la peinture, à l'architecture qui sont pour
ainsi dire des demi noms-propies, ne pourrait-on pas les écrire avec une demi-
capitale? Exemple : le Naufrage de la Méduse de Jéricanlt, le Faune de Michel-
Ange, le Panthéon de Soufflot. Plus d'équivoque possible.
On emploirait également la petite capitale pour les noms de tableau ( un
Victor Pyrame est né dans l'orageuse époque
Où Voltaire et Boileau, comme lord Bolingbroke,
Relégués dans un coin et mis à l'embargo,
Expiaient humblement sous un tas de poussière
Le tort d'émerveiller l'Europe tout entière.
Maquet signait Dumas , et les singes d'Hugo
Sans césure hurlaient : si que le romantisme
En ce moment sembla dompter le classicisme.
Teniers, trois Greuse), pour les noms de navires (!a Marie, Tocéan), pour les noms
d'astres ( Mars, Leverrier ), pour les nom? de chevaux, de chiens ( Athos, Fox ),
pour les noms devins (du Bordeaux, du Malaga); et il n'est pas difficile de voir
quelles sont les confusions que l'on éviterait ainsi. On s'en servirait de même
pour les prénoms ( Lucie, Suzanne ) qu'on ne confondrait plus alors avec les
noms patronymiques, car s'il est des gens qui s'appellent Vincent Bernard, d'autres
s'appellent Bernard Vincent.
Règles générales: les titres de journaux, de livres et de pièces de théâtre
s'écriraient seuls en toutes demi-capitales (REVUE FANTAISISTE, ITmÉRAIRE
DE L'ÉGOSSE, LA DAME BLANCHE, LES GENS NERVEUX) ; les motS étrangers,
les archaïsmes, les néologismes, les dénominations industrielles, bref tout ce qui
n'est pas français s'écrirait seul en toutes italiques ( railway, ost, musculature,
eau bahama.)
Pour attirer les yeux sur un terme ou sur on lazzi, on l'encadrerait de minutes
géomé'.riques (la première économie du ménage est de se passer de " citoyenne
officieuse ". Voltaire répondit à une catin qui voulait l'attirer: « tu as beau me
faire " signe " tu ne seras pas ma Léda. »
Les guillemets seraient exclusivement réservés à la reproduction des paroles
d'nne personne ou aux citations d'un auteur, ainsi que l'enseigne la grammaire.
Quant aux tirets, ils ne devraient servir, comme ils ne servaient d'abord, qu'à
marquer le changement d'interlocuteur dans un dialogue Rien ne ressemble tant
à une poignée de vilaines broussailles, que ces pages de porc-épic où les tirets
remplacent aujourd'hui les virgules. 0 Henri Estienne!
45
Les nymphes es forets se couvrirent de deuil ,
Et le Pinde gémit. De Cannes à Nanteuil
Surgissaient, s'agitaient, mouraient plus de poètes
Que la valse ne fait tourbillonner de têtes.
Leurs cheveux, dérivés des rois Mérovingiens,
Sur un habit râpé faisaient pleuvoir la teigne ;
Leur barbe aux vents flottait, vierge encor de tout peigne;
Leurs ongles... Mais, malgré ces charmes olympiens,
Ils étaient " incompris " tous ces joueurs de lyre,
Et pour eux seuls avaient la faim et le délire.
L'abus frappe victor, et pour laisser la faim
Il laisse le délire... Au village voisin,
D'un riche laideron il demande la main.
La paysanne flattée accepte. Chose faite.
Voilà victor rentier. Or, si sa femme est bête,
Si sa femme à Lucas garde une foi secrète ,
Qu'importe?... Question d'excroissance à la tête.
Donc la torche d'hymen allumée aux enfers
Pour les quatre conjoints brûlait tout de travers;
Ce n'était que discorde, ennui, cris, larmes, haine.
Mais bientôt par pitié le bon diable à victor
Fait voir et fréquenter Hélène Du Valdor.
Égalité de goût, égalité de peine,
16
Que fallait-il de plus? La Lucrèce Romaine
N'eût, en semblable cas, point préféré la mort.
De soupir en soupir, de caresse en caresse ,
L'ex-poète parvint au lit de la comtesse ;
Et, depuis lors, tous deux s'aiment éperdûment.
Amour bien naturel. Je vous le dis vraiment:
Quiconque a trafiqué l'union conjugale.
Subira tôt ou tard la peine capitale !
Reprenons le récit. Pendant que nos fripons
Taillaient un habit jaune à ce pauvre Grégoire,
Grégoire voyageait pour l'huile et les savons.
De Beaucaire il devait suivre toute la foire
Avant de rebrousser ; mais un billet discret
Vient lui donner avis de ce qui se passait.
Aussitôt il repart, il retourne à Marseille;
J'ignore SI ce fut en calèche ou par train.
Il s'arme , chez lui monte et frappe à double main :
a Ouvrez, ouvrez. » Hélas! Colette et son Colin
Ahuris, consternés deviennent tout oreille.
«Ouvrez.— C'estmonépoux.— Ouvrez.— MonDieulvictor.
— Ouvrez. — Où te cacher? » D'un violent effort
Grégoire impatient fait voler la charpente.
Quel spectacle ! Sa femme au lit toute tremblante,
Et Victor en chemise au milieu du salon.
« C'est donc vrai, scélérats ? — Pardon. — Pas de pardon.
Si vous faites un pas, vous, monsieur, je vous tue.
Ah! vous vous occupez de m'illustrer le front!
Ah ! vous aimez ainsi la chose défendue!
Vous ne pensez donc plus, monsieur, que vous avez
Une femme. Hé bien ! moi, moi, je me le rappelle,
Et je vais vous montrer d'une façon nouvelle
Comment cela s'arrange entre hommes mariés.
Prenez sur mon bureau cette plume. Écrivez...
Je soussigné, victor François Pyrame,
Propriétaire, au Prado, 80,
Déclare avoir reçu de iranquillin ,
Que j'ai surpris couchés avec ma femme,
Cent mille francs, en billets de sa main,
Moyennant quoi je renonce au dessein
De le traîner par-devant le prétoire.
— Je n'écris pas cela. — Mourez alors. » Grégoire
A ces mots niet enjoué. — « Assez, assez, j'écris. >)
En effet, le reçu fut signé. Quel déboire
Pour l'orgueilleux Pyrame! Il reprit ses habits.
Et très-piteusement regagna sa demeure.
3
48
Hélène à Tranquillin fournit mainte raison
Pour calmer son courroux : en telle occasion
Femme onc ne perd l'esprit. Je crois même, à cette heure,'
Qu'en ménage-modèle on cite leur maison.
Le lendemain Grégoire, au tuyau de l'oreille.
Courut chez ses amis glisser un petit mot :
« Surtout n'en dites rien ; c'est un secret. » Bientôt
L'anecdote égaya tous les coins de Marseille.
Notre Victor eut beau narrer l'événement
Point par point , nul ne crut à son raisonnement.
La vérité parfois cède à la vraisemblance;
Pour de l'argent on fait tant de choses en France !
Il fut Vulcain pour l'autre et payé sans paiement.
La morale du conte est que dans cette vie
La Mort pour nous venger ne vaut pas la Folie ;
Et que, si nous jugeons d'après ce plaidoyer
Le bon tour de Grégoire un tour de son métier,
Il nous faut au rang d'homme élever l'épicier.
ToaloMe.
CE PETIT INSTRUMENT
Tous connaissez un petit instrument
Qu'un mot latin désigne avec emphase ;
Mais savez-vous pourquoi dans une phrase
Ce substantif se glisse insolemment?
C'est qu'en latin on brave impunément
L'honnêteté sans longue périphrase.
Boileau l'a dit, et savons que Boileau
One n'a menti qu'à l'égard de Quinault.
20
Quand il croyait donner les Amériques
Au monde ancien, Christophe lui donna
Quoi?... n'est le but de ces vers marotiques,
Mais si voulez des détails historiques,
François I^'" pour moi les fournira.
De tels cadeaux plus tard la conséquence
Chez les humains fut le dit instrument ;
La faculté par effort de science
Cettui forgea; mais femme seulement,
Lorsqu'elle a trop commis le sacrilège
De violer certain commandement.
De s'en servir possède privilège.
Depuis, dit-on, les malheureux Amours
Quittant bandeau, torche, carquois et flèches,
Plus n*ontosè, même auprès des revêches,
Sans cet outil aborder nos séjours.
Cettui fait voir vérité toute nue
Dedans les corps ; au contraire le mien
Dedans les cœurs fait pénétrer la vue ;
Pouvez m'en croire. Un nécromancien
De qui l'adresse ici n'importe en rien,
N'a pas longtemps, me dit dans une rue :
« Ami, tu sais combien la Faculté
24
De noirs brocards a toujours insulté
Tout novateur par elle redouté,
Et, pour jeter l'épée en la balance,
De quels propos elle a rempli la France
Contre Hahnemann, Raspaïl, Gall et Mesmer.
Je veux céans te la faire connaître ;
Prends-moi ce tube, il t'apprendra peut-être
Que pas encor Gil Blas n'est en enfer.
Il met à nu les arcanes de l'àme ;
S'il sent un peu le fagot et la flamme ,
Ne sois surpris , il vient de Lucifer. »
Dans mon ami je crus voir un Bramine,
A ces mots-là, je crus voir un sorcier,
Albert le Grand, Merlin ou Guillemine,
Et je faillis courir au bénitier;
Mais son départ fit cesser ma panique.
Or donc voulant l'essayer aussitôt.
Je mis à l'œil la lunette magique.
Dieu ! quelle scène empruntée à Callot !
Mille docteurs, qui se faisant la nique
Et se pressant défilaient devant moi,
Qui s'accusaient tous de mauvaise foi ,
Qui n'admettaient pas même la clinique,
Qui s'escrimaient comme des English men
A démontrer qu'on peut sans examen
Et coup sur coup prendre douze clystères ,
Qui, pour avoir l'air savant et profond,
De mots chinois qu'ils ne comprenaient guères
(Chinois et grec sont deux langages frères)
Entremêlaient leur discours furibond.
Encore hélas î à mes pauvres oreilles.
Comme un lointain bourdonnement d'abeilles,
J'entends vibrer cet abracadabra:
Hémiplégie, ostéomalaxie,
Hémiplexie, apepsie, et phthisie,
Bradyspesie , et hypocatharsie ,
Antipraxie, hystérie, asphyxie,
Et dysphagie , et blépharoptosie,
Hypérésie, et hypéresthénie,
Et dyspepsie, et puis hémoptysie,
Et puis un mot qui céans entrera
Sans césure , hystéromotocie ! !
L'un me jetait un dédaigneux regard,
L'autre en passant tirait sa langue épaisse ,
D'autres tout haut, comme un niais en confesse ,
Sur leur état daignaient parler sans fard :
!
23
« Ah! » disaient-ils « que de gens de mérite
Dessus la terre auraient encore un gîte,
Pas s'ils n'avaient d'un fameux médecin
Bien cher payé le secours assassin !
Si Jean est mort, de jean c'est le destin,
Répondra-t-on ; et, de par nos diplômes
Avons le droit d'occire ainsi les hommes ,
Sans rendre compte à nul de nulle mort.
Faudrait au moins , quand sommes en présence
D'un moribond, que fussions tous d'accord
Sur les juleps qu'emploiera la science
Pour l'envoyer bientôt au sombre bord :
Incertitude est fille d'ignorance
En pareil cas. Sachez-le donc enfin,
Tous nos sulfi , sulfates et sulfures
Sont de vains mots pour expliquer des cures
Où comme dans un livre de Cousin ;
Nous voyons clair, c'est du perlinpinpin.
Nous faisons long docto nostro corpôre
Tout bonnement; et vous, peuple naïf,
Tenez ensuite Hippocrate in honore y
Et proclamez en termes de Baïf|
Le doctieur, docte et doctime Ryff !
Allons , public , souffrez que l'on vous dise .... »
n
Et vous, souffrez que je ne dise point,
Lecteur , où jusqu'alla cette franchise :
La Faculté me montrerait le poing;
Or je ne veux me brouiller avec elle.
Qui sait, demain , pour une érysipèle
Si d'un docteur je n'aurai pas besoin ?
Mais quand quelqu'un désirant en cachette
Voir tels qu'ils sont avocat ou nonnette , ,
Envie aura d'emprunter ma lunette
Plus clairvoyante et plus sûre qu'Argus,
Il peut venir frapper à ma chambrette
Et demander messire jEinilius .
Toulouse.
I
LA PYRRHOCOmiADE
Certain poète avait fait à Toulouse
Certain ouvrage où, dans des vers joyeux,
Certaine dame aux roussâtres cheveux,
Marchande honnête et malhonnête épouse,
Etait citée. En Caton menaçant,
II l'accusait d'avoir en sa boutique
De Céladons au visage erotique
Un bataillon sans cesse «rossissant.
«6
« De volupté pendant qu'ils sont tous ivres, »
Écrivait-il « son coffre-fort s'emplit ;
De son commerce Amour lui tient les livres :
Voilà pourquoi tant elle s'enrichit. »
Vite un ami lui porte cet ouvrage ;
Tout ce qui peut bien vexer un ami
Par les amis est annoncé, d'usage.
« Oyez » dit-il « ma chère , oyez céans
Ce que sur vous cet écrivain débite ,
Mais riez-en, car des vers malséants
A votre égard , sont des vers sans mérite.
Votre chef blond qu'on admire en tous lieux
N'est qu'un amas de roussâtres cheveux ;
Pour retirer plus d'argent de vos guêtres
Aux acheteurs vous ouvrez les fenêtres ;
Et, selon lui, ma chère, vos clients,
Tous furent , sont ou seront vos amants.
Tenez, lisez l'abominable page.
Vous pâlissez, ma chère? » Le courage
Las ! lui manquait d'en ouïr davantage.
Or chaque femme, en face d'un péril ,
De l'éviter connaît moyen subtil.
Très-prudemment elle prend une chaise ,
27
Très-prudemment elle s'évanouit ,
Et , grâce aux nerfs, ainsi se met à l'aise.
Toutes le font et la nôtre le fit.
Holà! de l'eau, des odeurs, du vinaigre....
Une apprentie avance, et du corset
A sa patrone allonge le lacet ;
Patrone alors exhale un soupir aigre,
Et rouvre enfin un œil de soupe maigre.
Mais aussitôt l'excès de son chagrin
Fait éclater l'infortunée en larmes :
« Hélas ! » dit-elle , en tendant une main
A son ami « Si voyez mes alarmes ,
Pas ne voyez ce qui me blesse au cœur.
Je vous demande , après tout , que m'importe
Que dans ses vers ce misérable auteur,
De mes amours ait parlé de la sorte?
Les faits sont vrais , littéralement vrais':
J'ai moult amants. A la foi mutuelle
Si mon mari s'était montré fidèle ,
Épouse pure encor je marcherais ;
Mais, papillon de toutes les charmilles,
Du sexe entier il poursuit les attraits ,
De l'atelier il débauche les filles.
2f^
Or, pour punir ses noirs débordements,
Moi je débauche à mon tour les clients.
Ne sont-ce pas de justes représailles ?
Là n'est l'affront.
Ce qui me saute aux yeux ,
C'est un seul mot, mot fatal , mot hideux,
Mot que l'enfer vomit de ses entrailles.
Le mot " roussâtre ". Adjectif odieux !
Mes cheveux blonds , de roussâtres cheveux ?
Roussâtres , eux ? roussâtres ? Quelle injure !
Comprenez-vous, ami? Ma chevelure
Roussâtre elle est. Et mes épais chignons
Que le soleil dora de ses rayons
Roussâtres sont. Et mes charmantes tresses
Qui sur mon cou répandent tant d'ivresses...
Roussâtres sont. Et mes bandeaux mignons
Que mes amants dévorent de caresses
Roussâtres sont. Epouvantable mot
Qu'a dû laisser chez nous leVisigoth!
Rousse, roussâtre!... oh! pour ce mot "roussâtre'
Oh ! je voudrais me quereller, me battre,
Oh! je voudrais le tuer de ma main.
Ce griffonneur, ce scrihe, ce faquin,
Et lui tourner le poignard dans le sein ,
â9
Et le forcer au bord de l'autre monde
A m'avouer que je suis vraifnent blonde ! »
ir
Quitte un instant ton soi-disant vallon ,
Muse des Grecs qui ne vis que de nom ,
Viens accorder ma soi-disante lyre;
Et pour doubler la quantité de vers,
Ce que la rime a fait nommer délire ,
Au lieu de l'eau qu'à des gosiers pervers
Jadis offraient tes sources d'Hippocrène ,
Apporte-moi de cbambertin, d'Aï,
De Malaga , de Bordeaux , de Fleuri ,
Apporte-moi quelque bouteille pleine.
Hui, nous allons célébrer dans ce chant
Une excentrique et plaisante assemblée
Rien que d'amants chez l'amante formée.
Trois jours après que l'ami complaisant
A son amie eut porté le libelle,
Notre héroïne à tous ses amoureux,
30
Afin d'avoir un colloque avec eux ,
Manda l'avis de se rendre chez elle.
Tous sans retard cédèrent à ses vœux ;
Mais pour compter ici leur ribambelle ,
Leibnitz , Descarte , Archimède, Newton
Peuvent venir des bords de l'Achéron
Et suggérer à mon esprit rebelle
Quelque formule, autrement je ne peux
Faire tout seul ce calcul difficile.
De tous les coins et recoins de la ville
On en voyait accourir : nobles, gueux ,
Tailleurs, rentiers, commis, bossus, boiteux
L'un après l'autre arrivaient à la file.
« Entrez , messieurs, dix centimes, deux sous,
Courage , entrez, suivez! » Au bout d'une heure
De ces Lyndors regorgea la demeure.
Pour recevoir son monde, la Roussâtre
Allait , venait , et se mettait en quatre.
Le magasin , l'arrière-magasin ,
L'atelier même arrangés par sa main^
D'un double rang de vieilles escabelles
Offraient à l'œil vingt lignes parallèles.
Chacun prit place et chacun étonné
i
31
Se demandait : « est-ce pour un dîné? »
Vers le plafond, de cette foule immense
Il s'élevait un bruit confus , intense.
Enfin la belle amena le silence ,
Et , d'un air fier comme l'air de Junon ,
De ses soldats passa l'inspection.
Sémiramis , Hachette , Catherine
Et la Pucelle avaient moins bonne mine.
Lorsqu'elle a fait plusieurs tours et détours,
Pour qu'aisément de l'une et l'autre salle
Puisse chacun entendre son discours ,
Au beau milieu cette reine s'étale :
« Mes petits choux » dit-elle « vous savez
Les tristes heurs qui me sont arrivés.
J'ai moult soûlas en si grave occurrence
De voir que nul de vous n'a fait carence,
Du moins parmi les Toulousains; céans
M'importent peu tous ceux du voisinage.
Vous voici tous , Tyroglyphe , Artophage ,
Artepiboule, Agriodos , Phal^ns ,
Lichopinax, toi gentil Pternophage ,
Toi Dexénor qui fus pendant trois ans
Le Barbe-Bleue exécré des amants ,
32
Toi Péléon dont l'amour homérique
Vendit tes cuirs pour fonder ma boutique ,
Toi Lichénor avoué rachitique
Qui dépensas maint et maint bel écu
Pour compenser l'ennui d'être bossu ,
Et toi savant , habile Embasichytre ,
Grand professeur de qui neuf cents leçons
M'ont amenée.... à signer mes deux noms ,
Et toi Toxarte , adorateur en titre
Depuis deux jours, qui sais de mon mari
Croître la corne et rapiécer l'habit,
Vous voilà tous; Psicharpax, Pternoti'octe ,
Méridarpax avec Cnissodiocte
Sont aussi là. Bien , bien ! L'empressement
Qu'avez montré prouve que j'en suis digne;
Vos cœurs brûlés du même sentiment,
Unis en moi , ne font qu'un cœur d'amant.
Adonc, chéris, de ce volume indigne
Que pensez-vous ? Piailler mes cheveux blonds
N'est-ce point là le plus grand des affronts ?
Mé/ûtaient-ils une telle épithète?
Ah ! désormais du courroux d'un poète
Que Dieu me garde ! Il pouvait dans ses vers
33
De mes amours rire à tort , à travers.
Là du pardon il était sûr d'avance ,
Car mes galants onc ne m'ont fait rougir :
J'ai mon principe, ils sont la conséquence.
De Messaline hélas ! la gloire immense
Plus d'une fois m'empêcha de dormir !
Feu la Ninon , la Manon , la De Lorme ,
Phryné , Laïs , Aspasie et consorts
Ont dans l'histoire un paragraphe énorme ,
Et j'ai tenté par d'incessants efforts
De les atteindre! Est-ce mal? Suis-je vile?
Suis-je coupable? Et du reste un amant
Pour la toilette est une chose utile.
Si donc ce mot, ce gros mot.... » Un moment
Elle s'arrête et trépigne et soupire ;
Et les témoins ne sachant trop que dire
Se contentaient d'écouter l'hétaïre.
« Las ! » reprend-elle « ai-je donc la douleur
De n'avoir pu rencontrer un vengeur?
Vous prétendez que le dit opuscule
Est sot, est fol j.est bête, est ridicule ;
Et parmi vous quelqu'un a-t-il l'esprit
De riposter par le plus mince écrit?
4
34
Là de mes maux se trouvait le dictame.
Un grain de sel dans un simple sonnet,
Une piqûre au bout d'une épigramme,
Pour me venger aurait cent fois plus fait
Que tous vos cris, tous vos coups que je blâme,
Et que chacun de vous m'offre pourtant.
Vos cris , vos coups ne me vengeraient guère :
Les cris , c'est bon pour un représentant ,
Les coups, c'est bon pour un wigh d'Angleterre.
Quoi ! mes amants ne peuvent me servir ,
En m'amusant un peu , qu'à m'enrichir !
Vous tous qu'ici même pensée assemble ,
Quoi ! ne sauriez faire un distique ensemble !
Quoi ! je ne puis tirer de vos cerveaux
Un seul quatrain calqué sur Marivaux !
Et cependant vous formez une armée
Devant laquelle eût cédé la Crimée.
Trop oubliez que dans le temps ancien
Les prétendants de dame Pénélope
Faisaient des vers en lui mangeant son bien.
Oh! quel malheur est aujourd'hui le mien!
Que n'ai-je pu dans le café Procope
Vous recruter ! » A ces mots derechef,
35
En sanglotant elle penche le chef;
Or cette fois fut chose générale ,
Car Jérémie est communicatif.
Des assistants la glande lacrymale
Eprouve enfin un prurit excessif;
Leur lèvre tremble, et dans toute la salle
On n'entend plus que des gémissements ,
Des crachements , grincements , mouchements
Renouvelés d'Énée et de Tantale.
Tel, autrefois, chez les Grecs bien bottés,
Pour une drachme on engageait des filles
Qui près d'un mort , par des pleurs achetés
Représentaient le regret des familles.
III
Donc ces bourgeois , à défaut de talent
Pour imiter Gilbert, Boileau , Horace ,
Et pour jeter un ïambe à la face ,
Dedans leur cœur avaient bon sentiment
Et gémissaient. Il est très regrettable
Que Jupiter , depuis mille ans et plus ,
36
Dans son Olympe , à côté de Vénus ,
Ait pour toujours cessé de tenir table ,
Car ce Dieu Belge ores s'empresserait ,
Comme iLle fit à des nymphes d'Athènes ,
De transformer nos héros en fontaines.
Toulouse au moins à cela gagnerait.
De voir ainsi le cercle qui pleurait ,
La belle sent diminuer ses peines.
« Allons ! calmez si nobles désespoirs ,
Fanfans » dit-elle « et rentrez vos mouchoirs.
Nul n'est méchant parce qu'il sera bête ,
Vous le prouvez, et j'en suis satisfaite.
Si la vengeance est le plaisir des dieux ,
Pas elle n'est celui d'une marchande.
N'en parlons plus ; songeons à mes cheveux ,
Moult j'ai souci de m'entretenir d'eux,
Et c'est pour eux qu'aujourd'hui je vous mande^
Vous connaissez cet illustre ténor
Qui fit sauter au plafond sa cervelle
Pour un sifflet. La race humaine est telle :
Si tout ne plie aux genoux du veau d'or,
Si son éclat aux peuples n'en impose
En toute épreuve, en tout temps, en tout lieu.
37
Sur son autel le veau d'or n'est plus dieu ;
Pour une épine on rejette la rose.
Ainsi de moi : je plais à mille , un ose
Me dédaigner. Vite, vite, cherchons
Contre cettui philtres , catholicons ;
Et puisqu'il a dans la même brochure
Tant célébré des filles d'Albion
La vaporeuse et douce chevelure ,
Tâchons d'abord, dans cette conjoncture,
De rendre un peu mon incarnat plus blond. »
Si large idée au fameux Lapalisse
Eut fait envie ; en applaudissements
Aussi se fond la tourbe des amants ;
Voire quittant leur air pleureur et nice,
Tous en gaieté tant et tant font de bruit
Qu*on aurait dit club de Quarante-Huit.
Chacun tout haut donne sa panacée,
Et veut la voir aux autres préférée.
De prospectus, d'affiches, de journaux
Toute une pile est lue et compulsée;
On énumère au moins cent sortes d'eaux :
L'eau bahamaj Veau mésopotamique ^
Et Veau divine, et puis Veau balsamique ^
38
Et puis, venant du latin et du grec,
Veau philocome et Veau capilophile^
Et Veau qu'au temps des fleurs Cannes distille,
Cannes au ciel plus beau que " la Grand'ville",
Cannes où croît le palmier de Québec
Bref, dans les eaux ils se tiennent le bec.
IV
Nous, nous tenons la fin de l'épopée.
Ce qu'il me reste à dire, cher lecteur,
Est un miracle auquel le chroniqueur
Croit comme à ceux de son prédicateur.
Voici le fait : pendant que l'assemblée,
Touchant ces eaiix^ comme un long parlement
Était en proie au long enfantement
D'un simple avis, au fond du bâtiment
Un sourd murmure éclate ; la muraille
Se scinde en deux ; une pâle lueur
Brille ; l'on sent une sauvage odeur
D'ail et de soufre ; et d'un monstre rieur
On aperçoit la gigantesque taille.
A saint Michel un tel rire eut fait peur.
Or de ce rire affreux, méchant, rtioqueur
39
Le susdit monstre accablait l'assemblée ;
Figurez-vous si gaieté fut troublée.
' Vous eussiez vu ces pauvres Dons Juans
S'entrejeter des coups-d'œil délirants.
Dans tous les coins la plupart se blottirent,
Sur l'escabeau plusieurs s'évanouirent,
L'un d'eux d'effroi faillit faire un sonnet,
Un autre Bref le monstre avait des griffes,
Des pieds crochus comme ceux d'un chenet.
Et sur le dos des ailes d'hippogriffes,
Et des serpents en guise de bonnet,
Et, par dessus, deux grandissimes cornes
Comme jamais n'en eurent les licornes.
Ce que voyant, notre groupe marri
Pensa d'abord que c'était le mari.
C'était le diable, oui, le diable lui-même.
Vers la Roussâtre il s'avance. Elle est blême
De terreur. « Fille, ô ma fille, » dit-il
« Sache-le bien, à Fadamique pomme
Quiconque mord sera toujours gentil ;
Plus que beauté luxure attire l'homme.
De tes cheveux ainsi le teint, en somme ,
40
Ou roux ou blond ne change rien en toi.
Mais lorsqu'on damne autant de gens pour moi,
A mon enfer on peut faire la loi.
Je m'en vais donc exaucer ta prière.
N'écoute pas ces muscadins, ils n'ont
Pas plus d'esprit que le banquier Biscon ;
Marche à la Pomme, entre chez ce libraire
Qui des marquis lèche tant la poussière ;
Tu trouveras par tout son magasin
Force in-quarto sur Germaine Cousin,
Tu trouveras de Veuillot et de Gaume,
Par ci par là, maint catholique tome,
Tu trouveras comme un palladium
Des Pères Saints le saint Compendiibi,
Tout ce qui sent, en un mot, l'eau lustrale ;
En te signant entre-z-y ; va chercher
De cette prose ennuyeuse et banale
La quantité qu'il faut pour un bûcher
De la grosseur d'un ventre de vicaire.
Sur ton comptoir le tout entasseras.
Puis, couronnant la pile incendiaire
Avec le gent et coupable exemplaire ,
Le feu toi-même au papier tu mettras,
Puis , pour former un philtre à la Cassandre,
41
Dedans du rhum tu pétriras la cendre,
Et sur ton chef passeras dès ce soir
Cette pommade, au lieu de tant d'eaux sottes.
Salut , ma fille , ou plutôt au revoir. »
Où?.... Mieux que moi le savent les dévotes.
Comme au sermon , sitôt que le curé
A bout de force et de latin s'arrête,
Dans l'auditoire éclate une tempête,
Dès que messer Satan s'est retiré.
Un bruit de voix qui fait craquer l'imposte
Ebranle l'air du zénith au nadir :
C'étaient nos coqs qui chantaient de plaisir
De plus n'avoir devers eux pareil hoste.
Or, cependant qu'ils forment ce concert,
L'un , plus léger que le léger Auster,
S'esquive et court acheter l'holocauste.
Le temps qu'il faut pour le péché d'amour,
Au messager suffit pour son retour.
Coamoureux, allons! faites silence,
Regardez bien: le spectacle commence.
Sur un fragment de ce pie Univers
Dont l'Empereur purgera l'univers,
42
Ayant rangé vingt volumes divers
Entremêlés de billets de confesse,
Elle y posa la brochure traîtresse.
Bientôt la flamme au plafond s'éleva ,
Brilla, tourna, pétilla sans relâche;
Or, d'Abraham si l'on retint la hache,
Le sacrifice ici tout s'acheva.
Les pauvres vers! Et dame Polyandre
Avec liesse en ramassa la cendre.
One elle n'eut, à cette occasion.
Pu supposer qu'une intervention
Viendrait d'en haut ou d'en bas à son aide.
Qu'un tel docteur baillerait tel remède
Pour obtenir des cheveux de Suède ;
Aussi la^joie apparaît dans ses yeux.
Que résulta d'un fait si curieux?
Pas je ne sais si les dits amoureux
Ont conservé leur engouement extrême ,
Mais l'an prochain dans un autre poème
J'annoncerai des roussâtres cheveux
Si la couleur est encore la même.
Toulouse.
UN HOMME A LA MER
Il est un affreux mot jeté dans la tempête,
Et que le vent au loin en mugissant répète
Comme un appel à Dieu contre le flot vainqueur,
Un mot qui fait trembler les marins de terreur.
Qui vers l'onde bleuâtre incline chaque tête,
Et de crainte et d'etfroi laisse l'âme muette,
C'est : (( Un homme à la mer! » Un malheureux des mâts
Est tombé. La rafale avec rage et fracas
Emporte le vaisseau cfu'avec peine l'on guide ;
Il fuit prompt comme un trait, fuit, et le gouffre avide
Ne montre plus bientôt que ses eaux pour mourir.
En vain au sauvetage a-t-on voulu courir,
La corde projetée a suivi le navire ;
44
L'équipage impuissant, et gémit, et soupire.
C'est là tout, c'en est fait. Le matelot perdu
Contre une mort certaine alors lutte éperdu ;
Son corps tout ruisselant bondit de cime en cime,
Et son grand désespoir semble dompter l'abîme.
Il nage, il crie, il tourne, il s'épuise en effort ;
Il s'arrête, il regarde , et puis il nage encor,
Il veut toujours nager ; mais la mer l'environne,
Il cède, entre deux flots un moment tourbillonne.
Lance un baiser d'adieu vers son clocher lointain.
Puis tout est dit. Hélas ! l'Océan est sans fin.
Sa femme, ses enfants, longtemps sur le rivage.
Viendront pour réclamer la victime à l'orage :
L'orage ne rend rien ; écume des autans,
La victime a servi de pâture aux goélands
Mais toujours ce mot là fut-il un cri d'alarmes?
Nenni ; vous allez voir qu'on y trouve des charmes.
Sur un trois-mâts marchand dont je tairai le nom,
Un certain capitaine, ours de mer, vieux barbon,
Ayant de Scharhiar sur la foi conjugale
Reçu quelques avis, s'en allait au Bengale
Avec sa femme à bord. Il supposait ainsi
Que sa tête serait d'excroissance à l'abri.
45
Point ne raisonnait mal , car le " plancher des vaches "
Aux tyrans du ménage offre de rudes tâches ;
Et bien avant l'avare on sait que le jaloux,
Même dans l'âge d'ar, inventa les verroux.
Las!... comme la plupart, il comptait sans son hôte.
Pour amant la mondaine a l'ami, la dévote
A le prêtre, et, de peur de faire exception,
Eve n'a-t-elle pas accepté le démon?
Adonc je ne sais trop sous quelle parallèle,
Pendant qu'il calculait ses distances , la belle
Avec le cambusier, beau garçon, bien charnu.
Épuisait de l'amour le glossaire connu.
C'étaient des demi-mots, des soupirs, des œillades,
Des serrements de mains ; mais, à moins de bravades.
Ils n'osaient faire plus. La nuit , les gens de quart
Jetaient sur le tillac un importun regard,
La nuit , le fin mari dans sa propre cabine
Lui-même calfatait sa moitié féminine ;
Le jour, tout matelot devenait un Argus.
Et pourtant ce que veut un couple, c'est ce plus.
Comment faire? L'esprit dans un cas difficile
En moyens décisifs est quelquefois fertile.
Un soir, notre amoureux au bout d'un soliveau
46
Attache une culotte, une veste, un chapeau,
Et mieux que Vaucanson fait un homme d'étoupe ;
Puis, rampant comme une omhre, il le porte à la poupe,
Le jette incognito dans le liquide amer,
Et d'un ton contrefait crie : « Un homme à la mer!... »
L'épouse l'attendait.
Soudain toute la troupe
A ce cri sur le pont s'élance : la chaloupe
Est mise à l'eau ; le cable est largué ; quelques ris
Pour ralentir la marche à la voile sont pris.
Le cambusier manquait , on le crut la victime.
Or, lorsqu'à le pêcher l'équipage s'anime ,
Entre deux seins de neige autre chose il péchait.
Combien de temps demande un si joli péché?
Lectrice le sait bien. En un clin d'œil le drille
Montra son gai visage à travers l'écoutille.
« C'est vous? je vous croyais sous la dent du requin ;
Sacré mille sabords ! c'était un mannequin ; »
Hurla le commandant « La farce, qui l'a faite? »
Le mousse est accusé ; trente coups de garcette
Lui prouvent qu'il a tort de se dire innocent ,
Et le mari passa sous les lois du Croissant.
Toulouse.
L'AMOUR DES BÊTES
Pas il ne faut s'attacher trop aux bêtes.
Il est des gens , plus ou moins gens de bien ,
Qui, pleins d'amour pour leur chat ou leur chien,
Verraient sans peine égorger un chrétien ;
Icelles gens sont des gens malhonnêtes.
Faut bien porter un peu d'affection
Aux animaux, mais de la loi Gramon
Vouloir parfois jusqu'au prix Monthyon
Les élever , mais d'une pension
48
Leur assurer le gentil bénéfice
Par testament, ce me semble injustice.
Je connais tant d'écrivains malheureux
Qui , sans mentir, le méritent plus qu'eux :
Moi le premier. Je me rappelle encore
Ce char moelleux que clame Roquelaure,
Pour promener ses ignobles barbets ,
Tout au travers de la cité d'Isaure
Faisait traîner par deux grands chevaux bais ;
Elle insultait ainsi l'espèce humaine.
Quant au César de l'histoire Romaine
Qui fit nommer sénateur son cheval ,
C'est qu'il était lui-même un animal.
Par la sambleu ! pour gentille maîtresse
Gardons amour et baisers : une ànesse
Entre nos bras vaudrait-elle un tendron ?
Sur ce, lecteur, je vais à mon sermon
Joindre un exemple. Il était à Toulouse,
Près du musée, un chien nommé nion.
Maigre et couvert d'une sorte de bouse,
Il inspirait aux passants la pitié ;
Mais , tant est vrai que le sentiment blouse ,
Quoique tondu par la gale à moitié ,
49
Du maître encor conservait ramitié.
Ce maître-là , dans une pauvre échoppe
Vendait des cuirs , et, lorsqu'il vous parlait,
Croyant parler le français de Mérope ,
A chaque phrase iceux il débitait.
(( Pourquoi garder un pareil quadrupède ? »
Dis-je moi-même un jour au vieux marchand
« Oncques n'ai vu créature aussi laide. »
— « Ou laid ou bel il est craint du méchant ; »
Répondit-il « sans lui, sans son courage,
N'a pas longtemps , derrière ce vitrage ,
On m'eût volé quatorze mille écus. »
— « Quatorze mille ! Oh! plutôt moins que plus »
Lui répliquai-je. Imprudente parole !
Oser douter que chez lui le Pactole
Coule à pleins bords! Par le barbon marri,
De tous ces mots que l'oreille appréhende
Et dont Gascon a si large provende ,
Jugez commentée dus être agoni.
Donc cet nion puant , malingre et sale
Pour le vieillot, Nisus au front jauni,
A défaut d'autre était un Euryale.
Chaque matin le patron bienveillant
5
50
Du serviteur débarbouillait la gale,
Et chaque soir en laisse le tenant,
Au nez de tous et de tous à la vue ,
Il lui faisait faire au coin de la rue
Ce que jamais n'y fait un habitant.
Or, sérieux comme un juge de Flandre,
Lorsque notre homme, une minute ou deux.
Était forcé patiemment d'attendre
Que le lévrier accroupi de son mieux
Eût bien rendu tout ce qu'il devait rendre ^
Tant l'un et l'autre étaient disgracieux
Que l'un pour l'autre on aurait pu les prendre.
Ah ! quel joli tableau de chevalet
On eut fait là ! Pends-toi , brave Courbet.
Mais Atropos, sur cette rude terre ,
Hommes ou chiens, ne nous épargne guère ;
Nous sommes tous sujets à ses ciseaux,
C'est le destin ! et le vendeur de peaux
Eut , en perdant son compagnon fidèle ,
De cette loi la preuve fort cruelle.
0 nuit terrible, épouvantable nuit
Où retentit comme un coup de tonnerre
Cette ;iouvelle au Saint-Crépin amère :
51
« Hion se meurt, nion est mort!!! » Le bruit
Que le vieillaril aussitôt lit enteudre ,
De leur demeure obligea de descendre
Tou5 les voisins pâles et consternés-
« Qu'est donc cela ? l'on dirait des damnés
Qui de l'enfer arrivent pour nous prendre. »
— « Hélas î voisins , » répond le boutiquier
(( C'est mon nion , mon pauvre et cher lévrier,
Qui dans mes bras vient à l'instant de rendre
Son aboiement suprême, lui, l'Argus
Qui me sauva trente-cinq mille écus ! »
L'argent sauvé croissait de plus en plus ;
Pour mieux prouver qu'nion était habile ,
S'il eût osé, notre homme eût dit cent mille.
La foule enfin laissa le corroyeur
Tout à son aise épancher sa douleur.
Deux amis seuls auprès de lui restèrent
Et jusqu'au jour ensemble sanglotèrent :
C'étaient Tessoun, un tout petit tailleur,
Et Nasutus , un miroitier-doreur.
Trio charmant faisant, dit-on, commerce
De certain goût qu'ont le Turc et le Perse !
52
Adonc ces cris , ces larmes, ce fracas,
Comme jadis au tombeau des Incas ,
Troublant au loin les ténèbres profondes.
Semblaient prédire au moins la fin des mondes ;
Et lorsqu'au ciel revint l'astre brillant,
Lorsqu'il fallut porter mon en terre ,
Que Nasutus, Tessoun et le marchand,
Le front baissé, l'œil mouillé, le pas lent,
Suivirent tous le convoi funéraire ,
On aurait dit le grave enterrement
D'un mainteneur ou d'un apothicaire
Ou d'un faiseur de cantates. Aussi.
Leur jetait-on un regard ébahi,
Et blàmait-on en eux l'excès d'un zèle
Permis à peine aux peuples Indiens.
« Allons! messieurs, » dit une jouvencelle.
Des spectateurs rompant les entretiens
« Laissez chacun pleurer en paix les siens. »
Toalonse.
LE BARON DE
Mil-huit cent quarante-huit, qui bouleversa l'onde
Des nations, dans sa course entraîna le baron De ***.
Il avait, je vous jure , un singulier esprit,
Ce monsieur le baron ; c'est pourquoi mon récit
Commence en son honneur par deux vers romantiques.
Il excellait surtout aux réponses caustiques.
Aussi dans un salon , lorsque chaque invité
S'embêtait en causant avec un embêté ,
(Ce petit barbarisme est ici pour la rime)
54
Si le baron entrait, quelle joie unanime !
On eut cru voir entrer le Curé de Meudon.
<( Que vous êtes gentil , cher monsieur le baron ! »
Les dames s'écriaient ; et lui par rouerie
S'asseyait en riant près de la moins jolie :
La préférée alors l'aimait pour sa bonté ,
Les autres par dépit ; or de toutes fêté,
Et jurant à la blonde, et jurant à la brune
Une fidélité qu'il n'avait pour aucune ,
De chaque poulailler notre homme était le coq.
Mais las! il est tombé sous un bon coup d'estoc,
En duel.
0 Lauzun , Don Juan , Lovelace ,
Vous n'êtes plus ! celui qui suivait votre trace,
Le baron De *** n'est plus! ! Héros de la beauté,
Dieu devrait vous donner son immortalité;
Et pour l'indemniser d'un tel octroi de vie.
De femmes je suis sûr qu'une troupe ravie
En échange offrirait la moitié de ses jours,
La dernière moitié, s'entend. Parles Amours
Le baron sur des fleurs adonc fut mis en terre.
Et qu'importait après que Paris fît la guerre ;
Que sur ce grand théâtre où le monde est en jeu,
55
Du vieux républicain le pubère neveu
Adaptât le bonnet de Phrygie à sa tête ;
Que trois mots, réunis d'une manière abstraite
Pour résumer en eux l'Évangile divin,
Fussent à chaque mur, comme ceux du festin
De Balthazar, écrits en anglaise ou bâtarde ;
Qu'au nez de tous les rois eût monté la moutarde;
Que l'avenir, miiié par des vagues de sang,
Chancelât sur sa base, et qu'un représentant
De vingt-cinq francs par jour fît payer sa faconde?...
Ces dames n'oyaient rien : leur tristesse profonde
Pour cet ami perdu gardait tous les soupirs ;
Sa mémoire longtemps occupa leurs loisirs ;
On citait ses bons mots et ses bonnes fortunes ;
Au cœur des maris seuls il laissait des rancunes.
Los, los à ce baron! Good night ! De profundis t
Adonc je vais narrer une histoire entre dix.
Mais si vous la trouvez, comme Astrée ou Cassandre,
Mal écrite, ma foi, vous pouvez vous en prendre
A ma belle, d'humeur noire depuis deux jours,
Parsqu'elle voit tout jaune. Au temps de ses amours,
A gente châtelaine en robe de velours
Notre dandy plaisait. Du royaume de Tendre,
56
Adorable Clélie , adorable Timandre ,
Ensemble ils parcouraient les adorables lieux.
Un époux existait, mais comme dans les cieux
Existait pour Vénus le fabricant de foudre,
Epoux à. l'œil de qui tous deux jetaient la poudre.
Sans cesse cet époux s'occupait au jardin
A bêcher, à sarcler, à planter ; et Sylvain ,
Ainsi qu'un archevêque au sein de son chapitre.
N'avait de jardinier que le lucre et le titre.
Le maître détestait Sylvain ouvertement,
Et Sylvain détestait le maître sourdement.
Pourquoi? Par cet instinct qui fait qu'un homme flaire
Un ennemi caché sous un ami.
Derrière
Un massif, un chalet avait été bâti.
Là, quand monsieur suant, rouge, à moitié rôti.
Avec regret quittait et radis et concombre.
Monsieur venait chercher et la fraîcheur et l'ombre ;
L'intérieur servait de boudoir à Vénus,
Et se trouve décrit dans le fameux Cyrus.
Or, un jour, à Sylvain passant près la fenêtre
Quelques mots entendus prouvèrent que son maître
Pour être froid mari n'était pas froid amant.
« Bon, je va^ me venger » se dit le garnement.
57
Il galope au castel ; il entre dans la chambre
Sans frapper... Dieu ! dessus un coussin qui sent l'ambre
Madame avait ouvert, sous les yeux du baron,
Le livre intitulé morale en action.
La surprise, d'un niais donne au gars la figure.
Il n'ose plus parler : une même aventure
Au lieu d'une vengeance en procurera deux.
La belle est interdite et baisse ses grands yeux.
Mais le baron bien vite a rompu le silence :
« Je viens de faire ici certaine expérience
De physique, » dit-il, grave comme un recors
« J'ai Ml que la chaleur fait dilater les corps. »
— « Possible ! » répart l'autre « Hében ! cette physique
Au chalet m'sieu z'aussi sait la mettre en pratique.
— Lui? mon mari? le traître! allons-y. »
Le paysan
Comme un tambour-major soudain marche devant ;
De dire n'est besoin si son àme jubile.
Madame vient après, et puis en serre-file
Arrive le baron. Sur les étroits sentiers,
A peine du trio s'impriment les souliers.
Tant il se hâte. Ainsi, dans le siècle d'Horace,
Les nymphes sur les prés ne laissaient pas de trace.
58
Ah! te voici, chalet, objet de leurs désirs,
Coupable protecteur de coupables plaisirs,
Abominable autel où l'horrible adultère
Fait fumer un encens que repousse la terre.
Ouvre-toi sous leur triple et furieux effort!...
Il s'ouvrit... 0 surprise, ô rage, ô déconfort!
Oncques positions me parurent plus louches.
Cinq cris au firmament montèrent de cinq bouches :
c( Est-ce vous? -C'est bien nous ! - Est-ce toi? - C'est bien moi! »
Cas de flagrant délit, cas prévu par la loi.
La Phryné vainement dans un coin s'enveloppe,
Sylvain ouvr« des yeux comme l'œil d'un cyclope.
Il reconnaît... qui donc?... J^vous le donne en vingt...
Je vous le donne en cent... Oh! çe^pauvre Sylvain!...
Devinez Hé bien, donc! il reconnaît sa femme.
Oui, madame Sylvain, la coquine, l'infâme.
Elle, elle!... Et mon Sylvain, qui croyait se venger!
Quel effet théâtral! Tous veulent déloger,
Mais Sylvain les arrête ; il rugit comme un tigre :
« Vous, m'sieu, z'avec ma femme ! Ah saperlotte ! ah bigre !
Qu'j'vous apprenions z'aussi quej'ons vu dans 1' boudoir
La vôtre avec l'baron comme j' venons d' vous voir! x
Toulouse.
LA MÉTEMPSYCOSE
Dans le néant est-ce que la mort jette
Les animaux? Ont-ils un paradis,
Et d'un enfer la flamme qui rachette
Tous les gigots mangés les vendredis ?
Ont-ils une âme et sensible et pensante
Comme leur roi, That is the question.
Locke a dit oui ; Descartes a dit non.
Hé bien! pour clore une discussion
<50
Qui sans cela serait longtemps pendante ,
Au lieu d'une âme admettons-en nouante.
Et pourquoi pas ? N'a-t-on pas vu des chiens
Amis plus sûrs que beaucoup de chrétiens?
Maître renard n'est-il pas le sosie
De don Jésuite ? Un tigre au créancier
Certes ressemble ; un ours vaut un banquier ;
Et franchement l'éléphant de l'Asie
A bien d'esprit trois fois plus qu'un fripier.
Partageons donc l'avis de Pythagore :
« Lorsqu'Atropos a coupé notre fil , '
Nous renaissons et revei^ons» dit-il
« Faire mouvoir un autre c^rps encore.»
Point cependant ne me jugez épris
D'un pareil dogme au fond de l'Inde appris :
Dévots lecteurs m'en feraient trop grand crime ,
Je crois en Dieu quoique je mange gras,
Et de la sorte ores si je m'exprime,
C'est que mon conte est juste dans ce cas.
On peut nier que l'on devienne bête
Après la mort; mais je connais des gens
Qui prouveraient d'une manière nette
Qu'ils durent être animaux dans le temps.
6«
Et, je vous prie, où seraient à cette heure
Ces ruminants que l'histoire nota?
Le bœuf de qui Memphis fut h\ demeure,
La vache ïo , h chèvre que têta
Feu Jupiter, et la petite biche
Qui dans le coin d'une grotte allaita
Geneviève? Or la gent à patte est riche
En renommée ! On connaît le lion
De Damoclès et celui de Florence;
On sait quel fut l'ami de confiance
Du grand saint Roch ; quel fut le compagnon
De saint Antoine, un saint qui dut, je pense,
Aimer la truffe ; enfin de Pelisson
On se rappelle encor la pauvre aragne
Et tout cela serait mort sans retour,
Évaporé comme dans la campagne
Un peu d'aiguaïl aux premiers feux du jour!...
Jà m'est avis que dans le corps des bêtes
Dieu met d'abord des âmes incomplètes.
Des rudiments, et qu'ensuite de là
Il les envoie occuper sur la terre
Celui d'un pâtre , ou d'un vétérinaire,
Ou d'un huissier, ou d'un noir Loyola ;
De là peut-être elles deviennent anges.
62
Ma foi, j'ai lu des rêves plus étranges.
Cette doctrine au moins, de l'imparfait
A l'agrément de monter au parfait :
C'est pas si sot , parbleu ! tout compte fait.
Donc je m'y tiens, et voici mon histoire.
Naguère à Digne existait un prélat
Dont les vertus brillaient d'un tel éclat ,
Que peuple encore en garde la mémoire.
Comme l'apôtre il cédait son manteau,
Au nom du Christ donnait le verre d'eau,
Avait toujours distribué d'avance
Les revenus que lui faisait la France,
Et pour tout bien gardait dans sa maison
Un lit , un banc, un livre d'oraison.
Et puis un âne. Homme des évangiles.
Quant il avait prêché l'humilité.
Au lieu d'aller parcourir la cité
Dans un carrosse à deux chevaux agiles,
Dessus son âne avec peine monté.
Il regagnait à pas lents sa demeure.
D'un tel pasteur l'aumône était meilleure;
Voltaire même aurait pressé ses mains ;
Tant il est vrai que l'exemple aux humains
63
Seul en impose ! Avis à ces évêques
Dont l'équipage écrase les passants.
Du Christ à pied quand reviendra le temps?
Il reviendra pour les kalendes grecques.
Adonc un jour le pontife expira,
S'en fut au ciel , et sur terre laissa
Son lit , son banc, et son livre , et son âne ;
Quant à la mître, un autre en hérita.
Lors le baudet qui n'était pas ingrat,
Plein de chagrin et vide de tisane,
Après avoir langui deux mois, creva.
Or, pour savoir quelle est la destinée
Qu'au mammifère, ainsi mort de douleur,
Les justes dieux par la suite ont donnée,
J'ai consulté certain magnétiseur.
Et sur le bois d'une table tournante
Nous avons vu tracé ce que je chante.
Un quadrupède et si bon et si doux,
Un quadrupède orné d'oreilles telles
Qu'Ignorantin n'en a pas de plus belles.
Un quadrupède ayant sur son dos roux
Porté quinze ans le saint Job à la messe,
f/ir
Et, s'il trottait dans la nuit par hasard
Entre deux clercs qui le menaient en lesse,
N'ayant jamais commis le moindre écart,
Un quadrupède à qui gens de village
Qu'on bénissait rendaient sa part d'hommage.
Un quadrupède enfin que la chanson
Traite partout de maître Aliboron,
(Je vous en fais, lecteur, juge vous-même)
Méritait bien la récompense extrême
De devenir chrétien par le baptême!!!
On l'a fait homme, et n'appréhendez pas
Que j'aille ici par pure espièglerie
Dire qu'il siège en notre académie ;
Trop ce serait y causer d'embarras,
Car sur quarante il en est , je parie.
Vingt qu'on pourrait prendre pour le Midas.
(( Lors J> direz-vous « Quel métier ici-bas
Votre héros Arcadien pratique? »
Pardienne ! il est professeur de musique.
Toulou^e^-
L'HYDROPIQUE.
Près la barrière du Maine
Un gros monsieur s'installa.
Il était si gros qu'à peine,
Quand il allait au-delà
Respirer l'air de la plaine,
Il pouvait, sans perdre haleine.
Marcher au bras d'un garçon
Et courbé sur un bâton.
66
Dans Topinion publique
Il passait pour hydropique.
Les employés de l'octroi
A ce bruit ajoutaient foi;
Mais il l'était, je vous jure,
Comme à peu près vous et moi
Contrebande toute pure !
Son faux ventre était un sac
Dans lequel rhum et cognac
Sans payer entraient en ville ;
Et ce trafic très-habile
Nourrissait le malotru.
Lorsqu'enfin la fourberie
Fut découverte et punie :
c( Jusqu'à présent on a vu »
Dit quelqu'un par raillerie
(( Qu'on mourait d'hydropisie,
Ce monsieur en a vécu. »
P«rî«.
TROIS SOLEILS
0 soleil de Paris, ô soleil sans rayons,
Soleil à qui janvier met un voile de glace.
Fantôme de soleil que je regarde en face,
Es-tu bien le soleil qui flambloie et qui passe
En ce moment sur Canne et mûrit les citrons?
Non , tu n'es pas cet astre éclatant de lumière ,
Ce vieil ami qu'au loin cherche en vain mon regard,
Qui dans mes jeunes ans avait pour tout brouillard
Les fleurs que mes deux mains lui jetaient au hasard;
Va , poursuis tristement ton obscure carrière !
68
Un soleil n'est-il point un disque aux mille feux
Qui commence à briller dès la naissante aurore ,
Brille dans la journée et le soir brille encore ,
Si splendide, si pur que maint peuple l'adore?
Pour des gens ennuyés, toi, lu n'es qu'ennuyeux.
Aussi, piètre soleil, je te préfère même
Cet être bel et fier, aux lèvres de vermeil,
Que du temps de Ronsard on appelait soleil
Comme toi, qu'on disait comme toi sans pareil,
Et qui pourra m'aimer peut-être, si je l'aime.
Oh ! de ces soleils-là le nombre est grand ici :
Aux théâtres, aux bals, à pied, en équipage.
Le long des boulevards, sous le riche passage ,
On en voit comme grains de sable sur la plage
Ou globules mousseux dans un verre d'aï.
Je ne veux point parler de la mère des Gracques,
Des femmes dont le teint rougit sous un regard ,
Mais de celles qui vont couvertes de brocart ,
De qui l'ardent eoup-d'œil pénètre comme un dard ,
Qui boiraient dans un crâne, et ne font pas leurs pàque«.
« Laïs , puisque tu tiens la ceinture d'Amours ,
Je te suivrai , marchons vers ta chambre dorée ,
Voyons si j'ai raison de t'avoir préférée
A ce pâle flambeau de la voûte éthérée,
Indigne d'exister pour de si pâles jours.
— Et que veux-tu de moi? — Je veux que ton cœur m'aime:
Et je te donnerai mon cœur, mes rêves d'or,
Vingt ans qui dans tes bras me rendront souple et fort,
Mes baisers , des baisers à réchauffer un mort,
Des roses sur ton front formant le diadème
— Je connais mon Gesner. . . tranchons. . . combien d'écus?
— J'ai près la côte un champ, des orangers, des treilles,
Du lait pour ta poitrine , une ruche d'abeilles ,
De quoi vivre tous deux sans soucis et sans veilles
Vraiment, gentil soleil, qu'exiges-tu de plus?
Ah! voilà que tu ris à troubler ta demeure!
Je te comprends, soleil encor moins généreux
Que ce pauvre soleil tout morne au haut des deux.
Hé bien ! l'épreuve est faite à présent : à mes yeux
Lui ni toi ne valez le soleil que je pleure! i>
Paris.
LA HAUSSE ET LA BA^SSE
Je vais, de Lapalisse employant le système,
Citer des faits d'une évidence extrême ;
Les curés font maigre en carême ;
Le mistral est un petit vent ;
La Gazette de France, un journal amusant;
Camélia de camelus venant,
Une fleur tout-à-fait honnête ;
L'artiste a beaucoup de crédit,
Le rentier a beaucoup de tête.
Le banquier a quelquefois de l'esprit ,
71
La Rigolboche — et " cœtera pantoufle! "
Non, cher poète, au lieu d'être un Hermès
Ton Lapalisse a l'air d'être un maroufle.
— Hé bien ! lecteur, uno disce omnes.
Certain banquier nommé, je crois, Léandre,
Comme ses confrères voulait
Par des formules de Legendre
Pouvoir tout exprimer et rendre ,
Car sans cela point ne savait
Les plus simples choses comprendre.
A l'Opéra l'attirait-on
Au moyen d'un pompeux programme ,
Deux actes de plus dans un drame
Le décidaient pour l'Odéon.
En mesurant il jugeait la peinture ,
Et vous troquait d'un air de connaisseur
Pour trois mètres carrés de toile de Couture
Un mètre de Rosa Bonheur.
Entre eux il comparait , prose ou vers, les ouvrages ,
En calculant la quantité de pages.
Lorsque chez lui venaient les sœurs
Quêter une fois chaque automne ,
Des pauvres à qui sa main donne
fi
H eut voulu compter les pleurs
Pour proportionner l'aumône.
Que ne compte pas un banquier!
Si nous croyons cette race abrutie ,
Le monde n'est qu'un échiquier :
Qui chiffre bien y gagne la partie.
Léandre adonc voyait certain voisin,
Marchand de laine et de basin,
Fournir à sa gente maîtresse
Linge et robes dont la simplesse
Laissait encore par malheur
De la marge à l'enchérisseur.
Lors il se dit : « cet homme donne un châle ,
Donnons en deux; il donne bijoux d'or,
Donnons rubis ; il lui paie une stalle
Pour aller voir lucie ou léonor,
Payons la loge. » Et le voilà de suite ,
Sur Barème à cheval , prenant un franc essor
Et commençant sa galante poursuite.
Or Philippe disait souvent :
« Il n'est aucune forteresse
Qui puisse résister en Grèce
73
A deux mulets chargés d'argent. »
En France en est-il autrement?
Pour les forts, je ne sais; mais très-certainement
Au prix des mulets seuls une fille vous cède.
Icelle dont s'agit fit bien quelques façons ,
Mais les multiplications
A Léandre venaient en aide.
Hélas ! bientôt notre pauvre marchand
Voit qu'on moissonne dans son champ,
Et qu'avecque beaucoup d'adresse
Or le supplante auprès de sa maîtresse.
Tout furieux il accourt un matin
Vilipender le banquier libertin ;
Mais icelui (c'est ici le miracle,
La rareté plus rare qu'un oracle ,
Le trait qui forme enfin mon argument)
Icelui, dis-je, en sa cervelle épaisse
Trouve un bon mot né l'on ne sait comment,
Et vous répond au mau piteux amant : *
« Que voulez-vous ! mon cher négociant ,
Je suis la hausse et vous êtes la baisse. »
LE POULET A LA COMPATRIOTE
Supposez -vous en pays étranger,
Un jour de fête, au milieu d'une chambre
Très-mal garnie, et n'ayant pour manger
Que du pain sec comme un pauvre Sicambre.
Que feriez-vous ? Croquant un souvenir
Et dégustant quelques noms de liquides ,
Vous vous diriez devant vos poches vides
« Qui dort déjeune », et vous iriez dormir.
Pauvre honnête homme ! Une philosophie
Qui doit si mal remplir votre estomac,
Mérite-t-elle encor d'être sui^ie ?
75
Vous allez voir comment certain Jarnac
A mon égard, en semblable occurrence,
Se comporta. « Mon cher » dit-il « bonjour ;
C'est aujourd'hui la Toussaint, et je pense
Que ce poulet que j'ai pris chez Véfour
Pourra très-bien se joindre à tes compotes.
Donc je m'in\ite à souper. Tu le sais,
On est sans gêne entre compatriotes. ))
Le lendemain , quand messer Rabelais
A mon coucou fit sonner son quart-d'heure,
Du dit rôti , commandé sur mon nom ,
Je dus payer la facture au garçon ;
Mais, il est vrai, pour rien j'eus la leçon.
Qu'en votre esprit cette histoire demeure.
C'est pour souper gratis l'expédient ;
Et si parfois vous soldez une note
Sans la devoir, ajoutez en riant :
« C'est un poulet à la compatriote ! »
Paris.
UN GRASSOIS ET SIX CANONS
Ne sommes plus en ce siècle divin
Où sans détour parlaient Horace et Perse ,
Sur les auteurs procès pleuvent à verse :
Me faut donc mettre un peu d*eau dans mon vin,
Et vous cacher les noms du personnage
Qui de ces vers est le héros. Je gage
Qu'à ces noms-là tenez précisément.
Tant pis ! Je puis vous dire seulement
77
Que le pays où se passa la chose
Est ce pays où Progné se repose
Durant janvier aux branches de citrons ,
Ce beau pays qui guérit les phthisies
A force d'air, d'arômes , de rayons ,
Qui voit les fleurs émailler ses prairies
Pendant que nous à Paris , nous gelons ! ! !
Tel paradis est ou Cannes ou Nice :
Hé bien ! c'est Canne.
A Cannes, sur les fj«ais,
Six gros canons en fonte noire et lisse
Furent un jour lentement débarqués.
D'une tartane aux vastes flancs arqués ,
Ils avaient seuls fait la charge grossie ;
Pour les hisser de la cale afl*aiblie ,
Chaîne, levier, cabestan et poulie
Avaient grincé, craqué, gémi; les flots
S'étaient six fois reculés en furie ;
Et pour les mettre en rang vingt matelots
Avaient sué quatre mois de leur vie
Enfin tous six côte-à-côte placés.
Lumière en bas, sans gardien sont laissés,
78
Comme apparaux frappés de quarantaine.
Adjoints, maïeur, employés du domaine
S'en revenaient causant à haute voix
Des dits canons. Passe un de ces Grassois
Qui pour un sou perdu mourraient de peine :
(( Ores, messieurs, » dit-il en son patois
« Craignez-vous pas qu'un voleur ne les prenne?»
BOUTADE
Ce jour-là il pleuvait, le ciel et les
idées étaient noirs, la Seine
« Le bonheur, mon ami, c'est une ombre craintive ;
Plus nous la poursuivons, plus elle est fugitive.
Quand on va le, chercher sous les zones d'azur,
Il est sous les frimas. C'est un fruit jamais mûr,
Un diamant qu'on voit toujours au doigt des autres,
Un Messie attendu par des milliers d'apôtres
Qui l'ont tué parfois en le méconnaissant
80
— Sans pierre, mon ami, l'orfèvre est impuissant
A reconnaître l'or ; le bonheur sur la terre
Pour qu'on le reconnaisse a de même sa pierre :
La souffrance. Le cœur, après avoir souffert.
Bien plus facilement à la joie est ouvert ;
Et le repos alors au sein de la campagne,
Entre une femme aimée et quelque blond enfant ;
N'est-ce pas le bonheur?
— Ah ! très-bien ! ah ! charmant !
Vous venez de relire à coup sûr Florian.
— Raillez, et néanmoins, lorsque l'ennui vous gagne,
Vous savez comme moi fuir les murs de Paris,
Fuir ses gris boulevards bordés d'arbres en peine,
Et repaître plus loin vos yeux des prés fleuris,
Des monts où naît la source et de l'immense plaine.
— Les champs comme remède , à la bonne heure; mais
Les champs comme séjour continuel, jamais.
— Vous leur préférez donc cette visqueuse boue
De nos places, cet air sans parfum, sans fraîch^eur
Qui ronge les poumons et ,qui ternit la joue?
— Que me dites-vous là? Paris, c'est l'éditeur,
Le théâtre, l'esprit, le luxe, l'Empereur;
Ce sont les monuments, les passages, les fêtes.
— Paris une fois vu n'a plus rien de Paris,
Et sa littérature arrive en tous pays.
Quant aux plaisirs d'aulrui, ce sont des casse-têtes,
Si vous n'y prenez part. Au reste ils sont jolis ,
Ces plaisirs : un repas chez Verdier où l'on mange
Pour de l'or quelques fruits qu'un paysan a pour rien,
Où l'on traîne avec soi ramassée en la fange
Une fille publique, où l'on trouve moyen
De se soûler aux Ilots d'un prétendu Langlade
Fabriqué sans raisin; puis une promenade
A ce Bois de Boulogne où le " camélia "
Racole le butor qui vous remplacera ;
Puis Fabsinthe qui tue, et puis un opéra,
Et puis avec la belle une nuit infamante ,
Et puis nous connaissons les talents de Ricord!!
Des plaisirs de Paris voilà la variante.
Alicanthe à vos yeux , mais toujours Alicanthe,
C'est l'uniformité comme aux vallons.
— Encor
Voudrez-vous avouer qu'elle est bien préférable
7
82
A celle des vallons.
— Personne n'est d'accord
Sur les goûts. L'Océan et la Seine ont un bord ;
Courir sur le bitume ou courir sur le sable ,
C'est courir. Restez donc dans cette orgie aimable :
Qu'est-il besoin de plus? vous avez le bonheur.
Pour moi, je veux les eaux, les bocages, la fleur,
La nature sauvage et les amours du cœur.
J'aime le plein soleil, j'aime le crépuscule,
J'aime les vieux rochers, j'aime la renoncule
Sur ma porte accouplée à l'odorant jasmin,
J'aime le chien joyeux qui me lèche la main
Pour m'éveiller, les chants du coq , et dans l'étable
La vache qui mugit, et sur le toit penchés
Les pigeons attendant les miettes de ma table ,
Et les moineaux voleurs sur les branches perchés
Secouant autour d'eux les perles de l'aurore
0 fière liberté , liberté que j'adore,
0 vendange, ô moisson, ô senteurs de la mer,
0 tempête, ô simoun qui nous viens du désert,
0 pommes d'or jadis prises aux Hespérides,
0 superbe olivier dont le front touche aux cieux,
0 pin géant nourri par les algues humides,
ta
0 lune qui le soir sur les abîmes bleus
Traces vers l'infini ce long chemin de feux,
0 beautés qu'autrefois admirait mon enfance,
Qui m'avez fait poète et que je ne vois plus,
Seul bien contre lequel aux démons apparus
Je céderais mon âme, inutile créance.
Comme dans la légende ose-t-on sans démence
Vous comparer des quais, des trottoirs?....
— Là dessus ,
Je vous laisse rêver, mon cher ; je vous souhaite
Une flûte, des bœufs, des rubans, la houlette,
Et beaucoup de bonheur , si vous le trouvez là.
— Qu'est-ce donc le bonheur? qui le définira? »
Lors mon ami fit une pirouette
Et répondit: « le bonheur, c'est cela. »
COMMENT ON FAIT BANQUEROUTE
En ce pays qu'arrose la Plata ,
A sa négresse un colon expliqua
Ce qu'on entend par faire banqueroute.
« On prend d' autrui les biens et Ton s'en va »
Dit-il « ailleurs vivre de ces biens-là. »
Négresse peu comprend ce qu'elle écoute.
Le lendemain, pendant que le colon
Se promenait dans sa plantation ,
La noire enfant de la brûlante Afrique
En un clin-d'œil dépouille le salon.
Lustre, pendule, étagère gothique,
Chaises^ fauteuils, tableaux, vases chinois
Sont enlevés et montés sur les toits.
Le maître rentre. Il voit dessus sa ferme
Son mobilier pêle-mêle entassé ,
Et, par devant, debout comme un dieu Terme
Et grimaçant ainsi qu'un chimpansé
Notre négresse. « Ah! » dit-il « plus de doute,
Ce vol naïf est un malentendu. »
Lors en riant, du milieu de la route,
A son esclave il crie :. « Hé ! que fais-tu ?. . .
— Maître à moa , H faisons cambaroute, »
Pari».
STANCES MACABRES
Elle avait de grands yeux, Berthe , la jeune fille,
Si grands qu'un cavalier, en passant au galop.
Les vit de loin briller à travers la mantille ,
Pareils aux diamants d'un cortès de Séville,
Et que le cavalier aima Berthe aussitôt.
Le coursier, retenu par les mors blancs d'écume,
Dans son élan sauvage à regret s'arrêta ;
Son pied d'airain frappait le roc comme une enclume.
Sa crinière ondulait sur le garrot qui fume.
On eut dit Eoùs sculpté par Canova.
87
« Aux lisières du bois, enfant de la vallée,
Que cherchez-vous ainsi? » dit l'escuyer galant.
— « Je cherche » répartit la vierge encor troublée
Par l'apparition « cette fleur étoilée
Qui fait savoir combien vous aime votre amant.
— Moi , tout près je connais une grotte secrète
Où bien mieux que la fleur un devin vous dira
Si votre amant vous aime et si son âme est prête
A s'unir à votre âme en un hymen honnête,
Ou si, les amours bus, il vous délaissera. »
— « Très-noble cavalier, » alors s'écria Berthe
« Veux-tu vers ce devin me guider à l'instant ? »
Ils marchèrent. Bientôt sous une ronce verte
La grotte, entre deux blocs comme un cratère ouverte.
Apparut éclairée à peine et tristement.
Ils entrèrent sans peur ainsi qu'en une église :
Et pourtant ce n'étaient qu'horribles détritus ,
Des ossements noircis jonchant la terre grise ,
Bien plus nombreux que ceux des soldats de Carabyse,
Omoplates , sternums , tibias , cubitus ;
Et comme au carrousel le sol sous les comparses ,
Comme au bord de la mer les sables sous les flots ,
Sous leurs rapides pas craquaient les métatarses,
Les vertèbres parmi les humérus éparses ,
Les fémurs entassés sur côtes et frontaux ! !
Devant Berthe à la fin une autre crypte s'ouvre :
Elle voit là des murs plus brillants que les cieux ,
Que les vagues, la nuit, quand l'Océan s'entrouvre ,
Que le Régent fameux conservé dans le Louvre ,
Et néanmoins encor moins brillants que ses yeux ;
Et tout autour, rangés comme une sainte crèche ,
Les plus riches objets , les plus rares bijoux ,
Des chandeliers ayant un rubis pour bobèche ,
Des cristaux où la fleur demeure toujours fraîche
Et des perles à rendre un grand visir jaloux.
Et le devin , au fond , sur un trépied d'ivoire ,
Les regardait venir. Et l'escuyer galant
L'interrogea, disant : « 0 vieillard qu'on peut croire,
Berthe, a-t-elle fait naître un amour illusoire ?
Berthe , a-t-elle au contraire un damoiseau fervent ? »
8ft
Le devin, ayant lu son livre de cabale
Et relu, répondit : « il ne vous aime pas.... »
Puis disparut derrière un angle de la salle.
Et l'escuyer, joyeux d'une joie infernale ,
Ajouta : « tu le vois , les hommes sont ingrats.
Hé bien! enfant , je suis celui que l'homme abhorre ;
Je cherche une beauté qui veuille mon amour.
Depuis Eve je l'ai du couchant à l'aurore
Cherchée en vain , je cherche et je recherche encore ;
Jeune fille aux grands yeux, je te l'offre à ton tour.
Sous tes pieds ont grincé les os des mille femmes
Dont le dédain pour moi fut suivi de la mort.
Tu périras ici comme ces folles âmes ,
Si tu refuses ; mais à moi, seigneur des flammes,
Si tu donnes ton cœur, tu prendras tout cet or. »
Et Berthe préférant la fortune au martyre ,
Après Eve écouta les propos de Satan ,
Bien que le cavalier eût fait place au satyre,
Bien qu'elle rencontrât des lèvres de vampire,
Bien que des doigts crochus touchassent son sein blanc.
90
Or, Berthe maintenant est une démonesse
Occupée à tenter les filles aux grands yeux.
Lorsqu'un beau cavalier vient contre une caresse
Leur promettre velours , bagues , laquais , richesse ,
C'est elle qui détruit leurs scrupules pieux.
P«r»
UN COMMANDEMENT DE L'ÉGLISE
Un humble ouvrier qu'on nommait Nicolas
Et son curé passèrent à trépas
En même temps. Tous les deux à Saint-Pierre
De leurs péchés firent l'aveu sincère.
a J'ai » raconta le craintif prolétaire
« A mon dîner, quoique le vendredi,
Mangé parfois un morceau de bouilli.
Je dois pourtant ajouter pour mémoire
92
Qu'il était froid , qu'avec ce je n'avais
Que du pain dur, et que je ne pouvais
Y joindre même un peu de vin mauvais.
Et cependant au travail pouvez croire
Que lourde était ma part de chaque jour.
— Bien. Maintenant, pasteur, à votre tour.
— Oh! » roucoula le suffisant vicaire
« Moi je suis pur, sans péché. Dieu merci!
Je n'ai jamais manqué le vendredi
De faire maigre. — Et » demanda Saint-Pierre
« Que mangiez-vous? — Tout ce que sur la terre,
En fait de maigre, a permis le Saint-Père
Au saint clergé. Par exemple : du flan,
Du thon, du lait, des huîtres, du merlan,
Des petits pois, des trufl'es^ de la crème,
Certains gâteaux qu'imagina Carême,
Certains beignets soufflés comme ballons,
Les plus beaux fruits des précoces saisons ,
Les plus beaux... — Bien. Et qu'aviez pour boissons?
— Le chambertin, le Bordeaux, le Madère,
L'aï mousseux formaient mon ordinaire ;
Puis le café, le rhum.... évidemment....
— Bien.» dit alors Saint-Pierre d'un ton aigre
« Je m'en vais rendre ores un jugement
93
Dont Salomon se montrerait allègre.
Au paradis, vous, pauvre iNicolas,
Vous ferez gras comme cettui fit maigre !
Et vous, l'abbé, chez le noir Satanas
Maigre ferez comme l'autre fit gras. i>
l'aris
A MODÈLE MODÈLE ET DEMI
Dedans Paris est monsieur Trois Étoiles
Partout connu. Pour sa richesse? Non,
Mais bien plutôt pour charmante façon
Dont il en use. Émaux, sculptures, toiles
Livres, dessins, gravures, objets d'art
Forment chez lui véritable bazar
Où resplendit le soleil du génie.
Ce qui de lui fait un rare amateur ,
96
C'est qu'à la bourse il joint aussi le cœur,
Qu'au lieu d'avoir la stupide manie,
Comme certains connaisseurs réputés,
De trop payer laides antiquités ,
Il paiera prou superbes nouveautés ,
Et de la sorte au sublime bohème
Faira gagner la vie... affreux problème!
Las! il est tant de bêtas gorgés d'or,
Qui pour porter du pain sec à l'artiste
Naïvement attendent qu'il soit mort !
Oh! le talent.... C'est le don le plus triste
Qu'à l'homme Dieu puisse faire au berceau,
C'est de la croix du Christ un lourd morceau ,
C'est sur le front l'épine du Calvaire ,
Un feu qui brûle, un fer qui vous lacère.
Un peu d'espoir pour beaucoup de misère,
Un noir démon qui dans un coin de terre
Avant le temps creuse votre tombeau !
Donc, ennemi de la sotte étiquette
Et de ces gens fiers de leurs pantalons ,
Cettui monsieur n'admet dans ses salons
Que peintre, acteur, musicien, poète,
Aimables ours qui pour toute toilette
Ont leurs pinceaux, leurs notes, leurs chansons.
Aussi quel ris, quels bons mots, quelle fête,
Quelle dépense et de sel et d'esprit!
Des vieux Gaulois la gaieté refleurit ,
Montaigne y trône, et Brantôme y redit
" D'honneste dame aucunes adventures".
Or quelquefois viennent après le thé
Modèles gents de très-gentes tournures,
Sur des tapis , en pleine nudité ,
Tour à tour faire au goût de l'invité
Charges ou bien académiques poses ;
Et de l'art grec plusieurs points débattus
Peuvent alors être sans cris ni gloses
Par le témoin prônés ou combattus.
Un certain jour, à l'agape artistique
Quatre beautés du faubourg Saint-Germain ,
Qui préféraient le Galle au Callotin,
L'olympe au ciel et l'ïambe au cantique.
Daignèrent seoir. Du noble amphytrion
Ayant toujours su la discrétion ,
Elles avaient, pour cacher leur visage
Aux conviés, mis simple loup de page.
97
Lorsque de Reims le liquide bénit,
L'infusion que la Chine fournit ,
Et les gâteaux eurent chez tout le monde
Rendu Toeil vif et la panse plus ronde ,
Sur les tapis des modèles conduits
Selon les us allaient faire des poses.
« Oh! fi! messieurs, dans quels piètres réduits
Avez-vous donc cueilli si piètres roses? »
Dit une dame « et ce sont ces corps nus
Que vous prenez pour types de Vénus? »
Nos invités restèrent bouches closes ;
Ces mots trop francs leur semblaient saugrenus.
« Hé bien! » en chœur crièrent les modèles
Dont le dépit fit briller les prunelles
(( Faites-nous voir si vous êtes plus belles.
— Nous? à l'instant. »
• Toutes quatre soudain,
Se dépouillant d'une fébrile main,
Coupant, brisant le lacet qui résiste
Et déchirant la rebelle batiste ,
En un clin-d'œil, semblables à Cypris,
Lorsque des flots elle sortit jadis ,
Hormis le loup, s'offrirent toutes n les....
Paroles plus n'eurent l'air saugrenues.
8
m
Quels seins mignons , quel galbe , quel contour !
Ni de Pradier les Grâces, du Corrége
Ni l'Antiope, avec ces corps de neige
One n'auraient pu lutter au même jour.
Ivres de joie étaient tous les convives ;
Pas ils n'avaient louanges assez vives
Pour exprimer leur admiration.
« Vrai ! » dit l'un d'eux « à l'Exposition
J'éclipserais niane chasseresse,
Si ces beautés posaient pour mon ciseau. »
— « Erreur, mon cher^ » dit un autre Cortot
En souriant « elles ont un défaut
Que point n'avaient les beautés de la Grèce,
C'est de cacher leurs yeux et leur adresse. »
Paris.
LE PAPE ET LE CONGRÈS
A Bâle étant assemblé le concile
Pour faire un pape, un évêque parla
Et dit : «très-chers, puisque nous sommes là,
Jà m'est avis qu'il nous serait facile
De secouer l'affreux joug du vigile.
Plus ne donnons la tiare et les clefs
A dévotieux, et choisissons pour pape
Quelqu'un qui veuille au maigre de Pagape
Substituer le maigre des poulets. »
1 00
— « Oui-da ! » chacun répondit. — « La viande
Plus que légume est juteuse et friande.
Et comme moi vous devez moult souffrir
De la manger toujours de contrebande.
Sur telle loi nous faut donc revenir.
— Par la sambleu! » s'écrièrent les autres
« Raison avez ; et l'univers verra
Icelle fois succéder aux apôtres
Un théatin qui dira patenôtres,
Mais de la chair vendredi mangera. *
Or, en l'époque, au couvent de Ripaille
Vivait un duc, un bon duc Savoyard,
Ayant bien mis sa couronne à la paille
Afin de ceindre et le froc et la hart,
Mais ayant peu souffert à cela faire.
One en effet ne fut dans monastère
Moine pareil pour mener bonne chère.
C'étaient toujours de succulents festins
Où s'épanchaient à flots les meilleurs vins ;
Et, quand bayaient les coupes épuisées,
Qu'à digérer suaient les capucins ,
C'étaient toujours quelques nonnes grisées
Qui leur servaient l'amour entre deux seins.
40<
A ce duc-là s'arrêta le concile.
On le tira du cloître, et, sous le nom
De Félix V, il géra l'Évangile.
Jugez s'il fut un pape sans façon!
Le Saint-Esprit pour se faire à sa taille
Dut bien descendre ! Et qu'importe aux dévots!
A ce scandale ils ont gagné deux mots,
Car depuis lors manger rares morceaux
En buvant dru se dit " faire ripaille"!
Parii.
IL Y A FAGOT ET FAGOT
Criàtes-vous jamais haro sur l'allumette!
Veuillez lire à l'instant cette humble historiette ,
Et vous crierez après, j'en suis sûr. A Paris
Si les femmes n'ont pas à l'égard des maris
Plus qu'ailleurs de scrupule , en revanche les hommes
Sans y mordre pourraient voir les bibliques pommes,
Du moins les pharmaciens. L'esprit de ces messieurs
Possède ce qu'il faut pour arriver aux cieux.
103
Jugez-en. L'autre soir j'avais mal à la tête,
Je souffrais ce que dut souffrir, en accouchant
D'Arbogastç, Viennet notre " immortel " poète.
Mes tempes dans les mains, demi-fou, trébuchant,
Je cours au boulevard auquel la ville Russe
Prise par Pélissier fit raumônc d'un nom ,
Et, d'un apothicaire enfonçant l'huis profond,
(( De l'opium, monsieur, )> lui criai-je « et du bon.
— Est-ce pourvous? — Parbleu! pas pour lo roi de Prusse:
Vous ne voyez donc pas cette inflammation? —
Je ne puis. — Ne pouvez ! qu'est cela? quelque astuce
De cupide marchand. Je suis fort étonné.
— Et de quoi? L'opium est un succédané
D'arsenic, un toxique, et, sans uM ordonnance
De médecin jamais.... — Je n'en connais aucun,
— Tant pis! — Mais voulez-vous, en eussé-je quelqu'un.
Que j'aille de trois francs augmenter ma dépense
( Car il faudrait payer la visite , je pense)
Lorsque je puis avoir la drogue pour trois sous ?
— Poison.... et sans billet onc ici l'on n'en touche.
— Mais, monsieur, donnez-m'en simplemenlune mouche:
Je me l'appliquerai sur la peau devant vous.
— Poison...^ Avec lequel, de retour dans ma chambre.
Je ne pourrais pas même empoisonner deux rats. —
104
Poison, poison.... — Hé bien! je m'en vais de ce pas
Chez un simple vendeur de poivre et de gingembre
Acheter un paquet d'allumettes , et puis
En les faisant tremper dans de l'eau, je me pique
Avec elle d'occire et vous et votre clique.
Vaut bien la peine alors de faire si grands bruits
Pour un brin d'opium! »
Voilà les us de France ;
A pierre l'on permet ce qu'on défend à paul.
Or j'ai trouvé le mot de cette différence :
Au susdit boulevard fils de Sébastopol ,
De même qu'à Lyon, de même qu'à Fayence,
n faut qu'un médecin vive de l'ordonnance ,
Et fricat asellus asellum. Je le dis
En vérité : toujours on tondra les brebis.
Paris.
MARQUISES ET COMTESSES
Au sommet d'une tour qui déchirait les mies,
Des filles de Lesbos, un soir se rassemblant,
Comme jadis Vénus belles et toutes nues,
Saisirent des Plaisirs la coupe en diamant.
Allez où les hivers ont des rayons splendides,
Et celui qui voudra vous nommer ces beautés
Montrera plus au front de rougeur que de rides ,
Car sur l'orgie à peine ont passé douze étés.
Par les goûts , par l'esprit toutes étaient païennes,
Toutes avaient de l'or, des terres, des valets,
Toutes dans le pays marchaient patriciennes,
Toutes voyaient les. Ris à leur char attelés.
Une dernière fois Laïs à ses compagnes,
Dès qu'elle eut épousé le vieillard Amadys,
Avait voulu chez elle au milieu des campagnes,
Faire encor les honneurs de la vierge Laïs.
Au sommet de la tour qui déchirait les nues ,
Les filles de Tolose aussitôt accourant,
Comme jadis Vénus belles et toutes nues,
Levèrent des Plaisirs la coupe en diamant.
Lorsque des mets exquis venus d'où vient l'aurore
Eurent en nombre immense atïadi leurs palais.
Lorsque les vins fameux eurent à pleine amphore
Coulé blonds comme For ou noirs comme le jais ;
Lorsque ces mets, cesvins eurent troublé leurs âmes,
A l'heure où le soleil dit un tardif adieu
Aux épis déjà mûrs , toutes ces folles femmes
Sentirent dans leurs corps courir un sang de feu :
Alors pensers confus, alors désirs lubriques,
Ainsi que deux flocons, soulèvent leurs deux seins;
P2t repoussant du pied tous les débris bachiques
Elles font une ronde au bruit de leurs refrains.
Au sommet de la tour qui déchirait les nues,
Ces filles de Lesbos de la sorte jouant,
Coirjme jadis Vénus belles et toutes nues,
Savouraient des Plaisirs la coupe en diamant.
Oh ! }> s'écria Laïs a que l'atmosphère est douce !
Oh! que j'aime, mes sœurs, ce déclin d'un beau jour ;
C'est l'instant ou l'oiseau quitte l'abri de mousse ,
Écoutez, il envoie ici ses chants d'amour.
L'amour! Tout est amour dans cette tiède brise
Qui sur nos cous si blancs roule nos noirs cheveux,
Une fièvre d'amour nous consume et nous brise :
Une dernière fois aimons-nous deux à deux.
Et, les bras. enlacés, les lèvres sur les lèvres,
Sentant par le contact frémir de doux trésors,
Groupes de Phidias ou peintures de Sèvres ,
Elles rugirent sous de sauvages transports
108'
Au sommet de la tour qui déchirait les nue»,
Ces filles de Tolose eurent, minuit sonnant,
Comme jadis Vénus belles et toutes nues ,
Epuisé des Plaisirs la coupe en diamant.
Paris.
ALLEZ A IViARSEILLE
L'air de Paris fut de tout temps contraire
A qui n'a pas les poumons îVjEoIus.
Napoléon Troisième aura beau faire ,
Beau démolir , un million et plus
De citoyens entassés sur la Seine
Consommera toujours trop d'oxigène.
Cet air, ainsi privé d'un élément,
Sera toujours d'une façon certaine
Aux estomacs délicats inclément.
Donc , si voyez pâlir votre visage , •
Quittez Paris au plus tôt, sans retard ,
Si non , des bois quand tombe le feuillage ,
A Montparnasse irez en corbillard.
J'ai fait du cas la triste expérience.
Un pur enfant de la pure Provence ,
Un Marseillais, de passage à Paris,
Parsqu'il toussait un peu dans son logis ,
Se crut tout prêt pour le de jjrofundis.
Quiconque tousse est enrhumé, je pense;
Lui , pour pouvoir au chef-lieu de la France
Faire un reproche et vanter son pays ,
Est poitrinaire. Il mande un Hippocrate,
Des Phocéens comme lui descendu ,
Vrai troun~de-V air encore n'ayant vu
Dedans Paris rien du tout qui valut
La Cannebière.
Icelui vient, le tâte
Et dit : « mon cer j, ze sais ce qu'il te faut. »
Puis dans la chambre ayant fait mettre un pot,
Il sort. Un pot de faïence ou de terre?
Qu^importe! Un pot jusques au bord empli...
Empli (le quoi? Parbleu ! la belle affaire !
Empli.... Ma foi! c'est plus facile à faire
Qu'à dire... Empli de certaine matière
Qui que Comment vous exprimer ceci?
Voyons , lecteur , mettez un peu du vôtre ,
Pas dans le pot au moins, il verserait ,
Mais dans ma phrase. Hélas! il se pourrait
Que le mot propre encore moins qu'un autre
Le fût. Allons! je vais passer pour sot
Si je ne fais savoir ce dont ce pot
Etait empli. Pas n'est besoin d'un tome
Pourtant. Voyons! Vespasien à Rome
Se procurait mainte annuelle somme
En revendant le même contenu.
Oh ! pour le coup ! il vous est bien connu ,
N'est-ce pas? Non. Dans ce cas je préfère
Laisser la chose et le terme derrière
Que de parler plus explicitement.
Ce que je puis déclarer sans vergogne,
C'est que parfois, la nuit quand on s'y cogne ,
Si Ton ne voit cette chose, on la sent.
Le lendemain revient le Sganarelle :
(( Mettez deux pots » dit-il. Trois jours après :
112
« Mettez cinq pots. » La poitrine rebelle,
Grâce au remède absorbé par le nez
Descend alors vers le mieux. « En mettez
Quatorze » dit au bout de la semaine
Le médecin. La chambre en était pleine.
Or, résultat vraiment inespéré ,
Noire tousseur enfin n'a plus toussé.
« Ze suis guerrri » cria le poitrinaire.
— « Ah ! » répondit le docteur débonnaire
«( Tu vois, mon ce)\ pour détruire ton mal ,
Ce qu'il fallait à toi , c'est l'air natal. »
UN MARI QUI NE SAIT PAS LIRE
Aimez-vous le loto ? Belmontet en raffole ;
Rigolboche, (aujourd'hui Rigolboche partout
Met son pied) Rigolboche adore ce jeu drôle ;
Et mon héros par gloire en porte un à son cou.
Mon héros est un niais auquel un héritage
Venait de donner droit de rouler équipage ,
Et surtout de donner les moyens arrêtés
De payer chaque soir aux voisins thés sur thés ^
9
144
Pourvu que ses voisins chaque soir se prêtassent
A sa lotomanie, et longuement jouassent.
Un professeur dirait que ces deux subjonctifs
Sont là pour exprimer les plaisirs les plus vifs.
j
Donc, le soir dont s'agit, tous ces gens immobiles
Sur le quine attendu fixaient des yeux fébriles ;
Quand tout-à-coup riant, gambadant et chantant
Au milieu d'eux se jette un fol étudiant :
(( Des numéros que Ton tire
Avec d'absurdes bons-mots ,
Un quaterne qui soupire ,
Des cartons et des nigauds ,
Voilà les jeux de lotos ,
Voilà les jeux de lotos!
— Monsieur, quel est cet air?— L'air desFiLLES de marbre.
— Hé bien ! allez là-bas le chanter sous un arbre,
Et flanquez-nous la paix. » Or, grâce au remuement,
Le damoiseau venait de glisser à l'hôtesse
Une mignonne lettre ; or ce n'est qu'à maîtresse
Qu'on peut remettre un pli si singulièrement ;
Or l'hôte avait surpris le double mouvement ;
Or, quand le tapageur est poussé vers la rue,
# 415
Que madame le suit du cœur et de la vue,
Le mari dextrement plonge dans le tablier;
Or le plongeur, lancé sous une onde inconnue.
De poche se trompant se trompe de papier ;
Or lecteur, j'ai tantôt oublié de vous dire
Que mon pauvre héros hélas ! ne sait pas lire.
Donc souffrant ce qu'on soûle appeler le martyre,
D se tait, mais il brûle, au point que le loto
Ce soir n'aura plus l'air de s'arrêter trop tôt.
Néanmoins, chiffre à chiffre, à l'ordinaire dose
Le loto fut versé. c( Bonne nuit, à demain ! y>
Bonne nuit, c'est facile à souhaiter la chose,
Mais combien de souhaits qui restent en chemin !
Germain, (avais-je dit qu'il s'appelait Germain?)
Depuis qu'il était riche et lavé d'eau de rose ,
Avait fait ce que font tant d'imprudents maris.
Entre madame et lui deux chambres et deux lits.
C'est du plus joli ton, c'est grand genre, c'est noble.
Moi, j'appelle cela délaisser son vignoble.
Et gare les voleurs ! Enfin chacun son goût,
Comme dit le proverbe. En cette circonstance
La bifurcation fut une heureuse chance.
Germaip put en effet, toute la nuit debout.
4«6
Sans crainte de troubler le sommeil de sa mie ,
Se lamenter à l'aise et singer Jérémie.
« Petit vilain feuillet , dire que tu contiens
Germain et son honneur ! Et dire que ma femme
T'aurait lu lorsque moi je ne puis!! C'est infâme.
Ces griffonnages noirs ne sont guère chrétiens
Puisqu'il peuvent ainsi senir à l'adultère ;
On devrait en bannir l'art si pernicieux.
Un saint dont les curés parlent beaucoup en chaire,
Dans ce but à Dijon fit un discours. Tant mieux!
Je suis plus que jamais de son avis. J'enrage.
Voyons ! qui me lira cette illisible page ?
Joseph?... non. Lucien?... Je verrai. Quel qu'il sok,
Celui-là va connaître.... ahi! ma pauvre tête!
A mon âge grandir encor , c'est par trop bête.
Pourtant je veux savoir d'une manière nette
Si madame Germain a violé sa foi.
Suis-je ou non ce qu'on est en semblable occurrence ?
Montré-je cet écrit? Dois-je pas le montrer?
L'amoureux a-t-il eu le front de la nommer ?
Faut-il dans un procès appeler la vengeance?
Entré jaune, un mari sort noir de l'audience ;
Mieux vaut »
i17
Et cœteraj des points en abondance.
Pas n'est besoin , je crois , céans de répéter
Tout son amphigouri: moult lecteurs peuvent être
Ce qu'à leurs yeux Germain sûrement doit paraître ;
Ils savent ce qu'on dit alors en pareil cas,
Ils savent qu'icelui ne se couchera pas ;
Reste à multiplier par une nuit entière
Le peu que j'ai cité du galimatias.
Dès qu'il perçoit le chant si funeste à Saint-Pierre ,
Il court chez un ami : « compère , admire donc
Ce billet-doux soustrait la semaine dernière
A madame Clément. — Bravo! le tour est bon.
Cette prude qui feint de n'aller qu'au sermon!
Montre... Ah! ah! par exemple! ah! ah! laisse-moi rire...
Mon compère, sais-tu ce que c'est? — Hélas! non.
— Une note. — Une note! (à la fin, je respire. )
— Mais de dame Clément cette note n'est brin.
Devines-tu de qui ? — Ce n'est pas fort malin ,
J'aurai confondu.... note à madame Germain.
— Mais devine de quoi. — Pardienne ! de toilette.
— De dents, mon cher, de dents. Ton billet-doux m'a l'air
De devoir pour ta femme être un billet amer.
Lorsque tout le quartier saura ce qu'elle achette ,
448
Car dans tout le quartier je vais à tous venants
Annoncer la nouvelle: elle a de fausses dents.
Et qu'elle vienne après faire encor la coquette ! >
Germain fit demi-tour et rompit l'entretien.
Comme tant de maris trompés il ne sut rien.
« Bah! » dit-il « à présent je puis dormir fort bien ;
Ce qui perd sa mâchoire assurera ma tête. »
LES MIRACLES DE NONNES
Çà ! cfu'elle idée orde se font de Dieu
Tant de dévots qui s'imaginent plaire
A ce dirin et magnanime père
En se donnant des coups sur le derrière
Avec un bout de cordelle ou de pieu !
Si j'étais père un jour, je le confesse ,
Je trouverais drôle que mon enfant,
Pour obtenir de moi quelque agrément,
Vînt sous mon nez se marteler la fesse.
Cettui moyen m'aurait l'air indécent ;
Comment vouloir qu'il plaise au Tout-Puissant ?
no
Dans un couvent de sœurs noires ou grises
(Plus je ne sais comme elles étaient mises)
Certaine avait la réputation
D'être méchante autant que le démon :
Un véritable Hudson Lowe en jupon.
Sœur Crudelis ( c'était là son surnom )
Par sa laideur, par son maintien sévère
Glaçait d'effroi chaque pensionnaire ,
Si que plusieurs, mères en ce moment,
Ne parlent d'elle encore qu'en tremblant ;
Du moins ainsi me l'a dit l'héroïne
Du trait suivant. Icelle était mutine
Plus que pas une écolière. Un jour donc
Elle s'était glissée en la mansarde
Où les nonnains tenaient leur provision.
Dans quel but ? Point cela ne nous regarde ;
Souvenons-nous de ce péché mignon ,
Mignon péché qui tous enfants nous arde,
Duquel Anna pourrait dire le nom ,
Et qu'en secret mainte lectrice garde.
Mais par malheur , la porte fit du bruit.
La maraudeuse au plus vite s'enfuit
Derrière un sac. Alors deux sœurs austères
Entrent ensemble et sans préliminaires
i21
L'une fait voir ce qu'à tous les passants
Nous faisions voir quand nous n'étions pas grands.
L'autre dessus lui frappe en conscience.
Or la frappeuse était sœur Crudelis.
« Ce ne m'étonne, » en elle-même pense
Notre fillette « elle battrait la France,
Elle battrait les saints du paradis. »
Mais , ô stupeur ! voici pas que la branche
Change de main, et que dessus la hanche
De Crudelis les coups crépitent dru.
A cet aspect l'espiègle prisonnière
Fut si contente et se sentit si fière ,
Que sans souci pour le danger couru :
« Tapez plus fort! » hardiment cria-t-elle.
Mot qui vaut bien un mot grec ou romain.
« D'un ange c'est la voix surnaturelle >
Dirent les sœurs surprises. Et soudain
A triple tour s'abattit le gourdin,
Et s'abattit durant une heure entière.
Sœur Crudelis y lai&sa son derrière,
Mais elle avait miraculeusement
Appris qu'un ange a la voix d'une enfant.
Nice.
LA LÉGENDE D'OSCAR
AJis était bien belle. Elle avait dans les yeux
Tous les feux du soleil , elle avait sur la bouche
Un sourire semblable au sourire des dieux ,*'
Elle avait le corps frêle et souple et vaporeux
Des Wyllis qu'un souffle effarouche.
Lorsque sur les crénaux de son ducal manoir
Comme une aire d'aiglons incliAé sur l'abîme ,
Aux clartés de la lune elle rêvait , le soir ,
On eut dit un génie occupé de savoir
Si dans les rocs passait le Crime.
123
Souvent son père ulric , de qui dans les combats
L'ennemi nîort sentit jadis la forte épée,
Des guerres où les rois se battaient en soldats
Et sur le sol conquis se taillaient des états
Contait la Taillante épopée.
Et c'était un contraste aimable et ravissant :
On les voyait assis sur la même escabelle ,
La fille aux bruns cheveux , le vieillard au chef blanc.
Comme d'anciens amis retrouvés devisant ,
La châtelaine était si belle !
Et dans les grands salons aux vieux lambris vermeils
L'enfant du noble preux quelquefois , comme un ange
A qui Dieu pour joujoux donnerait des soleils,
Jouait avec le cor qui sonna les réveils ,
Et le guidon veuf de sa frange,
Et les poignards ayant des chaînes pour baudriers ,
Et les haches de fer, et ces immenses heaumes
Qui pourraient contenir trois fronts de nos guerriers ,
Et ces cuirasses d'or, et ces larges boucliers
Trop lourds à présent pour quatre hommes !
121
Et le duc éprouvait de la joie en son cœur,
Car sa fille était bonne encore plus que belle ;
Pour les serfs elle était la source de bonheur :
Lui tendaient-ils des mains que sécha le malheur,
Elle y vidait son escarcelle.
Or, la joie ici-bas est courte. Le démon
Déteste notre joie autant que l'eau bénite.
Il jeta ses regards sur un vassal félon,
Laid, cruel, mais portant très-haut un rugueux front
Où l'infamie était écrite.
Il jeta ses regards sur ce cruel vassal
Et grommela : « Céans je vais gagner deux âmes. »
Or advint un tournoi ( c'était alors le bal )
Où maint page devait sur un fringant cheval
Rompre des lances pour les dames.
Le vassal y courut , la belle aHs aussi ;
Et la belle aUs fut la reine de la fête.
Or le vassal joutant sur son destrier, la vit,
Et soudain il l'aima d'un amour de maudit,
Terrible comme la tempête.
125
Les carrousels finis , il revint sous son toit.
Là^ troublé'clans son sang, il veillait sur sa couche :
« Je l'aurai » disait-il ce par le Christ! sur ma foi!!
Qui donc me livrera cette duchesse? — Moi. »
Cria Satan d'un ton farouche.
C'était l'heure lugubre où chante le hibou ,
Où le chien fait entendre un aboiement qui navre ,
L'heure où dans son cachot hurle le pauvre fou ,
Où sous la bise froide ainsi qu'un loup-garou
Remue au gibet le cadavre ;
L'heure par les sorciers consacrée aux sabbats ,
L'heure où le voyageur au carrefour des routes
Voit des nains accroupis lui tendre de long bras ,
Où l'impie orgueilleux qui le jour ne croit pas
Fait abandon de tous ses doutes !
<( Tu la veux? » dit Satan. — « Je la veux. » dit oscar.
— « Alis est belle , aHs est la plus belle femme
Qui jamais ait dicté des lois au montagnard !
Je te la liverai demain et pas plus tard,
Mais que me donnes-tu? — Mon âme. »
426
Il avait reconnu Tinfemal visiteur ;
Il prit donc bravement le philtre nécessaire,
Ce philtre pour lequel il eût vendu sa sœur ;
Et qu'il serait allé même prendre en fureur
Dans les entrailles de sa mère.
Voici l'instant. . . Minuit. . . Aux flancs du mont à pic
Oscar grimpe en rampant de crevasse en crevasse ;
Il cherche le balcon de la fille d'ulric ,
Et dans l'ombre il a l'air d'un monstrueux aspic
Qui d'un pauvre oiseau suit la trace.
Allons ! vierge au sein blanc, fraîche et suave fleur,
A de lubriques yeux expose-toi sans voiles....
Plus d'accents, plus de pouls. . . Le philtre est ton vainqueur.
De ses lèvres oscar t'enveloppe... D'horreur
Au ciel s'éteignent les étoiles.
Une griff'e frappa plusieurs coups au carreau :
oc Encor quelques baisers » dit, ivre de délire,
Le damoisel. Un coup retentit de nouveau :
« Encore, encore un peu » cria le hobereau.
On ouït dehors un gros rire.
I
127
L'horrible passion est satisfaite enfin.
Debout ! le créancier réclame sa créance !
Debout! traître vassal! Là-bas dans le ravin,
Un sauvage étalon aux noirs sabots d'airain
Bat le granit d'impatience.
« Me voici » dit oscar. L'autre répondit « viens » ,
Et d'un vol l'emporta sur la bête puissante.
Et, les crins hérissés, sans mors d'acier, sans liens.
Plus prompte qu'un lion des cirques des Païens,
Elle s'élança sur la pente.
Et l'on se dirigeait en face , sans détours.
Et l'animal allait, allait, vivante trombe.
Satan (nos éperons eussent été trop courts)
Lui déchirait les reins qui rendaient des bruits sourds
Comme un soupir dans une tombe.
Au galop ! les cailloux fendus lançaient du feu ;
Les échos répétaient les chocs du pied sonore;
Sur le fonds du seigneur et sur le franc-alleu
Il courait , il volait. Bientôt dans le ciel bleu
De l'Orient monta l'aurore.
128
Au galop ! l'air manquait à la gorge d'oscar.
Demi-mort il voyait paraître, disparaître,
Ainsi qu'un tourbillon, ainsi qu'un cauchemar,
Les cabanes, les blés et les bœufs et leur char
Et les verts branchages du hêtre.
Vite , vite, au galop ! au splendide horizon
L'astre éclatant rendit sa splendide lumière.
Rien n'arrêtait, ni bois, ni coteau, ni vallon:
Une rivière à lui s'offrait-elle , d'un bond
L'animal sautait la rivière.
Au galop ! sur leurs pas les reptiles fuyaient.
Au galop ! tout au tour comme sous la rafale
Les feuilles frémissaient, les herbes s'inclinaient.
Au galop! de la gueule et des naseaux sortaient
Des jets de flammes en spirale.
Au galop! du village accouraient les paysans,
Mais ils ne trouvaient plus que la poussière grise.
Entre eux et les fuyards étaient déjà vingt champs ,
Et l'on n'entendait plus que les rugissements
Du démon passant près l'église.
129
Plus, plus vite, au galop! parfois le chevalier
Murmurait: <( une soif ardente me consume.
Pitié , je tombe. » Alors Lucifer, pour étrier
Mettait ses doigts crochus, et, pour eau, du coursier
En ricanant baillait l'écume.
Au galop, au galop! Et l'Archange du mal
Sans cesse ranimait la fumante monture.
Sur la croupe blessé se tordait le vassal ,
Mais de ses crocs Satan l'y fixait comme un pal
Qu'on plante dans la terre dure.
Et vint le crépuscule.... Et vint encor la nuit....
Et puis encor l'aurore.... Et puis ce fut le terme:
Devant eux apparut la plaine qui reluit ,
Le gouffre gigantesque où chaque torrent fuit ,
La vaste mer qui nous enferme.
Et si là s'arrêta ce funèbre hussard,
C'est que ne pouvait plus à ses brasiers immondes
Echapper la victime engloutie au hasard :
Que craindre ! pour laver de son forfait oscar
La mer n'avait pas assez d'ondes.
Nice.
10
CINQUIÈME AUX MATHEMATICIENS
Dès son berceau la triste humanité
A cherché , cherche et cherchera de même
Jusqu'à sa tombe un quadruple problème :
Produire l'or, d'un rond faire un carré,
Guérir tous maux par un remède unique ,
Et retrouver l'introuvable bonheur.
Or que pensez des trois premiers , lecteur ?
— Rêve. — Et de l'autre? — Encor rêve menteur.
— Ah! vous croyez? Hé bien! moi, je me pique
D'avoir cettui bientôt et sans sueur,
431
Si le bon Dieu veut remplir mon programme :
Cent francs par mois , un jardin , une femme,
Un blond enfant, des livres, des oiseaux,
De la musique, un gros chien , des pinceaux,
La santé , puis le réconfort de l'âme ,
La liberté ; que faut-il donc de plus?
0 Liberté , vierge dont Toeil farouche
Devient si doux pour les fils de Brulus ,
0 Liberté qu'un castel effarouche,
Qui sous le chaume étends la rude couche
Où tu t'endors d'un franc et dur sommeil ,
0 Liberté qui vas nue au soleil,
0 Liberté que tout grand cœur désire ,
0 Liberté qui peux à ton gré rire
Des gueux, des rois, des écrivains, des sots
Sous l'habit noir en notre siècle égaux ,
0 Liberté, fille des vastes flots,
0 Liberté, fleur du ravin sauvage,
0 Liberté, sublime Liberté,
Quand te verrai-je, en pleins champs, sous l'ombrage,
A mes baisers offrant ton brun visage,
Quand te verrai-je assise à mon côté?...
132
Çà! que chanté-je! Avec cette homélie
Veut-il , Thyrtée , aller en Italie?
Lors bon voyage. Essayons , quant à nous ,
De renouer bien ou mal les deux bouts
De notre histoire " à nulle autre pareille."
Mais , par ma barbe ! à propos de bonheur ,
.Je viens, je crois , d'endormir le lecteur...
Hé! holà! hé ! par-là, que Ton s'éveille...
" Je disais donc hier soir au tribunal "
Qu'à rechercher le quadruple problème
Plus d'un mortel était devenu blême ;
Or je n'ai là dit rien d'original.
Pour dire mieux permettez que j'allie
A ce problème issu de l'alchimie
La question que Benoît se posa.
« Dès que les us veulent qu'on se marie ,
Pensait Benoît « que voire sans cela,
Probablement je ne serais point là,
Je dois aussi contracter mariage ;
Mais point ne veuy ouïr ni commérage ,
^'i babil : faut découvrir quelque part
Femme n'osant, au sein de son ménage ,
Oncques parler si ce n'est du regard...
Problème neuf! défi pour la science!
Lors il Courut et parcourut la France,
Et tant courut en quête du phénix
Qu'il en perdit à la fin patience ,
Et qu'il revint, jurant pnr saint Denis,
Dessous son toit savourer le silence.
Que voulez-vous! Benoît ('tait enclin
A l'humeur sombre; il ne supportait brin
Ces niais propos que du soir au matin
Et du malin jusques au soir les belles
Sur pierre et paul savent tenir entre elles.
On lui savait icelle opinion ;
On lui savait aussi force billon ,
Lequel billon mille défauts rachette.
Qu'arriva-t-il? Un rusé Harpagon
Qui possédait ravissante fillette ,
La décida de faire la muette;
Puis h Benoît très-dextrement alla
Répétailler contre le célibat
Tout un sermon de feu l'abbé Roquette.
Lors notre sars fit connaître sa foi.
434
« Ah! » dit le vieux « ah! monsieur de Benoît,
Raison avez : une femme bavarde
Est un fléau ; que le ciel vous en garde!
Mieux vaut rester éternellement coi
Que trop parler, aussi je vous conseille,
Puisqu'à présent vous voici décidé
Avec Hymen de faire un tour de dé.... >
Le vieux se tut et se gratta l'oreille.
— « Conseillez quoi? — Le plus simple moyen
Qu'on puisse avoir de résoudre un problème
Moult ardu. Crac! tranchez le nœud gordien.
Sancho l'a dit et Salomon de même :
Qui ne voudra femme qui parle prou.
Femme prendra qui parle pas du tout. *
— Hé bien ! — Hé bien ! prenez une muette.
— Je l'avouerai, jà dedans mon esprit
Semblable idée était venue ; aussi
Pouvez tenir la chose comme faite.
— Ha ! que ne suis-je assez riche ! — Pourquoi?
— Hélas! j'ai fille et jolie et honnête.
Mais par malheur ou plutôt par.... ma foi ,
Bonheur serait en telles occurrences ,
Si j'étais riche. — Eh! le suis-je point, moi,
Pour deux, pour vingt, voire pour les dispenses?
435
— Pauvre, monsieur, mais muette. — Très bien,
Tope!:»'
Trois jours après cet entretien ,
A la mairie apparaissait le couple.
Ainsi qu'un gant l'Harpagon était souple ;
Il craignait tant de ne pas réussir !
Le tricolore adjoint, pour les unir
Ayant d'abord lu certain paragraphe ,
Dit à Benoît : a mossieu, l'acceptez-vous
Pour votre femme ? — Oui » répliqua Tépoux
Qui signa l'acte avec un beau paraphe.
Le père avare en fut tout éblouï.
« L'acceptez-vous pour mari, mamezelle ? »
Lors ajouta le bleu-blanc-rouge. Icelle
Signa bien vite et puis répondit : « oui. ^
Mc«.
CONTE JAUNE
De ce fait pour que personne
Ne puisse douter, parbleu!
Je dirai qu'un conte jaune
N'est jamais un conte bleu.
Or ce fait est assez drôle,
Comme tout ce qui survint
Du temps de Ledru-RoUin ,
Cavaignac et Picrochole.
137
Les gardes nationaux,
Alors soldats par mégarde ,
Avaient Tair sous leurs shakos
De Suisses sans hallebarde.
Bourgeois, ils montaient la garde
De si bourgeoise façon,
Qu'on sentait que leur galon
Était bien une " sardine. "
En la nuit, souventes fois^
Ils étaient par discipline ,
Quand leur moitié féminine
Dormait sur la laine fine ,
r.ensés dormir sur le bois.
Un matin, un capitaine
Après le réveil sortit ,
Et fut sans reprendre haleine
Chez sa femme encore au lit ,
Il la croyait moult en peine
D'avoir passé loin de lui
Une si, si longue nuit.
0 des maris race vaine !
Il frappe ; elle ouvre, mais tard :
138
Fallait sans doute au regard
Soustraire certain désordre.
Il entre, il aime, il repart;
Du général c'était l'ordre.
Mais admirez le hasard!
Lorsqu'après cette entrevue
Il retourna dans le fort ,
Sa casquette aux filets d'or
D'un filet s'était accrue.
€ Bon! î> dit un bizet plaisant
Qui devinait la bévue
« Il paraît que maintenant
Les femmes font commandant ! »
Nice.
LANTERNE VÉNITIENNE
Tu m'aimes , paola , mon ardente maîtresse ,
Toi dont le Titien eût peint le front bruni ,
Tu m'aimes comme Dieu , plus que Dieu ; mais aussi
Je préfère de toi la plus simple caresse
Aux transports d'une reine.
— 0 noble Luigi ,
Pour toi , rien que pour toi ta paola respire.
■140
— De mon côté, je t'aime, ô rayon de mes jours,
Je t*aime ; mais ce mot je veux seul te le dire ,
Des baisers je veux seul t'en prodiguer.
— Toujours
L'injuste jalousie.
— Oui, toujours. Mon martyre
Naît avec mon bonheur de nos fières amours.
Que ton regard distrait tombe sur un autre homme ,
Je souffre, et pour calmer le mal que je ressens
J'ai besoin de cueillir sur ta bouche un doux baume.
Oh! malheur, si jamais tu me trahissais comme
L'infâme aiuseppa !
— Ces soupçons offensants
Ne sont, mon Luigi, qu'un reflet de vain songe.
—Des soupçons ! c'est plutôt la crainte qui me ronge
Aux lèvres des beautés se plait tant le mensonge î
Malheur si tu passais au bras d'un autre , un jour !
Vois-tu , j'appellerais la Vengeance livide,
J'armerais contre toi ma main de sang avide.
Et de tes seins gonflés par un coupable amour
Je briserais le globe ainsi qu'un verre vide !
til
II
As-tu bien vu , pictro ?
— Monseigneur, au flot noir
Se mêlait le ciel noir, et comme un noir reptile
A glissé la gondole. Ils ont quitté 1b ville.
— Durant une nuit sombre on peut ne pas bien voir.
— Monseigneur a promis des ducats bien sonores ,
Et ma lanterne sourde est fidèle. Bonsoir.
III
Tu m'aimes, n'est-ce pas, paola? Tu m'adores?
— En oses-tu douter ?
— J'en doutais sans pietro.
— Que dis-tu là?
— Je dis que lorsqu'une maîtresse
A trahi son amant ; que le coup saigne trop ;
U2
Qu'une dérision est sous chaque caresse ;
Qu'un homme, fùt-il duc, fût-il prince, a le droit
De bafouer l'amant en le montrant du doigt ;
Qu'à cet homme l'amante a livré toute nue
Sa gorge aux purs contours pour son amant perdue :
L'amant sous son manteau cache un poignard vengeur ,
S'en va chez la maîtresse, et froidement la tue.
IV
Pietro, ma paola, je l'ai frappée au cœur.
J'ai fait comme Othello, ce chef du peuple Maure.
Depuis lors un fantôme, hélas ! à chaque aurore,
Vient finir mon sommeil : c*est elle , paola
Qui sourit tristement. Pietro , cette nuit-là
As-tu bien vu?
— Seigneur , vous m'avez crié : « va
Vois et je te paierai. » L'espion qu'on implore,
Avant tout , veut gagner le ducat bien sonore.
Nice.
FRANCHISE OBLIGE
Un curé dont la panse ronde
Et la figure rubiconde
Prouvaient qu'il plaçait Savarin
Au dessus de Saint -Augustin ,
Passait un jour sur un chemin
En rêvant.... sans doute à Joconde.
Ce joiir était un vendredi.
Tout-à-coup à l'ombre d'un hêtre ,
Il vise un cantonnier blotti
144
Oui, sérieux comme un mufti,
Pour la troisième fois peut-être
Déjeunait. Loin de l'œil du maître
Cantonniers ont tant appétit !
Or, notre vaillant prolétaire
A son pain avait cru devoir
Joindre un morceau de lard. Que faire?
Au sermon comment se soustraire?
Son curé venait de le voir ;
Et, pour comble de désespoir,
De son péché si détestable,
Péché mortel, péché maudit ,
Ses doigts encor dans leur repli
Tenaient la preuve irrécusable.
Fallut se résigner, fallut
Attendre que sur son chef nu
Éclatât le pieux tonnerre.
Mais l'abbé, n'étant plus en chaire.
Sur la différence des plats
Parla sans feinte au pauvre hère :
« Va ! » lui dit-il « ne rougis pas ,
Mon maigre vaut mieux que ton gras, j)
RIRA MAL QUI RIRA LE PREMIER
C'est dedans Alby qu'arriva la chose.
Le curé du lieu , joyeux directeur,
Du déiste fier , du dévot morose
Dirigeait si bien et l'âme et le cœur
Qu'aux pesants fardeaux que l'église impose
A peine on trouvait le poids d'une rose.
Tous allaient à vêpre indistinctement,
Parce qu'après vêpre , aux yeux du bon père ,
Tous pouvaient danser sur la commune aire,
Que voire il payait pour ce l'instrument.
11
146
Los à tel curé ! bravo ! Seulement
Pas il ne voulait que durant l'office
Oncques s'entendit voler moucheron :
Le cher homme avait la prétention,
Lorsque dans sa chaire il fouettait le vice,
D'être sérieux plus que Massillon.
Il disait souvent qu'une légion
De Grassots farceurs , pendant le sermon ,
Point ne parviendrait à le faire rire ;
Or tant le disait qu'on dut contredire.
Une dame, un jour, de le dérider
Au prône, entre amis voulut parier.
L'abbé consentit certain de lui-même.
Un repas pour tous fut l'enjeu. Survint
Fête de ne sais quel illustre saint ;
Le prêcheur devait débiter un thème
A la fois français, gascon et latin,
Qu'il jugeait rivaj du Petit - carême.
Savez-vous quel fut le gai stratagème
Employé? Ce fut petit lapin blanc.
La dame , placée auprès de la chaire ,
Sous son chall tenait l'animal ; et , quand
Le prêtre , poussé par ce sentiment
147
Qui vers un péril, vers une misère
Dont avons horreur nous pousse pourtant,
Tournait malgré lui les yeux vers la dame
Qui de ses regards onc ne le perdait.
Petit lapin blanc soudain surgissait.
« Mes frères , l'avare est un être infâme ;
Saint-Luc jadis.... » Zet ! petit lapin blanc!
(( Je signalais donc l'horrible avarice..... »
Zet ! le lapin blanc! « Le plus affreux vice... »
Zet f petit lapin! « L'avare vraiment
Est des animaux le plus dégoûtant :
Comme un noir eunuque il prive les autres
De ce dont il n'use....» » Et 2et le lapin !
« Voyez Jésus-Christ, voyez les apôtres.... »
Voyez le lapin.
Notre théatin
Avait beau tousser afin de ne rire :
Rire retenir est un tel martyre,
Qu'Heraclite en pleurs, Jérémieen ire
Mêmes n'auraient pu l'endurer. En vain
L'humble Bourdalou vouait à la flamme
L'avare , à l'instar de l'avare brin
Son discours diffus semblait n'avoir d'âme.
U8
Et toujours jeannot sautait, et la dame
Toujours grimaçait. Pauvre parieur !
Plus n'y put tenir. Perdant la mémoire
Et la gravité , le prédicateur
Partit, à la fin et de si bon cœur,
D'un rire si gros que tout l'auditoire
Par contagion en fit tout autant.
Tout le monde rit, jusqu'au lapin blanc.
TABXjE r>E© COIVTJES
La consultation 1
Le règlement du Gascon 3
Victor ou l'enfant de la Cannebière 0
Ce petit instrument 19
La pyrrhocomiade 25
Un homme à la mer 43
L'amour des bêtes 47
Le baron De *** 53
La métempsycose 59
L'hydropique 65
Trois soleils 67
La hausse et la baisse 70
150
Le poulet à la compatriote 74
• Un Grassois et six canons 76
Boutade 79
Comment on fait banqueroute 84
Stances Macabres 86
Un commandement de l'église 94
A modèle modèle et demi 94
Le pape et le congrès 99
II y a fagot et fagot 402
Marquises et comtesses 4 05
Allez à Marseille 4 09
Un mari qui ne sait pas lire 443
Les miracles de nonnes 419
La légende d'oscar 4 22
Cinquième aux mathématiciens 430
Conte jaune 4 36
Lanterne Vénitienne 4 39
Franchise obligé 4 43
Rira mal qui rira le premier 4 45
ŒUVRES D'EMILE NEGRIN
Les Palladiennes ,
La Folle du lac d'Oo,
Vers et rimes,
Lais d'amour,
Sous presse.
Deuxième édition.
Deuxième édition.
Deuxième édition.
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LE 13EÂU CiËL
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LE BEAU CIEL
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LE BEAU CIEL
CANNES,
POÉSIES
EMILE NEGRIN.
TOULOUSE,
TYPOGRAPHIE DE V* SENS ET PAUL SAVY
' Rue Saint-Rome , 4.
1855.
PROLOGUE.
Quid? — NiL
Je ne veux pas mal à propos
Chercher comme tant de poètes
Dans ma jeunesse ou dans mes délies
L'excuse de ces vers nouveaux.
Si c'est bien , pourquoi des trompettes ?
Si c'est mal , pourquoi des défauts?
Les préfaces les plus complèles
Je les résume en douze mois :
Dieu fasse que ces violettes
Pour vous ne soient pas des pavots !
Toulouse, 1855.
ODES.
MA PIPE,
Allons , ma pipe , un peu de la fumée y
Viens m'enivrer de ton parfum divin ;
Contre l'ennui , ma pipe bien -aimée ,
Viens me bercer de tes rêves sans fin.
Lorsque je suis , dans sa marche inégale ,
Ce flot d'azur que ton foyer vomit ,
Qui se balance en légère spirale ,
Qui monte , monte et puis s'évanouit :
Tantôt je rêve une palme guerrière ,
Sur des débris flotte mon étendard
Et sous mes pieds , le front dans la poussière
Des rois vaincus implorent un regard ;
<
— 10 —
Tantôt je rêve un laurier poétique ,
Le siècle a fui , ma lyre vibre encor
Et l'avenir sur le marbre historique
Grave mon nom en caractères d'or ;
Tantôt je rêve amour , baisers , sourire
J'ai senti battre un cœur à mon côté ,
Ou sur un sein palpitant de délire
Ma lèvre avide a bu la volupté.
Et tant qu'aux cieux se déroule et s'élève
En tournoyant ta joyeuse vapeur ,
la douce pipe , ainsi de rêve en rêve ,
on âme vole et trouve le bonheur.
Allons , ma pipe , un peu de ta fumée
Viens m'enivrer de ton parfum divin ;
î| Contre l'ennui , ma pipe bien-aimée ,
Viens me bercer de les rêves sans fin.
Cannes. 1849.
— 44 —
LA COTE.
Lorsque l'ouragan siffle et gronde ,
Que hurle la lame profonde
Aux flancs des rochers isolés ,
J'aime à voir la blanche mouette ,
Comme une enfant de la tempête ,
Raser les flots échevelés ;
Puis, quand les hôtes du bocage ,
Sous les pins qu'a plies l'orage ,
Ont appelé par leurs concerts
Le pêcheur hors de sa chaumière ,
Et que l'aube de sa lumière
Fait resplendir le sein des mers ,
— 12
J'aime à voir les barques légères ,
Comme des ombres passagères ,
S'évanouir dans le lointain ,
La goélette qui se balance ,
Hésite un instant et s'élance
Aux brises fraîches du matin ,
Le port où s'agite la foule ,
L'immensité qui se déroule
Sous l'impuissance du regard ,
Notre île aux légendes pieuses ,
Et les vagues capricieuses
Qni bondissent de toute part ;
Et puis , le soir , dans la mâture ,
La voix du mousse qui murmure
Les ballades de son pays ,
L'écueil où le phare s'allume ,
Où les eaux laissent leur écume
Et le goëlan ses petits ,
Les feux argentés de la lune ,
L'ombre rêveuse de la dune
D'où l'oiseau des nuits prend l'essor
Et les avirons qui s'élèvent
— 13 —
Tombent à la fois et soulèvent
Des milliers de paillettes d'or ,
Et les sables blancs du rivage ,
Et ce long soupir de la plage ,
Et ces vacillantes lueurs ,
Et ce flot d'azur qui sommeille
Sur sa couche d'algue vermeille
Comme l'insecte sur les fleurs :
Pour moi toujours la mer est belle ,
Toujours de son onde éternelle
J'admire les plaines sans fin ,
Toujours son courroux est sublime ,
Toujours cette voix de l'abîme
Me semble dire un chant divin.
Cannes. 1850.
— 44 —
LE SABBAT.
C'était l'instant où sur la terre
Tout se tait , tout est solitaire ,
La nuit pesait sur les vallons
Et l'oiseau des tristes augures
Chantait seul au fond des masures
Et l'étoile était sans rayons :
Pour le sabbat , mille fantômes ,
Les sorciers , les sylphes , les gnomes
S'assemblèrent dans un ravin ,
Aux lueurs d'une pâle flamme
Firent là leur banquet infâme ,
Et puis se prirent par la main ;
— 15 -
Et puis dans une ronde immense ,
Ils dansèrent tous en cadence ,
Enfants lugubres de la nuit ,
Et leurs têtes tourbillonnèrent ,
Et leurs cris , leurs chants résonnèrent
Jusques à l'heure de minuit ;
Puis le beffroi dans les ténèbres
Poussa douze soupirs funèbres
De la cime des vieux donjons ,
Et l'on entendit dans l'espace ,
Comme la rafale qui passe ,
Siffler , en fuyant , les démons.
Cannes, 1850.
— 16
L'EXPOSITION DE LONDRES.
Qui rendra la vie à tes bardes
Pour chanter l'éclat de ces jours
Albion ? leurs voix montagnardes
Se taisent-elles pour toujours ?
Aucun Ossian qui s'inspire
De la bruyère aux noirs rameaux
N'arrachera-t-il une lyre
A la poussière des tombeaux ?
Qu'aujourd'hui de votre génie ,
Bardes , les sauvages refrains
Eclatent pour votre patrie
Comme un torrent dans les ravins
Cliaiitcz , (le Ml iiloh'c nouvelle
Faites tous retentir ses bords :
L'univers a les yeux sur elle ,
L'univers vante ses tilforts !
Pourquoi cette foule innombrable
Ces étrangers de tous pays ?
Quel est cj concours admirable
Dont mes rec;ards sont éblouis ?
Quel est ce palais magnifique
Où l'or , l'argent et le vermeil
Se disputent tout le portique
Qui resplendit comme un soleil ?
Est-ce un caprice d'une fée
Qui l'a jeté là par hasards
Pour représenter le trophée
De sa victoire sur nos arts ?
Kon , c'est l'autel que l'Indu, trie
Dresse pour le Génie humain :
Au lieu d'encens chaque patrie
Apporte les fruits de sa main.
18
Gloire à ces luttes pacifiques
Où le sang ne se verse pas ,
Où l'art , où les Muses pudiques
Donnent l'arme pour les combats
Plus de guerre , plus de batailles ,
De cris , de triomphes sanglants ,
Plus de bronze sur les murailles ,
Plus de farouches conquérants !
Albion , tu donnes Fexemple ,
Tu cesses les divisions
Et tes murs deviennent le temple
Des chefs-d'œuvre des nations :
Sois bénie et que dans l'histoire
Ton nom ne soit plus repoussé ,
Que ce bienfait , que cette gloire
Fassent pardonner ton passé ,
Et que du roc de Sainte-Hélène
L'ombre du sublime guerrier
Ne jette plus un œil de haine
Sur ton peuple deux fois meurtrier ! !
Aix,1851.
— 19 —
NAPOLÉON III
Qu'ils étaient beaux les jours où l'Europe attentive
Des glaces de Russie à l'Hispanique rive
En sa course de feu suivait le conquérant ,
Lorsque divinisé dans de sanglantes fêtes
11 faisait incliner les plus royales têtes ,
Un pied sur chaque continent.
La France dans ces jours marchait en souveraine
Vingt peuples, à son char attelés d'une chaîne,
Dans la poudre tremblaient même de l'implorer
Et notre aigle , planant sur les débris des trônes ,
Dans ses serres tenait des restes de couronnes
Qu'elle achevait de dévorer.
On n'entendait jamais que des hymnes de gloire ;
Le héros pour lier à ses pas la Victoire ,
— 20 —
Empruiitaii au soleil lei feux de son regard ;
Qu'il dit et refoulant une fange d'esclaves
Sur les forts aussitôt bondissaient mille braves
Pour y planter notre étendard.
Aujourd'hui sur des fleurs , demain sur les murailles
Il vit d'un œil égal les festins , les batailles ;
Il fît de notre siècle un siècle de géants ;
De trophée ennemi chacun formait sa couche
Et l'enfant pour jouet n'avait qu'une cartouche
Entre ses doigts déjà puissants !
Mais c^t éclat n'est plus ; dans un brillant mirage
Le prisme du passé nous en montre l'image ,
C'est assez de conter ces belles actions :
Le monde est trop petit pour notre grande armée
Et le Temps voit encor sur l'Europe alarmée
La blessure des nations.
Depuis , de nos autels s'envola la fortune ;
Albion , parvenue au trident de Neptune ,
Sans que Paris frémît , sans qm de son tombeau
L'ombre du vieux Jean-Bart s'élançât irritée ,
Sans qu'on brandit des Francs la hache rec^outee
A craché sur notre di-apeau ;
— ^'1 —
Depuis , un noir linceul a pesé sur la France ;
Les révolutions ont vomi leur souffrance ;
Des rois ont fait de l'or le prix du déshonneur ;
Depuis , d'affreux écrits , de stupides doctrines
Ont prêché le viol , le meurtre , les rapines ,
Le mépris des lois et du cœur ;
Depuis , les passions partout se sont dressées ;
Les familles partout ont été menacées ;
Une fièvre de sang a brûlé les esprits ;
De nouveaux Jacobins , sur une immense liste ,
JMélant avec fureur libéral , royaliste ,
N'ont tiré que sur les habits ! !
Ils attendaient qu'enfin leur heure fût venue ,
L'heure de l'échafaud , et déjà dans leur vue
Nous lisions l'espoir de nous assassiner ,
Sicaires monstrueux ! c'en était fait du monde :
Famille , autel ,. patrie , en moins d'une seconde ,
Leur folie allait tout ruiner.
Cela se pouvait-il ? La sainte Providence
Devaît-elle déjà laisser tomber la France ,
L'Europe , l'avenir au gouffre du malheur ?
Non , non , un cri du peuple a tiré de ses chaînes
— 22 —
L'e.xilé qui devait après trente ans de peines
Etre un nouveau libérateur.
Tu parus et soudain cette horde meurtrière
Recula devant toi , rentra dans sa poussière ,
De même que la foudre , aux flancs creux du vallon ^
Lorsque son bruit puissant réveille les abîmes ,
Fait rentrer les vautours inassouvis de crimes
Au fond des sables de Memnon !
Et la société maintenant est tranquille ;
Des menaces de mort au sein de chaque ville
Ne viennent plus troubler l'honnête citoyen :
Si le tigre dompté gronde encor dans sa cage ,
C'est toi qui nous défends , nous rions de sa rage ,
Notre sort est tout dans le tien.
Et pour consolider l'œuvre de délivrance ,
Des partis terrassés pour briser l'existence .
Pour qu'un principe sûr ramène le bonheur ,
Pour qu'un bel horizon à nos yeux se déroule ,
Tu viens interroger les désirs de la foule
Sur ton offre d'un Empereur.
Les voix par millions te donnent leur suffrage
El l'univers entier sauvé d'un grand naufrage
— 23 —
Dans un élan commun approuve notre vœu:
Sois donc , sois empereur et de l'ardent génie
Qui de tant de rayons couronna la patrie ,
Sois pour nous le digne neveu !
Mais puisque dans tes mains le sort remet un sceptre
Comme lui ne pouvant souffrir un autre maître ,
Vas-tu faire voler les trônes en éclats ?
Héritier de son nom , l'es-tu de son délire ?
Vas-tu nous rendre encor l'ivresse de l'Empire ?
Vas-tu nous rendre les combats ?
Oh ! c'est assez ! chez nous trop de noms retentissent
Les lauriers trop nombreux , dédaignés se flétrissent ;
On voit partout les pas de notre légion ;
La France , écoutant trop son humeur vagabonde ,
La France a déchiré les entrailles du monde :
Laisse un peu dormir le lion.
Qu'une sublime paix enfin nous régénère ,
Qu'on rende moins amer le pain de la misère ,
Que les arts donnent seuls une proie aux esprits ,
Que plus instruit le peuple à ta hauteur grandisse ,
Que ta main généreuse au mérite fournisse
De l'encens , de l'or et des prix.
24
Alors tu seras grand , plus grand que dans la guerre
Alors à te bénir s'habitûra la terre ;
Une triple auréole illustrera ton front ;
Salut , gloire , bonheur , on y pourra tout lire
Et pleins d'orgueil un jour nos enfants pourront dire :
Napoléon ! Napoléon ! ! !
Aix, novcinlire 1352.
— r6 -
LE JOUR DE L'AN,
Encore un an qu'un soufïlc de la tombe
Vient d'emporter dans le séjour des morts.
Encore un an qui s'écroule et qui tombe
Malgré nos cris , nos regrets , nos efforts.
Qu'y faire , hélas ! ie vieillard aux guenilles
Frappe en aveugle et sans rémissions ,
Et de sa faulx moissonne les familles
Comme les ans , comme les nations.
Fermons les yeux , laissons passer la foule
Dormons en paix , poursuivons nos désirs ,
Et qu'à nos pieds ce torrent qui s'écoule
Gronde et jamais ne trouble nos plaisirs ;
— 26 —
Laissons mourir les siècles et les hommes ,
Sajis murmurer attendons notre tour ,
Et pour masquer le péril où nous sommes
Cueillons encore une rose en ce jour ;
Buvons encor : la coupe de la vie
S'épuise hélas ! bien vite en notre main ;
Buvons encor : nous touchons à la lie ,
Qui de nous sait si nous serons demain ?
L'année a fui dans la nuit éternelle , -
Mais oublions ce qu'elle nous a pris ,
Puisque le Temps ramène sur son aile
Cet heureux jour dont chacun est épris.
Salut , salut , Nouvel An qui commences ,
Qui viens à nous les mains pleines de fleurs ,
Toi qui promets le baume à nos souffrances ,
Le terme au rêve et la palme aux labeurs !
L'espoir fait vivre et l'espoir tu le donnes ;
Chargé de biens , tu nous descends des cieux
Sur ton front pur j'aperçois des couronnes
Dont les fleurons tombent pour les lieur.ux.
27
Dis- moi , vas- tu me donner pour étrenne
Un beau palais aux murs de marbre blanc
Et du Caucase où chaque femme est reine
Pour y régner m'amener une enfant ?
Me gardes-tu ton plus charmant sourire ?
Toi qui de Dieu répartis le trésor ,
Vas-tu pour moi détruire quelque empire
Et parsemer ma route de son or ?
Vas-tu me prendre en ta course rapide
Et m'engloutir au loin dans l'infini ?
Ou de mon cœur remplir la place vide ?
Ou dans la gloire éteindre mon ennui?
N'importe enfin ! que je vive ou je meure
De tes arrêts tu me verras content.
Au Nouvel An ouvrons notre demeure ,
Embrassons-nous , salut au Nouvel An !!
Aix, 1853.
28
LA MORT DE MA MÈRE.
Mater cara , jaces aelernse morlis in ogro
Sed gralo puerùra jieutorc vi\is adiiùcr
Seigneur, pourquoi sur cette terre
Sommes nous jetés pour souffrir ?
Sous le souffle de la misère
Pourquoi naître , vivre et mourir?
Pourquoi faut-il que les alarmes
Composent notre court destin ,
Que sans cesse d'amères larmes
Mouillent l'humble morceau de pain ?
Comme un fils de votre colère
L'homme pour gémir est-il né?
Dans les entrailles de sa mère-
L'aviez-vous déjà condamné ?
Ilelas ! chcKiue jour de la vie
Arrache une joie à son cœur
Et c'est vainement qu'il envie ,
Et cherche partout le bonheur :
Sous ta rose il trouve l'épine ,
Sous les délices les labeurs ,
Sous le monument la ruine ;
Les ris mêmes coûtent des pleurs.
Et dans cette carrière étrange
Où le plaisir a p^u de part,
Nous passons connue une phalange
Dont la mort porte l'étendard.
0 mort , ô déesse implacable ,
Sombre ministre du Très-Haut,
Dis nous : à ta loi redoutable
Qui pourrait ravir un tombeau?
Aux fleurs des festins et des danses
Tu môles l'arbi'o du malheur
El tu termines no^ soulTrances
Par une deriiière douleur !
3.
— 30 —
Qu'ils doivent être grands vos trésors d'harmonies,
Seigneur , que vos bontés doivent être infinies
Pour récompenser vos élusi
Que vous devez avoir de saintes allégresses
Pour racheter au ciel nos heures de détresses
Lorsque nous ne pécherons plus ,
Quo la mort nous aura de son aile livide
Brisés , que notre place au banquet sera vide
Parmi nos parents éplorés
Et que notre âme , admise aux régions célestes,
Verra par la piété porter ses tristes restes
Sous les portiques consacrés 1
Oh ! vous devez avoir au séjour de lumière
Une paix inconnue à notre humble poussière , -
Une mystique volupté ,
Des plaisirs réservés à vos saints , à vos anges ,
Aux vierges , aux prélats qui chantent vos louanges
Durant toute l'éternité !
— 31
Il faut bienqiie le juste en proie à tant de haines ,
Volontaire martyr qui de pieuses chaînes
Dans sa course chargea ses pas ,
Qui loin des fleurs du monde alla chercher la ronce ,
Al blasphème orgueilleux adressant pour réponse
Un cri de joie à son trépas ;
Et ce pauvre , en guenille , à la marche abattue
Qui par amour du bien n'a pas dans une rue
Volé du pain pour son enfant ;
Et la vierge oubliée au fond du noir hospice ,
Où sa pudique main soigne les fruits du vice
Par un sublime dévouement ;
Et cet infortuné croyant parce qu'il souffre ,
Alors que l'homme heureux prend la mort pour un gouffre
Sur les bords du néant ouvert :
Il faut bien que ceux-là dont la vie est amère ,
Pour lesquels les plaisirs se comptent sur la terre
Comme les ombres au désert ,
Il faut bien , ô mon Dieu , que tant de créatures ,
Vrais enfants de la foi , riches de leurs tortures ,
Puissent enfin ouvrir leur cœur,
32
Et voir rémunérer au sein de la justice
Ce courage , cette ferveur.
Sans cela , contre vous l'impie aurait des arm.s :
A cjuoi pourrait servir ce baptême de larmes
Auquel le juste est condamné ?
C'est lorsque vous aimez de votre amour immense
Que vous faites souffrir ; par votre Providence
Quiconque souffre est pardonné.
Oui , Seigneur , oui sans doute au malheur on pardonno :
Chaque peine ici-bas nous vaut une couronne
Dans votre, royaume divin ;
Devant le repentir tous les crimes s'effacent
Et jamais vos pasteurs à l'autel ne se lassent
De faire du pécheur un saint.
Et celle qui jadis sur ma couche légère
M'apprit à bégayer votre douce prière ,
Les deux mains jointes , à genoux ,
Qui dans ce monde a vu de pénibles souffrances
Transformer tous ses jours en longues pénitences ,
^!'est-elle pas auprès de vous ?
— 33 —
Celle piur qui , de pleurs cruellement r^^-mplie
Comme un sinistiv éclair s'évanouit la vie y
A qui tout distilla le fiel ,
Tout fut ennui, dégoût , amertume, misère ,
0 Seigneur , ô mon Dieu , celle qui fui ma ni>rc
Dites , n'est-ellc pas au ciel ?
Ma mère ! hélas ! j'ai vu mourir ma bonne mère I
Comme la lampe éteinte au fond du sanctuairo,
J'ai vu son œil fermé par l'éternel sommeil ;
Son front décoloré , libre de la pensée ,
Ne laissait plus de place à sa douleur passée ^
Et semblait espérer un céleste réveil ;
Sa bouche , fatiguée encore de se plaindre ,
Semblait parler des cieux qu'elle venait d'atleindre
Semblait presque sourire au bienfait de la mort ;
Sa main où le trépas mettait sa froide empreinte >
Ne pouvait plus répondre à ma douteuse étreinte :
Je pressais , j 'a pp." la s , mais inutile effort !
— :u —
Fsî-il jamais sorti quelque voix de la tombe ?
A nos pleurs , à nos cr.s , un homme qui succombe
S'est-il jamais dressé couvert de son linceul?
.lamais ! et notre mèro était inanimée ,
Dans le passé sa ti-ace allait être abîmée ,
Et pour nous , pour toujours le regret restait seul !
Le soir , lorsqu'arriva la nuit silencieuse ,
Dans la chambre déserte une lampe pieuse
Répandait près du corps une larme de feu ^
Et mes sœurs murmurant de lugubres prières ,
Tristes comme la brise aux croix des cimetières ,
Vers la sainte Sion fesaient monter leur vœu;
Et sur son lit de mort notre mère étendue ,
De longs habits tout blancs par nous-mêmes vêtue
Muette , ressemblait à l'ange du tombeau;
Et nous allâmes tous sur son visage auguste
Où rayonnaient la gloire et la beauté du juste
Rendre encore une fois les baisers du berceau
Et comme si c'était un jour de belle fête ,
Comme au temps où pour nou^ la joie était parfaite,
Comme si je devais encore l'émouvoir ,
— 35 —
Si le sourire cncor devait ouvrir sa bouche ,
Sans pleurer , m'approchant de la funèbre couche
Je pris sa pâle main et je lui dis bonsoir !
Et je ne pleurai pas et mon àmc brisée
Sous la douleur alors s'atfaissant épuisée ,
Alla chercher ailleurs des pleurs pour sanglotter
Le lendemain la terre avait fait une place ;
L'airain sacré gémit et vibra dans l'espace ;
Des fantômes voilés vinrent pour l'emporter ;
L'avide éternité réclamant sa victime ,
Bientôt tout le convoi qui s'ébranle et s'anime
Couvrit au loin le sol de ses replis de deuil ;
De mortuaires chants dans l'air se répandirent ;
Les anges radieux en chœur y répondirent .
Et de nous lentement s'éloigna le cercueil.
Tout était dit : ce fut une grâce pour elle ;
Elle soupirait tant après l'heure mortelle ,
Dans trois jours d'agonie elle avait tant souffert ,
Trois longs jours d'agonie ! et c'était impossible
D: rendre cette- fin moins lente , moins horrible
0 mon Dieu , le calice à nor cœurs fut oflert.
— 36
Tant que son œil brilla d'une lueur fatale ,
Tant qu'elle fit entendre un difficile râle ,
De notre voix tremblante elle connut le son
TA , comme si des morts distrayant sa pensée
Los souvenirs parlaient à son âme oppfessée ,
De son époux sans cesse elle redit le nom.
Oh ! bienheureux celui qui possède sa mère ,
Qui ne recherche point le temple solitaire ;
Bienheureux l'homme exempt des blessures du cœur
L'homme qui peut en vain s'asseoir sur une tombe ,
L'homme qui ne sait pas si la gaîté succombe ,
Si l'âme se flétrit au souffle du malheur !
Heureux ! ils n'ont jamais les tourments que nous eûmes;
Leur lèvre a repoussé la coupe d'amertumes ;
Ils ont planté leur tente à l'ombre du bonheur
Et , lorsqu'ils sortiront du désert de la vie ,
Si de biens , de vertus leur mémoire est suivie ,
Ils prendront leur essor , vierges de la douleur.
Et toi , ma mère , assise au banquet des prophètes
Tu vas goûter des cieux les ineffables fêtes ;
Le tenîps inaperçu va couler à tes pieds ,
Et , plaignant des humains la race criminelle ,
Tu vas glorifier dans une hymne éternelle
Celui qui fait plier les fronts les plus altiers.
Implore-le pour nous ; et de la voûte sainte
L'encens à flots épais parfumera l'enceinte
Pour rendre grâce au Dieu qui fait naître la fleur
Et toujours nous irons prier sur ta poussière ;
Et ton nom bien-aimé de ta modeste pierre
S'effacera plutôt qu'au fond de notre cœur ! ! !
Cannes. m\ 1853.
— 38
MA BRUNE.
Oh! ma brune , oh ! qu'elle est belle.
Quand son ardente prunelle
Lance un éclair pour aveu ;
Qu'elle est belle sur sa couche ;
Qu'elle est belle , quand sa bouche
Me couvre de baisers de feu !
Qu'elle est belle , quand la foule
Sous ses fenêtres s'écoule
Pour la voir, pour l'admirer;
Au bal où , loin des quadrilles ,
Les jalouses jeunes filles
îSe viennent que pour soupirer !
39 —
C'est qu'elle est belle, ma brune
Oh'! bien plus belle qu'aucune
Des déesses du sérail ;
C'est qu'en sa main si jolie
Tous les sultans de l'Asie
Laisseraient toujours l'éventail ;
C'est qu'elle est douce et fidèle ,
Vive comme la gazelle
Qu'ont vu naître les déserts;
Et lorsque l'amour l'enflamme
Elle ressemble à la lame
Qui déchire le sein des mers ;
Et je l'aime : elle est si belle ,
Lorsqu'à genoux devant elle
Je guette quelque soupir,
Qu'un baiser vaut un sourire ,
Qu'en nos transports de délire
Ses étreintes me font mourir ;
Et je l'aime : en sa présence
Notre éphémère existence
Me semble un bienfait divin ;
— 40 —
Et je l'aime et je l'adore ,
Comme l'ange de l'aurore
Qui vient soulager mon destin.
Oui , je t'aime , ô ma maîtresse ,
O l'objet de mon ivresse ,
0 la rose de mon cœur :
Je partagerai ta flamme
Toujours , toujours , car mon âme
Sur ton sein trouve le bonheur.
Can:es , 1853.
— 41 —
LE BEAU CIEL DE CANNES.
Cannes , c'est mieux que la Provence et
mieux que l'Italie.
( J.-J. Bavde , les Côtes de Provence.)
Salut , beau ciel de ma patrie ,
Salut , ineffable harmonie
De la brise au milieu des pins ,
Salut , parfums de la colline ,
Algues vertes , rochers que mine
L'écume des gouffres marins ;
Bosquets , sables d'où je m'inspire ,
Salut ! je voudrais de ma lyre
Tirer des chants dignes de vous ;
— 42 —
Mais si ma voix est impuissante
Ma Muse toute palpitante
Pour admirer est à genoux.
C'est vous qui m'avez fait poète :
Qui n'a pas senti dans sa tête
Germer mille pensers divins ,
Lorsque gronde le sombre orage ,
Ou que le mistral avec i*age
Souffle et siffle au fond des ravins?
Ou bien en parcourant la dune ,
Le soir , lorsque la pleine lune
Fait scintiller les flots ardents ,
Et que de belles Néréides
Semblent sur leurs cimes limpides
Jouer avec des diamants ?
O Cannes , sur ton sol fertile
Où l'étranger cherche un asile
Contre les frimas de l'hiver ,
Trois choses , comme un trait de flamme
De poésie emplissent l'âme :
Le soleil , le mistral , la mer !
— 43 —
Quel climat et quelle richesse î
Naples n'a pas tant de mollesse
Kice n'a pas tant de douccur ,
L'Orient pas tant de lumière ,
Les savanes tant de mystère ,
Les oasis tant de fraîcheur.
L'aloës , le palmier s'allient
Aux sapins dont les branches plient ;
Le citron donne ses saveurs ,
Et pour toi sur les eaux tran([uilles
Une fée a laissé deux îles
Comme deux corbeilles de Heurs.
Tous ces châteaux où l'or ruisselle
Cette villa qui nous rappelle
Le minaret des vieux Emirs
Sur ton éternelle verdure
Semblent former une parure
De topazes et de saphirs.
Conime de languissantes roses
Après une tempête écloses
Sous les feux de notre «oîeil ,
Que il'onfanLs qu'un mal do poitrine
Lentcnicnl vers la tombe inclitic
Ici trouvent un doux réveil !
Ici , les paysannes heureuses
Foulent plus de lleurs précieuses
Qu'ailleurs les reines; de gazons ;
I/oranger , l'olivier immense
Ombragent ici mieux leur danse
Que les grands chênes des vallons.
Les présents que Flore te laisse
Te procurent plus de richesse
Que l'Asie aux enfantas de Sem ;
Tes jasmins et tes tubéreuses
Aux sultanes voluptueuses
Feraient oublier le harem.
Il te manquait la renonmiée :
Et (juand Elbe fut désertée ,
Quand Napoléon imprima
Sur ton rivage qui s'étonne
Le premier pas vers la couronne
Napoléon te la donna.
DiiiiH hi roiiU', tic r<!\ist('ii((^ ,
0 mo»'» piiys , la l'n)vl(l.'M<'«î
T(î iii(''n.i;^<^ Ions w<'H l}ivtiU\U ;
Tour ciiclici' leurs t^lcs soiillVfinlcs
LuH Utllres |H'il|)h'S oui (les Icnirs
Kt noiiM , nous avoti^ nu i».i|;iis !
Cannij;>, 1854.
t6 ^
LE MOIS DE MARIE,
Pour ma sœur Suzanne.
Venez , enfants d'une mère chérie ,
Venez en foule offrir vos jeunes cœurs ,
Et cie ce mois réservé pour Marie
Sur son autel versez toutes les fleurs.
Pour que , du haut du céleste séjour ,
Marie , assise au milieu de ses anaes
Marie , ô Reine , ô sainte protectrice ,
A tes genoux humblement nous prions ;
Guide à travers les noirs écueils du vice
Notre nacelle , lielas ! sans avirons.
Lorsque l'orage a déchiré les voiles ,
C'est toi qui viens faire baisser les flots
Et dans les airs ton front paré d'étoiles
Rassure enfin les pauvres matelots.
Ainsi , du mal , des luttes de la vie
Rends nos elTorts victorieux ;
Pitié , Marie , et notre âme ravie
T'adressera des chants mélodieux ;
Car ta prière a pour nous plus de charmes
Que pour l'insecte un doux rayon de miel
Toi qui paieras chacune de nos larmes
Par une palme dans le ciel ,
Toi dont le nom fut joint par notre mère
Au premier baiser du berceau ,
Toi qui bien mieux que l'arbre funéraire
Cannes. 1854.
— 48
LE MISTRAL.
Quel est ce bruit ? sur ces vitrages
Quels sont ces sifflements sauvages ?
Quels sont ces discordants concerts ?
Dans les champs , dans la ville entière
Un rideau mouvant de poussière
Parfois obscurcit la lumière ;
L'àme est triste , les quais déserts.
Savez- vous pourquoi les murs tremblent?
Pourquoi les grands oliviers semblent ,
Comme au triomphe d'un rival ,
Courber leur gigantesque tête ?
Pourquoi la voix de la tempête
D'échos en échos se répète ?
■Pourquoi cela ?.... c'est le mistral ;
— 49
Le tyran de notre rivage ,
Le mistral ! Ecoutez : il rage ;
On croirait que tous les dénions
Jetant contre l'espèce humaine
Un cri de menace et de haine ,
Joignent leur formidable haleine
Pour déraciner tous les monts.
D'où vient ce voyageur sinistre ?
Serait-ce le fatal ministre
D'une fatale déité ?
Ou bien est-ce l'antique Eole
Qui reprend sa royauté folle
Et que brave sur notre môle
L'écume du flot irrité ?
Rocs , maisons , Tour , bois , faites pîace
Pour chemin il lui faut l'espace.
Voyez : pas un nuage aux cieux ;
La mer devant lui se replie ;
La vague aux vagues se relie ,
D'un boa de la Colombie
On dirait le dos sinueux ;
— 50
Les mâts du vaisseau qu'il incline
Comme l'arche qu'un fleuve mine
Craquent ; sous son souCQe puissant
La voile flotte et se déchire
Mieux que le simple cachemire
D'une jeune fille en délire
Sous les doigts fiévreux d'un amant.
Femme , va prier sur la grève ,
Remplace un cierge qui s'achève :
L'abîme est grand , le vent est fort
Le marin au loin n'a personne
Que ta prière et la Madone ;
Promets une belle couronne
Pour qu'elle l'arrache à la mort !
Plusieurs fois le soleil au monde
Ramène sa chaleur féconde ,
Et toujours rugit le mistral :
Aussi , libres de sa colère
Lorsque les pins peuvent se taire
Que de débris jonchent la terre ,
Encens offert au dieu du mal ! !
51 —
Tous ces conquérants honiicitles
Que suivaient des bandes avides
Kn ont moins semé sous leurs pieds
Souvent il brise dans la plaine
Une branche d'olives pleine
Où riroquois pourrait sans peine
Se creuser des canots entiers.
Abattis , décombres , ruines :
Il a passé sur nos collines
Comme le simoun autrefois
Sur les phalanges de Cambyse ,
Comme la nuée indécise
Sur Gomorrhe au banquet assise»
Comme la honte sur les rois !
Cannes, 1854,
— 52 —
LE BOUTE-SELLE.
A mon ami Guibert , officier au 12* d" artillerie.
Amis , voici le boute-selle ,
Écoutons ses joyeux accords ,
Alerte ! Au cœur le plus rebelle
La trompette qui nous appelle
Semble demander des transports
Vite , vite , déjà l'on sonne
A cheval ; voyez-vous là-bas
Se former l'ardente colonne?
Allons, courons au polygone
Nous façonner pour les combats.
53 —
Grand Dieu ! c'est presque une bataille !
Le bruit féroce des caissons
Se mêle au bruit de la mitraille ;
La butte , mouvante muraille ,
Tremble sous les coups de canons;
La bombe siffle dans l'espace ;
La fanfare chante un succès ;
La voix des chefs crie et menace
La poudre en nuages s'entasse ,
Son odeur enflamme à l'excès ;
La jument hennit toute fièi'e
Sous le poids des futurs guerriers :
Ses fers un jour dans la carrière
Soulèveront moins de poussière
Que de débris et de lauriers l
Amis , le mors est blanc d'écume ,
Le rappel fait serrer les rangs ,
La crx)upe de nos chevaux fume ,
C'est assez ; le chenik s'allume
Au quartier pour les vétérans.
Demain aussi le boute-selle
Redira ses joyeux accords ,
Demain au cœur le plus rebelle
La trompette qui nous appelle
Viendra demander des transports.
Toulouse, 16® d'artillerie à cheval, 1354
L'AMOUR DU POÈTE.
A Mademoiselle E. L.
Aimé de vous , aimé ! Mon Dieu puis-je le croire ?
Cet aveu n'est-il pas un mirage illusoire?
Avez- vous consulté vos battements de cœur?
Est-ce de la pitié pour un sort qui vous touche ?
Dites , dans votre bouche
Est-ce une aumône sans valeur?
Quoi ! vous m'aimez ! Ces mots sont si doux à l'oreille ,
Si doux que l'on dirait qu'à peine je m'éveille ,
Que je nais à la vie , à la joie , aux plaisirs ,
Que dans un autre azur mon destin se déroule ,
Que déjà mon pied foule
Le reste de tous mes désirs !
— 56 —
Si vous m'aimez , au ciel doit luire mon étoile ;
L'abandon et l'ennui la recouvraient d'un voile ,
Mais l'amour à présent lui donne mille éclats :
L'amour, le saint amour, c'est là tout le poète ;
Quand son âme est muette ,
Son astre aussi ne brille pas.
Il faut que le poète ici-bas chante et prie;
Il faut qu'à son chevet un ange lui sourie ;
Il faut que pour la femme il dresse des autels ,
Qu'il y fasse brûler son cœur en holocauste ,
Qu'en tremblant il accoste
L'aimable reine des mortels ;
Il faut que dans son luth il ait de l'harmonie
Pour charmer, pour bercer vos sens de mélodie ,
Pour rendre à vos désirs de nouvelles ardeurs :
D'un baiser s'il endort le soir celle qu'il aime ,
Il l'éveille de même
Quand l'aurore répand des pleurs.
Oh ! c'est que le poète est digne de la femme ;
C'est que son âme seule est la sœur de votre âme
Que Dieu nous anima tous deux du même amour ;
— 57 —
Que s'il nous fit rêveurs , pour nous il vous fit bonnes ;
Que les mêmes couroime»
X\l% cieu^ç nous attendent un jour !
Aimez-moi! voyez-vous : je serais votre esclave;
Dans les veines mon sang se changerait en lave ;
A vous tous mes soupirs , tous mes baisers brûlants ,
Le prix de mes sueurs , le prix de mes victoires ,
Tous mes rêves de gloires ,
De l'or, des roses , de l'encens ;
A vous tous mes pensers , mon travail , mes caresses ;
Je voudrais pour vous seule et titres et richesses ,
Pour vous seule , et rubans et perles et brocards ,
Afin qu'à votre abord l'homme le plus rebelle
S'écriant : qu'elle est belle !
Mendiât un de vos regards.
Je vous ferais entendre une langue divine :
Avant de l'exiler sur ce globe en ruine ,
Les anges au poète apprennent à parler ;
Et vous croiriez alors dans un ciel sans nuages
Voir de gentes images
Vous sourire et vous appeler ;
58 —
Et vous admireriez ce suave mystère ;
Et , d'un pied dédaigneux repoussant notre terre ,
Sur l'aîle des Amours , au son des harpes d'or,
Vers mille voluptés où le délire abonde ,
Oublieuse du monde ,
Avec moi vous prendriez l'essor !
Oh! si vous dites vrai , merci , soyez bénie ;
Merci de mon bonheur, de ma joie infinie ;
Merci de ces transports dont s'enivrent mes sens :
L'avenir maintenant m'apparaît plein d'ivresse ,
Devant lui je me dresse
Et je croise des bras puissants.
Tu m'aimes ! ! ! dis-moi donc , dis-moi si ta pensée
Des souvenirs du bal est encor caressée ,
Si mon nom quelquefois fait palpiter ton sein ,
Si , lorsque de ton Ut les draps jaloux s'entrouvrent
Tes blanches lèvres s'ouvrent
Pour prier Dieu sur mon destin ;
Dis-moi si tu languis ; dis-moi si dans Un songe
Mon image chérie en extase te plonge ,
Si les sylphes légers protègent ton sommeil ,
— o'J —
Si quelque bonne fee à me servir discrète
Pose sur ta toilette
Un beau bouquet pour ton réveil.
C'est que , vois tu , je doute et le doute me peine ;
N'as-tu pas imité les chants de la Sirène?
Ton aveu serait-il comme eux doux et trompeur?
Ne dois-je pas plutôt juger cette parole
Un compliment frivole ,
Un mensonge sous une fleur?
Oh ! non , mentir, mentir en étant si jolie',
Non , tu ne l'as pas fait ! Ces deux soirs dans ma vie
Sont comme l'oasis au milieu des déserts;
Tes entretiens charmants ont réjOui mon âme
Et versé le dictame
Sur tous les maux que j'ai soufferts.
Viens donc me rassurer, viens , lorsque la nature
Sous le mant:au des nuits s'assoupit et murmure
Lorsque le firmament étincelle de feux ,
Que tu vas , m'as-tu dit , errer par les prairies ,
Enfant des rêveries ,
Viens , nous deviserons tous deux !
— 60
Viens , le rossignol seul aura nos confidences ;
Les lutins amoureux nous suivront en cadences ;
Je plierai devant toi les tiges du gazon ;
Sur un tapis de fleurs que j'aurai répandues ,
Comme Mab sur les nues ,
Tu poseras ton pied mignon !
Viens une seule fois , c'est là mon plus beau rêve
Comme on écoute encor le flot loin de la grève ,
11 me semble toujours que j'écoute ta voix ;
Viens , nos cœurs goûteront un délice suprême ;
Pour me dire : je t'aime !
Viens , oh ! viens une seule fois.
Toulouse, février 1855.
«)1 —
LA GARONNE.
Coulez , flots bleus do la Garonne ,
Coulez vers de lointains séjours ;
Le rêve auqud je m'abandonne
Avec vous s'enfuit pour toujours î
D'où viens-tu , charmante rivière ?
Où commencent tes jolis bords ?
Comme le ISil , dans un mystère
Caches-tu l'urne d'où tu sors?
Maudite enfant des avalanches ,
Les elTroyables ouragans
Qui brisent l'if aux noires branches
Te conçoivent-ils dans leurs flancs ?
— 62 —
Ou sur quelque douce colline ,
Inaccessible à ces chasseurs
Dont l'isard fuit la carabine ,
T'échappes-tu du sein des fleurs ?
Tu nais où naissent les orages ;
Les aigles boivent dans ton eau
Comme une gaze , les nuages
Entourent toujours ton berceau !
Jadis , au temps de la prouesse ,
Là retentit le son d'un cor :
Dis-moi , quand la nuit est épaisse
Dis-moi , résonne-t-il encor ?
J'aime ton courant , si limpide
Loin des bruits de notre cité ,
Si blanc d'écume , si rapide
Lorsqu'il gronde d'être arrêté ;
J'aime tes deux rives coquettes
Où se mire l'azur des cieux ,
Où les saules penchent leurs têtes ,
Comme pour baiser tes flots bleux
G.i —
J'aime ta fraîcheur, ta pelouse,
Tes bosquets pleins de demi-jour,
Dont Armide serait jalouse ,
Où l'on vient deviser d'amour;
J'aime l'harmonieux silence
De tes antiques peupliers
Qui durent ombrager Clémence ,
Quand ses mains tressaient des lauriers
Dis-moi , fille des Pyrénées ,
Où sont tes Nymphes , tes S\ Ivains
Et ces victimes couronnées
Qu'on immolait aux dieux romains ?
Où sont les terribles druidesses
Qui priaient parmi les éclairs ?
Où sont les hordes vengeresses
Que vomirent les froids déserts?
Où sont les rois du Capitole?
Où sont ces gloires du passé ?
L'avenir a brisé l'idole :
Ce qui fut n'a jamais été.
Hélas ! quand j'admire ton onde,
]Won cœur a de cruels frissons ;
Elle est l'image de ce monde ,
Comme elle ici-bas nous passons.
Coulez , flots bleus de la Garonne ,
Coulez vers de lointains séjours ;
Le rêve auquel je m'abandonne
Avec vous s'enfuit pour toujours !
Toulojse, 1855.
— 05 —
LE POÈTE,
Pauvre barde , isolé dans ce désert humain
Regagne de Fingal les profondes bruyères ;
Ote la lyre de ta main
Pour la plonger dans les mystères.
Tais-toi , ne chante pas : tu ne trouveras plus ,
Comme au temps féodal , ces gontes châtelaines
Qui te jetaient leurs belles chaînes
Du haut des donjons vermoulus ;
Dans les bras d'une amante humide de caresses ,
Tu n? pourras non plus CDuronner un beau jour :
Tu n'as pour elle que l'amour ,
Elle ne veut que les ricliesses ;
2.
— 66 —
Et si de tes soupirs tu poursuis ses attraits ,
Ton front s'inclinera vers l'ombre des cyprès
Avant d'obtenir un sourire :
L'argent séduit mieux que la lyre ;
La foi n'ébranle plus les murs de Jéricho ;
Les mortels prosternés se souillent de poussière
Devant une idole grossière ;
Où veux-tu trouver un écho ?
Cesse donc de chanter ; au milieu de l'espace,
Si parfois une Muse aujourd'hui plane encor ,
De la Bourse elle a pris l'essor ,
Et la tienne est dans la disp;race.
Ne jette plus en vain des sons harmonieux :
Qu'à l'heure de la mort , dans ses bras tutéîaires ,
Un ami ferme tes paupières
Et t'ouvre la porte des cieux;
Que ses deux mains de fleurs couvrent ta pauvre tombe
Et qu'à l'heure où l'on prie à l'entour du cercueil ,
Longtemps sur son habit de deuil
Une larme de regret tombe ! L
— f)7 —
Mais , dis, que t'importe , après tout
Que l'homme soit pétri de fange ,
Que la terre soit un égout ,
Que la bure soit sous la frange?
Dans nos cités, temples des sens ,
Que t'importe , si ton cœur aime ,
Que le cœur soit un contre-sens
Et que l'amour soit un problème
Le rossignol dans le bosquet
Ne deqiande pas qu'on l'écoute ,
La rose tous les ans renaît ,
Le fleuve suit toujours sa roule,
Toujours de suaves accents
Sortent des harpes d'Eolie ,
Toujours l'autel a de l'encens ,
Toujours sous la nef l'orgue prie !
— 68 —
Chante pour toi seul , que ta voix
S'harmonise avec le zéphyre ,
Et jusqu'aux pieds du Roi des rois
Monteront les sons de ta Ivre ,
Et des deux alors entr'ouverts
Rapproché par la solitude ,
Tu croiras des divins concerts
Entendre déjà le prélude.
Quoi! tu crains de perdre tes chants
Comme une fleur perd ses arômes ;
Tu veux plaire même aux méchants ;
Tu veux les louanges des hommes;
Dans les fêtes , sur un perron ,
Tu veux te montrer à la foule ;
Tu veux voir saluer ton nom
Par chaque règne qui s'écoule ;
Tu veux qu'en berçant son enfant
La mère dise tes ballades
Et que le guerrier triomphant
Change tes hymnes en aubades ;
— 69 —
Tu veux être un des demi-dieux
Qui de siècle en siècle grandissent...
Insensé , n'aime«-tu pas mieux
Qu'au ciel les anges t'applaudissent
Non , ton cœur a besoin de battre ot de sentir ;
Non , au-dessus du ciel ton cœur place la femme ;
Les anges avec toi ne peuvent pas souffrir ,
Tandis qu'elle prend part aux douleurs de ton àme.
C'est pour elle que dans ton sein
Le Seigneur a mis l'harmonie ;
C'est pour elle qu'à ton matin
Il traça sur ton front serein
Les signes brûlants du génie
— 70
L'étoile est faite pour briller,
Le vent pour caresser la feuille ,
Le passereau pour gazouiller ,
Le feu follet pour sautiller ,
Le fruit doré pour qu'on le cueille
L'ombre des bois pour abriter ,
La mousse pour couvrir les ruines
Le flot des mers pour s'agiter ,
Le poète pour nous chanter
Ses inspirations divines !
Laisse le siècle dédaigneux
Se moquer de ta douce ivresse ;
Pour lui tu ne viens pas des cieux
Un éclair ne jette des feux
Qu'au milieu d'une nuit épaisse.
Courage : un jour tu trouveras
L'àme sympathique à ton âme ,
Qui rira lorsque tu riras ,
Pleurera quand tu pleureras ,
Ange j sylphide , fée ou femme !
— 71 —
Consacre à ses tendres amours
Les romances que tu fredonnes ,
Pour cette amante tous les jours
Prépare de gentils atours
Avec les fleurs de tes couronnes;
Vers elle vont tous les accords
Qu'elle seule pourra comprendre ,
Et pour payer tes saints efforts
Elle te garde des transports
Auxquels le ciel ne peut prétendre.
Et quand cet esprit répondra
A tout l'élan de ta pensée,
Que ton rêve s'accomplira ,
Que de tes bras elle sera
Comme d'un collier enlacée ,
Chante alors le céleste hymen
De deux cœurs créés l'un pour l'autre
Que ta bouche collée au sein
Défie ici-bas le destin
D'égaler un bonheur au vôtre ;
72 —
Chante , chante , cygne aux aboi
Jusqu'à ce que dans le délire
Ses mains emprisonnent tes doigts
Ses baisers étouffent ta voix ,
Ses caresses brisent ta Ivre ! !
Toulouse, 1855.
LA MDBT DE MA SŒUR.
Morte , ma pauvre sœur, quand de fraîches couronnes
Semblaient orner son avenir ,
Quand du haut des autels les pieuses Madones
Semblaient sourire et la bénir ,
Quand d'un époux chéri les fidèles caresses
De son passé séchaient les pleurs ,.
Et dans un horizon tout brillant d'allégresses
S'épanouissaient mille fleurs ,
Morte si promptement , au malin de la vie,
Morte, morte loin de mes yeux,
Sans qu'un dernier baiser distrait de l'agonie
M'ait fait le dernier des adieux
— 74
A peine de l'hymen la torche est allumée
Et la Mort paraît sur le seuil ,
Et la robe de noce est déjà transformée
En suaire pour le cercueil.
Affreux destin ! 0 Dieu , dis-nous pourquoi de l'homme
Le cœur se brise à tous les vents ;
Les larmes qu'il t'adresse ont-elles un arôme
Plus doux que celui de l'encens ?
Le jour où ton regard nous montra notre place
Au bout des vastes régions ,
Le monde essuya-t-il , en traversant l'espace ,
L'impure haleine des démons ?
Peut-être par pitié ta sainte Providence
Aura-t-elle voulu , Seign.ur,
A son âme épargner quelque grande souffrance
Écrite au livre du malheur?
Tu viens de la juger digne de tes phalanges :
Dès lors ni vertu , ni beauté ,
K\ jcunes-e , ni vaux , ni plaintes , ni louanges
N'ont retenu ton bras levé !
— 75 —
Par ton ordre divin , d'étoiles en étoiles
Descendue ici-bas , la nuit ,
Le corps enveloppé de mystérieux voiles,
Penchée au chevet de son lit ,
Sans doute à Marceline a parlé notre mère :
« Viens , ma fille , quitte ces lieux ,
« Du sentier parcouru secouant la poussière ,
« Si le fruit de ton sein dédaigna l'existence
u Qu'il recevait de ton amour ,
« C'est que lui seul devait te préparer d'avance
« Un nimbe au céleste séjour ;
« Viens , et je t'offrirai pour bijoux les étoiles ,
« Pour demeure l'immensité ,
« Les brumes du matin pour diaphanes voiles ,
« Les prières pour volupté;
« Viens , là-haut tu seras à l'abri des désastres ;
« Les anges te diront : ma ?œur;
Et bien loin , sou^ tes pieds t'apparaîtront les astres
« Roulant au souffle du Seigneur ;
— 76 —
« Viens , viens , au tendre époux qui pleurera ta perte
(( Nous enverrons des rêves d'or,
« Et sur la triste couche où ta place est déserte
« Tu pourras le revoir encor ! »
Et notre sœur , séduite à ces belles promesses
S'écria : j'y vais , et soudain
Elles ont pris leur vol vers les saintes ivresses,
Riant et se donnant la main !
Et nous qui l'aimions , privés de sa présence ,
Longtemps nous aurons à gémir :
Insecte , oiseau , cyprès , brise , faites silence ,
Laissez sa dépouille dormir ! !
Toulouse , juillet 1855.
— 77 —
SÉBASTOPOL
Sous le drapeau tricolore
Va réchauffer cœurs et bras
De vous j'ai besoin encore.
(de Béra>ger.)
Sébastopol est pris, gloire , gloire à nos braves !
Vainement la Russie à ses troupeaux d'esclaves
Contre nous fit tremper les armes dans le fiel ,
La ville aux murs d'airain par des géants fondée
A ces autres géants qui l'ont escaladée
Sert de marche-pied vers le ciel !
Ils ont fui : l'incendie éclairait leur retraite ,
Et pendant que la mer comme dans la tempête
A leurs vaisseaux coulés ouvrait son vaste flanc
— 78 —
Les zouaves , héros dont doutera l'histoire ,
Plantaient notre étendard si cher à la Victoire
Sur Malakotî encor fumant !
Ah ! tu croyais , ô czar , que l'Europe asservie
Dans une coupe d'or , œuvre de son génie ,
T'offrirait la sueur de vingt peuples nouveaux ,
Et certain d'opposer le nomhre à la vaillance ,
Sur la carte déjà tu calculais d'avance
Tes conquêtes par tes rivaux !!
Tu ne voudrais qu'un Dieu, qu'un empereur, qu'un pape.
Afin qu'au monde entier permettant une agape
Tu pusses pour toi seul garder tous les festins ;
Devant les rois vaincus passant la tête haute
Tu voudrais renverser du talon de la hotte
Tous les dieux Termes des chemins :
Mais la France , éveillée aux sons du boute-selle ,
La France te combat — et reine , grande et belle ,
Un pied sur ta poitrine et le front dans les cieux ,
De Jéhovah lui même empruntant le tonnerre ,
Elle te tient meurtri dans les champs de la guerre
Comme un reptile venimeux !
— 79 —
Tes noliles , 'tes boyards , stupide valetaille ,
S'honorent du mépris de la sainte canaille ,
Aussi pour les défendre , elle n a pas de cœur :
Le mot de liberté qu'ignore son oreille
Lui peut-il inspirer dévouement et merveille ?
Le knout fait toute sa valeur.
Liberté , liberté !! Jamais cette déesse ,
Jamais dans tes déserts où l'on meurt de détresse ,
Jamais ne se verra dédier des autels :
Elle veut pour vestale une humble roturière ,
Elle veut pour encens la joyeus;3 poussière
De l'écroulement des castels.
C'en était fait des arts ! Et la Prusse et l'Autriche
Ménageant à la fois le pope et le derviche ,
Attendent l'arme au bras le prix de nos efToris ;
Tant mieux ! on a montré sans elles du courage ,
Sans elles les beaux-arts sont sauvés du naufrage ,
Sans elles on a pris les forts !
Et lorsque dans les airs les clairons , les trompettes ,
Les hymnes , les tambours , les cris , les bruits de fêtes
Chantèrent la Victoire ouvrant Sébastopol ,
— 80 —
Moscou vit frissonner ses plaines reculées :
De nos pères c'étaient les ombres consolée s
Qui se remuaient sous le sol ;
Et lorsque a retenti le bronze au^ Invalides ,
Le Guerrier de l'Empire avec des yeux avides ,
Couvert d'un vieux drapeau comme d'un mantel d'or.
Vers les remparts conquis prenant un vol immense ,
Est allé contempler ces succès de la France ,
Si grands qu'ils réveillaient un mort !
0 Stamboul , libre encor , du haut de tes murailles ,
Admire ces flots purs déroulant mille écailles
Q.:e la lune le soir transforme en diamants ,
Tes jardins de palmiers , tes bois de sycomores ,
Et ton ciel sans nuage , et les palais des Mores ,
Et la mosquée au marbres blancs ;
Dors , fille des Césars , an sein de tes portiques ,
Entoure-toi de fleurs et de tapis lubriques ,
Des nuits de l'Orient goûte tous les parfums :
Notre aigle aux minarets pour toi fait sentinelle ,
Pour toi le léopard grince une dent mortelle
Contre les vautours importuns !
— 81 —
Et maintenant , du fond de ces lointains rivages
L'avenir ne peut plus nous montrer tant d'orages
L'aigle noire des czars fuira vers les glaçons ,
Et là de garde-chiourme usurpant le bv.'au rôle ,
Pour conduire des serfs et dominer le pôle
Aux serres tiendra des bâtons !
Toulouse septeniLre î8o5.
I
ÉPITRES.
Ho —
tS^ ^teaeuc ^S%(cve , ai^c-caé.
Un mois ! c'est beaucoup trop prolonger ton silence !
Je languissais beaucoup et la sainte Espérance
Du soir au lendemain seule me soutenait ,
Surtout quand , le matin , dans le dortoir venait
Le facteur de céans distribuer les lettres
Et me gratifier de ses sourires traîtres.
Les autres , radieux , s'enfuyaient sur leur lit
D'un doigt impatient décacheter le pli ,
Et moi par demi-tour évitant le cerbère
Je n'avais que l'espoir pour tromper ma colère .
Souvent peu s'en fallut qu'Umann le brigadier
Sous mes coups ne payât le retard du courrier ,
Mais je respecte trop son immense moustache ,
Ou plutôt je crains trop l'ours vengeur qu'elle cache.
86 —
Que faire ? En attendant ta missive et du pain
Je passais tout le jour à désirer demain ,
Je rêvais : je ne vis que par la rêverie ,
Que peut-on faire hélas ! dans une infirmerie ?
Enfin ! je tiens enfin le papier précieux ,
Je le relis vingt fois sans repaitre mes yeux;
Il est là , déplié , pendant que je griffonne
Ces soldatesques vers dont ton bon goût s'étonne.
Des v.rs! je suis bien sûr qua ce nouveau début
Sur ta lèvre un sourire aussitôt a couru !
Des vers ! un artilleur qui veut rimer encore ,
Lorsque tout vrai soldat n'aime que Terpsychore ,
Le petit dieu malin , compagnon de Vénus
Et le grand , l'immortel , l'invincible Bacchus !
Un artilleur qui fuit l'amusement des autres
Et sait la prosodie avant ses patenôtres !
Des vers ! ah ! pour le coup c'est la première fois
Qu'un tel fait se présente. Halte-là , tu le crois,
Hé bien ! mon cher il faut réformer tes idées :
Le régiment est plein de sauvages orphées
Qui , d'une lyre inculte ont tiré de vrais chants ,
Des airs dignes en tout des poètes puissants ,
Et j'en garde pour toi la preuve en portefeuille.
Or, ai-je dit tantôt , il est temps que je cueille
A mon tour une fleur au pied du double Mont ;
— 87 —
Ma Muse est-elle morle? Un cruel abandon
A-t-il enseveli mon luth dans la poussière?
Voyons , que je prélude; et sous ma main guerriJre
Les cordes à la fois ont frémi sans accord ,
La rime paresseuse est née avec efTort ,
Mais mon âme bientôt a repris son aisance
Et les vers maintenant coulent en abondance.
Il me semble encore être assis à mon bureau
Pour notre Conférence écrivant un morceau.
Que les temps sont changés ! Si ma verve s'éveille ,
Si je me sens encor le Raybaud de l'Abeille
Et si mon feu sacré n'est pas encore éteint ,
Hélas! c'est pour mieux voir le malheur qui m'atteint.
Oh ! que n'es-tu témoin de mes vicissitudes !
L'hiver est arrivé : je n'ai plus nos études
Pour adoucir l'ennui de ses jours nébuleux ;
Il fait froid, or ici la chaleur vient des cieux,
Et le soleil depuis une semaine entière
De grisâtres rideaux a voilé sa lumière ;
11 pleut , il pleut toujours , mon Dieu que devenir?
Gardes , conscrits , grognards s'occupent à dormir,
Et sous des draps puants évitent la froidure.
Moi , blotti sur mon lit , je rêve , je murmure
Nos scholaires refrains , je pense à ce bonheur
Dont le gai souvenir me rend de belle humeur,
Je pense à toi , je fais mille châteaux , j'arrange
Mon avenir sui\ant quelque projet étrange ;
— 88 —
Bref , je suis près de vous , je ne vis qu'avec vous.
Et l'exil est moins lourd et l'espoir est plus doux !
Au moins j'ai ce loisir dans cette infirmerie :
Que c'est triste , Bon Dieu ! quel désert 1 quelle vie !
Allons , décidément l'essai n'est pas mauvais ;
Voilà pas mal de vers qu'en galoppant je fais ;
Pour la première fois que je lâche la rêne
A ma Muse oubliée , elle en prend pour sa peine :
Je suis encor poète et je puis dignement
Pour la saint Frédéric forger un compliment.
C'est bien. A te donner, je n'avais pas grand' chose
Aussi j'ai supposé qu'en cueillant cette rose
Au Parnasse , j'aurais du prix à te l'offrir ,
Car un pareil bouquet ne peut pas se flétrir.
Pour toi seul , cher ami , seulement pour ta fête
Le soldat voudra bien redevenir poète :
Bonne fête ! A tes pieds que les cieux opportuns
Jettent de l'Orient les fleurs et les parfums ,
Qu'un vin bien généreux au banquet de famille
Plus que le feu d'hiver sur la table pétille ,
Qu'un toste sympathique implore ton patron ,
Que ta bouche chérie y mêle aussi mon nom ,
Que sur des plats fumants Cécile avec adresse
Des Maillons (*) dépouillés entasse la richesse ,
(*) Montagnes de châtaigniers^
— 8!) —
Et que ton cœur de joie et de plaisir rempli
Cesse pour uji moment de pleurer un ami !!
Je m'arrête, il est temps , ma Muse trop lancée,
D'une telle manœuvre à la fin fatiguée,
Comme un sous-verge au vent jetterait le bridon ,
Et Mars de mon excès punirait Apollon ;
Je m'arrête , ma bouche encor va rester close:
Ramenons l'avant-train et passons à la prose.
Toalouse. 1B« d'artillerie à cheval, 1854.
— 90 —
cP& •j:rt€r/rif^c ^S%uue , auoca^.
Décidément tu ne veux plus m'ecrire ,
C'est un travail pour toi trop ennuyeux ,
Ni ton esprit , ni ton cœur ne t'inspre ,
Tant pis pour moi ! pour ta sieste tant mieux 1
Je sais déjà ce que tu vas répondre :
Le cabinet absorbe mes instants ;
Mauvaise excuse et je puis te confondre
En quatre mots. J'admets que de clients
Par le chômage une foule grossie
Le jour durant assiège ton bureau ,
Mais ta liasse une fois dégrossie
Au lieu d'aller jouer au domino
Chez monsieur Franc , ne peux-tu pas écrire ?
Las ! avant moi tu places l'écarté ,
Méchant ! aussi je veux à coup? de lyre
Te corriger de cette oisiveté !
— 91 —
Que maudit soit le métier de notaire
Et sa chicane et tout son baragouin !
Pour le talent c'est un gaz délétère.
Sur ton fauteuil perché c mme un pingouin
Pérore , crie , épuise ta science
A démontrer au plus fin de l'endroit
Qu'au fils ingrat appartient sa chcNance ,
S'il ne la vend pour éluder la loi ;
Et quand sera fini ton monologue ,
Pour te prouver qu'il a fort bien compris ,
Il conclura par forme d'épilogue
Que de sa terre il veut priver son fils ,
Mais qu'il ne peut se résoudre à la vendre.
Et dire encor que pour de telles gens
Tu fis du grec dès l'âge le plus tendre !
Ah ! mon ami , qu'as-tu fait de ton temps ?
Et que fais-tu ? Tu barbouilles des actes ,
Des bordereaux , des grosses , des protêts ,
Affreux langage ! On dirait de vrais pactes
Par Lucifer lui-même tous dictés !
— Monsieur , cherchez de bonnes hypothèques.
— Monsieur , cherchez un bon bailleur de fonds.
Et toi soudain dans tes bibliothèques
De consulter les obhgations.
Voilà ta vie , infortuné notaire !
Jaunir , maigrir des soucis d'un client !
Pour moi , le Parque avec moins de salaire
Daigne filer un coton plus riant.
— 92 —
« Quoi , diras-tu , c'est ainsi que tu traites
« Ce noble état! Oses-tu mépriser
« Dossiers , extraits , minutes et requêtes ,
« Quand tu savais naguère les priser ?
ft De ton passé perdrais-tu la mémoire ?
« Avant d'entrer aux gages d'Apollon ,
« Avant d'avoir de Mars brigué la gloire ,
« >"as-tu pas dû , simple tabellion ,
« Ainsi que moi passer la vie entière
« A griffonner mille papiers timbrés
« Qu'on fait payer d'une grasse manière ?
« Contre un tel sort point tu ne te cambrais.
« Ne viens donc pas tant prôner les artistes ,
« Un malheur seul a changé tes destins ,
« Et maintenant tu railles , tu persistes
« A croire verts d'imprenables raisins. »
Tout beau , tout beau , monseigneur du notaire
Si votre e-pèce est bête , assure-t-on ,
Suis trop poli pour dire le contraire ;
Tous vos écrits valent-ils ma chanson ?
Or si je ments , le vrai touche au mensonge :
La plume est lourde à présent pour tes mains ,
La Conférence a passé comme un songe ,
Tu ne fais plus peintures ni dessins ,
On n'entend plus résonner ta musique ,
Adieu les arts , te voilà bon papa
Jusques au cou plongé dans la pratique ,
M'écriras-tu pour démentir cela ?
— !»;5 —
iMaudit métier , il éteint dans vos tètes
Ce feu sacré qui dans nos jeunes ans
Nous fait rêver avenir plein de fêtes ,
Palmes , lauriers et baisers délirants ,
Et coupes d'or et guirlandes de roses ,
Et piédestal bâti par les Amours ,
Et seins ouverts comme deux fleurs écloses ,
Et toit de marbre où finiront nos jours !
Sous son fatras . sous son grimoire infâme
Qui fait sécher l'imagination ,
Il assoupit bientôt l'ardeur de l'âme :
Or , ou ta verve est en location ,
Ou , fils déchu de la littérature ,
Tu ne sais plus rédiger de l'esprit ,
Et d'où viendrait telle déconfiture ?
De ton métier ,... métier maudit , maudit ! !
N'encours -tu pas ce terrible reproche ?
Je te préviens : tous les demi-ISewtons
Et les banquiers à la profonde poche ,
Mêlés en bloc à des tabellions ,
N'ont pu jamais entraîner la balance ,
Un grain d'esprit tenant l'autre plateau ;
Donc si dans peu tu ne rompts le silence
Je vais te joindre à ce léger trio.
Toulouse, juin i 855.
94
cPé" ^lec/euc <Sn!^uve , av-ocaé.
Voilà déjà six mois que loin du régiment
Je fais d'autres châteaux avec d'autre ciment ,
Six mois que j'ai quitté Tate-vin pour Pégase ;
Sur ce dernier j'attends qu'une meilleure phase
De mon astre éclipsé ramène la splendeur;
Je chevauche , des jours j'abrège la longueur.
Mais si je me distrais dans les champs de ma Muse ;
Si pour moi d'Hippocrène elle lâche l'écluse ,
Ai-je de l'amitié rempli tout le devoir?
Ai-je sur son autel attisé l'encensoir?
De récits , de détails à votre âme jalouse
Ai-je dit quelque chose au sujet de Toulouse ?
Ami , pardonnez-moi : mes singuliers revers
M'avaient un peu guéri de la fièvre des vers.
Rarement le chagrin pour rimer nous inspire ,
A moins qu'à l'élégie accordant notre lyre,
— 05 —
De la Nuit revêtant le funèbre manteau ,
Comme naguère Young aux marbres du tombeau
Nous n'allions mêler nos pleurs à ceux du saule ,
Ou contre le faquin dont l'orgueil nous désole ,
D'un équipage dû gagnant le marche-pied ,
Nous n'osions venger l'homme d'esprit à pied :
Vous savez, nous tenons le fouet d'Archiloque.
Hors de ces cas les pleurs nous rendent la voix rauque.
Donc je veux aujourd'hiri racheter mon oubli ,
J'invoquerai Marot et vous serez servi.
Depuis quinze ans Toulouse est mis au rang de ville
Depuis quatre cents ans un conseil imbécile
Par acclamation tous les soirs décidait
Qu'il fallait l'embellir et toujours il tardait :
Ici chaque projet un siècle s'élabore ,
On le prend , on le laisse , on le reprend encore ,
Et les neveux des fils des arrière-neveux
A peine peuvent voir ce qu'on vota pour eux.
Pourquoi de Fabius suivre ainsi la tactique ?
Pourquoi? mon cher ami , la cause en est logique ,
Le conseil n'est formé que d'avares vieillards.
Allez donc dans un ciel surchargé de brouillards
Découvrir un -rayon ! Dans une tête chauve
Toussant , crachant , prisant au fond de son alcôve ,
Après tout , ce peut être une précaution
— 96 —
Le Capitole un jour fut sauvé par des oies.
Toulouse en attendant sur les nouvelles voies
Arrive le dernier et le chemin de fer
Qu'on réprouve en criant qu'il va tout rendre cher ,
Pour extirper l'esprit routinier de ces rives
Pourra bien atteler plusieurs locomotives.
Ce qu'on voit de joli date donc de quinze ans;
Les femmes néanmoins l'y furent de tout temps.
Saint-Etienne et sa tour de briques enfumées
Où les pigeons bourgeois déposent leurs nitées
Par Botta de Ninive en cadeau fut offert ;
L'antique Saint-Sernin de châsses recouvert
Se déclare l'endroit le plus saint de la terre ; (*)
Son clocher, du quartier vaste paratonnerre.
Avec les mille anneaux qui vont en décroissant
Semble être un vieux palmier qu'effeuilla l'ouragan ;
Ecrasé , quoiqu'en dise une aveugle peuplade
Le Capitole attend sa troisième façade ,
Et pour favoriser l'écoulement de l'eau
La place qu'il décore attend un bon niveau :
Trois fois de cent paveurs la troupe réunie
Agita sur le sol la truelle et la hie ,
Trois fois l'entrepreneur jeta sa langue aux chiens
Et le maire trois fois a décuplé ses biens.
N'avoir pas su bomber quatre arêtes égales
(•) Non est in toto sanctior orbe locus.
(Inscription.)
— 97 —
En menant d'un carré les deux diagonales !
IS'ont-il-; point de Barème? Aussi certain plaisant
Nu-pieds courut un jour par la pluie et le vent
S'installer sur la place et pécher à la ligne.
Un pareil trait d'esprit du grand Voltaire digne
Prouva que son auteur n'était pas du pays ,
On le mit en prison : que firent ses amis?
Cinq ou six jours plus tard pour venger sa défaite
D'un bonnet rouge au maire ils votaient la toilette ;
Riquet , mis bien après l'intérêt communal ,
Riquet tourne le dos à son fameux canal ;
Aux lieux où par le sang notre gloire est écrite
En briques on a fait un plaisant monolithe ;
L'hôtel Cipière est beau , mais il est sans trottoir ;
L'hôtel de Lacezat ne peut s'apercevoir :
Celui qui veut à l'aise admirer ses sculptures
Doit d'un iconoclaste essuyer les murmures.
Grand Dieu, dans quelles mains ces chefs-d'œuvre sont ils!
Que vous dirai-je encor? Des contes puérils.
Irai-je vous conduire au milieu de nos rues?
Hors celle des Marchands , toutes sont biscornues :
Le maître dont le bouge y masque le soleil
De peur qu'on l'exproprie entre vite au conseil ;
Les trottoirs de Toulouse ont émigré dans Londres ;
LesCapitouls ne sont que de vieux hypocondres ,
Et le musée aux yeux des sages amateurs
Comme objet curieux offre les visiteurs ;
J'excepte cependant un bonhomme d'IIerctile ,
— 98 —
Des garçons boulangers trop farineux émule ,
Dont l'auteur pour prouver la beauté du tableau
En dernier argument fut se jeter à l'eau.
Je passe aux citoyens. Vous , moi, toute la France ,
Tout l'univers connaît leur vaine outrecuidance;
I.e paradis , l'enft r , les démons et les dieux
Mourraient bientôt d'ennui , s'ils ne s'occupaient d'eux ;
Tout est plein de leur nom et s'il faut les en croire
Les Ga-cons seulement remplissent notre histoire.
Drôles de gens ! Un d'eux un jour d'un ccup de poing
Me ditqu'il m'enverrait si loin... si loin... si loin
Qu'avant d'être tombé j'aurais été des mouches
Croqué ! Les histrions n'auraient pas dans leurs bouches
Plus vite escamoté la muscade aux gamins.
Henri Quatre à chacun donna des parchemins ,
Tous sont nobles , savants, tous pourraient à Tonlouse
Troquer contre l'écharpe une mauvaise blouse ,
Tous autant que Piron , Voltaire , Beaumarchais ,
A la presse vendraient l'esprit à bons marchés ,
Tous sont prévôts de canne et de boxe et d'escrime ,
Tous sont de leur préfet l'ami le plus intime ,
Enfin et caetera ! Je conna-s des tailleurs ,
Apostats de Cybèle habillés en seigneurs ,
Qui dans un col bien droit plaçant l'intelligence ,
Après quelque aperçu fait sur quelque science ,
Sans dout furieux de n'avoir rien compris
Derrière l'orateur lui coupent des habits
— 90 —
Je connais un butor, un barbouilleur d'enseigne,
Lâche comme \in dévot , rampant comme une teigne,
Entre tous les \antarus, vantard le plus vantard ,
Pour payer le vin blanc n'ayant pas un liard ,
Qui, baryton venu des plaines d'Arcadie ,
De ses chants , dès qu'il voit la moindre compagnie ,
Poursuit , fatigue , tue , obsède sans pitié ,
Qui , la canne à la main et le vernis au pied ,
Dimanche incognito se gUsse dans le monde
Et lundi de couleurs couvert , puant , immonde ,
A table énumérant ses trésors , ses talents ,
Avec nous mange un pain qu'il doit depuis deux ans!
Ces gens-là chez Buffon formeraient une espèce
Dont le type est la blague et la loi la confesse.
Or, pour guérir les vents dont leur vcrtcx est plein.
Dédaignant les p jisons d'un docteur assassin
Je leur prescris à tous le séjour d'Anticyre ,
Ils pourront prendre après la palette ou la lyre,
Et quand la Parque aura fde tout le colon ,
Des Illustres un jour leur illustre Sal n
Peut-être verra-t-il au fond d'un plat-à-barbe
Leur buste roide et fier comme un cheval de Tarbe.
Sur les mœurs à présent jetterai-je un regard?
Là je suis obligé de mettre un peu de fard.
Dois-je en effet lever d'une main saugrenue
Le voile qui nous cache une lorette nue ?
Dois-je vous découvrir les secrets du Gran:i-Rond
— 100 —
Nocturne , immense autel où du bal Abeillon
Accourent tous les soirs les filles demi-grises
En offrande à Vénus déposer leurs chemises ?
Parlerai-je d'un bal où les couples ardents ,
Quand la foule étrangère a déserté les bancs ,
Des mystères des Grecs suivant l'ignoble marche ,
Dansent comme David dansait au tour de l'Arche ?
De ces mères qui vont pour un lucre maudit
Elles-mêmes trousser leur fille sur un lit?
De cette opinion entièrement reçue
Qu'un amant est un meuble et que sans retenue
La grisette peut bien l'offrir à tous les yeux?
De certaine madame aux roussàtres cheveux ,
Chez qui de son moulon viennent les petits-maîtres
Flâner en prétextant un faux achat de guêtres
Ft qui pour prélever des prix exorbitants
Du royaume de Tendre a tiré ses clients ?
De ces entremetteurs d'une infâme nature
Qui fournissent sa proie à la riche luxure?
Enfin de tout le reste et d'aulre chose encor?
Non, ce qu'on fait sans honte on le fait sans effort.
Ils ont même à ce goût façonné le langage ;
En désignant la sœur, l'épouse la plus sage ,
Cinquante fois un frère , un mari vous dira :
La Victoire a fait ci , la Juhe a fait ça.
Admirable bêtise ! 0 Toulouse , Toulouse ,
Sur ton compte combien le touriste se blouse !
Chez toi si les sourmands trouvent un bon couvert
— toi —
Hélas ! le ; gens d'esprit tie trouvent ({u'uri désert ;
Les jésuites , saiiyés des (lanitnes de Gomorrlie ,
Orgueilleux dans les m irs osent régner encore ;
Tu fais bien , comble-les des dons de Syphilis
Pour quj leur amitié t'ouvre le paradis,
Tes femmes au bonnet n'ont plus de mentonnières ,
Elles pourront ôter lacets et jarreti M'es :
Ils ^ont là, toujours là pour l'absolution ,
Eux , ces négociants de la dévotion.
Mon apostrophe étonne. Un marchand de parole
Pour toi de défenseur va-t-il jouer le rôle?
De tes instituteurs , tes bas-bleus , tes pédants
Vais-je voir contre moi monter les flots grondants
Et me cracher l'écume et la bile au visage?
A leur pamphlet vengeur je rirais davantage;
De sûr, en entendant leur barbare jargon ,
Les Muses sortiraient du mystique vallon ,
Phébus de l'arc d'argent rebanderait la corde ,
Et tous sans demander d'où vient notre discorde ,
De cet aîTreux patois fuyant l'étrangeté,
Soudain sj rangeraient à mon faible côte.
0 mon ami , jamais vous n'aurez une idée
Du bizarre instrument dont se sert leur pensée.
Qu'une étude au notaire , en dépit de Lhomond ,
Donne la liberté de , pour elle, en S)n nom ,
- f02 —
Parler comme autrefois les \aches en Espagne ,
Rai, je consens l'abus ; de peur qu'il ne me gagne ,
Pour déguiser l'ennui vous parlez baragouin :
Ce que je n'entends pas ne m'offensera point.
Mais que dans une ville où la littérature
Avec la halle aux blés est sa seule parure ,
Où Clémence , la fée en admiration ,
A la plus laide rue a légué son gra nd nom ,
Oîi Germaine Cousin entre mille miracles-;,
Des flots qu'élargissait la digue du Bazacles
K'ayant pu garantir le pont mal affermi ,
En a gardé du moins l'actionnaire endormi :
Le pont Saint-Pierre hélas! était un pont sans pierre ;
Dans une ville , dis-je , où sous un dais de lierre
Quand vient le mois de mai, quand reviennent les fleurs
Far amour du sonnet ou donne à vingt rimeurs
Des soucis en Ruo-lz, des bons-points, des marottes ,
Des soucis pour prouver au moyen de litotes
Que dans les Jeux-Floraux , que dans ce Ga^Saber
On s'amuse beaucoup bien qu'on regarde en l'air;
Que dans Toulon e enfin où les arts ,. où les lettres
Sur de petits fauteuils voient tant de petits-maîtres ,
Comme à Soles jadis , des hommes de salon
Pour me parler français viennent parler gascon ,
Oh ! cela me surprend , cela me désenchante !
La faculté pour eux s'est montrée obligeante ,
Elle a voulu forger autant de bacheliers
Que le père Vcuillot a sali de papiers ,
— '03 —
Klle a voulu refaire une lettre Persanne ,
A moins qu'on leur livrant à tous une peau d'âne ,
Elle n'ait désiré rendre à chacun le sien :
L'épigramme est permise et c'est un bon moyen.
Que des ouvriers sortis de l'école d'un frère
Osent impunément écorcher la grammaire ,
Haï , le frère est payé pour être ignora ntin ;
Mais quiconque en pensum copia du latin ,
Quiconque au séminaire , au lycée , au collège ,
Feuilleta , barbouilla Virgile et le solfège ,
Ne doit-il pas quitter le jargon du pays ?
Le français n'est-il donc qu'un patois de Paris?
Et n'allez point pour ça me traiter de sophiste :
Abordez dans la rue un gueux , un journaliste ,
Un adjoint , un banquier, un revendeur de choux :
Si vous le salu.'z , il vous salue à vous ,
Il vous embrasse à vous , et le long de sa tempe
Pour un peu de sueur il dit qu'il est tout trempe.
Honteux d'en fabriquer un si grossier pain bis
Ils appellent millet l'exotique mais ,
Ils aiment mieux ce mot que non pas le mot propre;
Et même de l'erreur me rendrai-je l'apôtre
En ne point la citant? Que non , car selon l'us
Pour vous la signaler paraîtrait quelqu'un plus.
Toutes les fois et quand qu'on les traite de bêtes,
Ils savent répliquer plus que nous vous en êtes;
Enfui , parmi le peuple et les gens comme il faut ^
Après employé seul a le sens de tantôt :
— 104 —
Après je l'ai trouvée à sa femme aux arcades ,
Je ne vous ai pas vue après à la Dalbades ,
Et même à vous chercher mes yeux se sont lassés.
— Oh ! que vous êtes sot. — Hélas ! j'en suis a sez.
Etrange tés ! Ici la langue de=! Corneilles
Ferait à des Chinois boucher les deux oreilles.
Pour punir ces Ronsards , au Parnasse espérons
Qu'on bâtira bientôt des petites-maisons.
Vous paraissez surpris , vous ne pouvez comprendre
Tout ce qu'en mauvais vers je viens de vous apprendre ,
Vous riez , vous doutez que des gens en habits
Puissent faire en causant un tel salmigondis.
Dieu ! le certificat d'un an de rhétorique ,
De talent dans le monde est-il un viatique ?
Boileau n'existant plus , doit-on impunément
Placer avant Racine un stupide roman?
Parce qu'un imprimeur pour des trafics indignes
Jugera d'un article en calculant ses lignes ,
Parce qu'un Toulousain , affichant un grand air,
Préfère à cent journaux celui de Jupiter,
Parce qu'un écolier pour faire ses études
Compile feuilletons , gazettes , platitudes ,
Parce que notre langue au sein des nations
En béquille colporte un amas de haillons ,
Parce que mille auteurs ont osé sans vergogne
Se montrer plus féconds que la mère Gigogne ,
— lOo —
Faut-il , dites . faut-il qu'à cet affreux argot
Je sois inclinèrent et comme eux je sois sot?
Oh ! non , mon cher ami , les ]^lu?es dans votre âme
Ont trop du feu sacré sauvegardé la flamme ;
Le grand siècle chez vou-î espère un rejeton ;
Vous devez approuver mon indignation ,
A moins que tous les deux inspirés par Thalie ,
En quête du français nous n'allions en Russie :
Aux enfants des Boyards , dit-on , nos grands auteurs
Pour parler mieux que nous servent d'instituteurs.
Toutes les fois et quand que ma veine rimaille ,
A ces marchands de cuirs j'aime à livrer bataille ;
Ils sont bien les vrais fils du peuple Vi>igoth ;
Sur tous les voyageurs s'ils posaient l'embargo ,
Au moins l'esprit d'autrui remplirait leur enceinte ;
Dans le temple du goût si leur lampe est éteinte ,
Qu'au foyer de Paris ils prennent un rayon :
La Vestale vouée au culte d'Apollon
Là de Déranger seul habite la demeure.
Mais qu'importe , après tout , que l'idiome meure ,
Qu'ils vous aiment à vous , me détestent à moi ,
Que pour plaire au jésuite ils aient mis en émoi
Tous les quartiers bridant de cent mille bougies ,
Alors qu'avec l'argent de ces faintes orgies ,
Aux pauvres dévorés d'une implacable faim.
— 106 —
Pendant six mois entiers on eût donné du pain !
Qu'importe qu'au passif ils mettent tous les verbes ,
Qu'après moi quelqu'un plus leur apporte des herbes ,
Qu'en parlant de sa fille un père théalin
Vous dise la Fanny comme d'une catin ,
Que si nous sommes niais , plus que nous ils en soient ,
Qu'ils se disent savants et surtout qu'ils le croient ,
Et que du Capitole aux paisibles passants
Le mur inachevé semble montrer les dents ,
Qu'importe ! Malgré ça le monde est toujours monde ,
La rivière toujours de son eau vagabonde
Sans vannes , sans écluse , inondera Tounis ,
Les habitants toujours vous parleront sadis
Du vieux château sadis où comme leurs ancêtres
Sadis dans la Garonne ils pissent des fenêtres ;
Reconstruit dans mille ans leur infortuné pont ,
D'un angle pour couper les vagues en amont
Sera toujours privé : son habile archibête
A le rendre moins fort se cr, usera la tête ,
Et pour que leur sueur donne aux ouvriers du pain ,
Trente fois refaira son tra\ail peu romain ;
Moi , je serai toujours votre ami le plus tendre ,
Et comme à de bons vers vous auriez pu prétendre ,
Si vous lisez les miens avec des yeux d'Argus ,
Je vous dirai : mon cher , allez voir quelqu'un plus.
Tûuloase, 1355.
107 —
Ç.P& 7na veue=(iccu?^ ô/t^a.
De la bavarde Schérâzade
Que n'ai-je à mon gré sous la main
Le féerique gobelin ,
Ou , comme au temps de la croisade ,
Que n'ai-je du fameux Merlin
L'abracadabrante baguette ;
Que n'ai-je en guise de mazette ,
Pour chevaucher par monts , par vaux ,
Le vieux balai d'une sorcière ,
De Jupin le porte -tonnerre ,
Ou de Vénus les pigeonnaux ,
Ou la béquille que Le Sage
Avec certain diable boiteux ,
Quand Madrid éteignait ses feux ,
Employait à certain voyage ,
Ou bien un rock de Broguignac ,
— 108 -
Ou bien un litre de cognac
Qui m'enverrait dans un nuage...
Et vite je prendrais l'essor
Vers les sites de ma Provence ,
Sans qu'il fût utile , je pense ,
De me nantir d'un passeport ! !
Mais tous ces jolis véhicules ,
Comme les classiques férules ,
Sont passés de mode aujourd'hui ;
Les éclairs de l'esprit ont lui ,
Et pour faire mentir Homère
Et les légendes d'autrefois ,
La science met aux abois
La poésie et sa chimère :
La réalité mille fois
Est au-dessus de ces merveilles.
A mon service j'aurais donc
L'Etna traînant un phaëton ,
Un vapeur , moderne Triton ,
Un hydrogénique ballon ,
Trente machines sans pareille ,
Mais hélas ! mon amie , hélas !
Comme le renard sous la treille ,
Je pourrais me gratter l'oreille :
Il faut de l'argent pour du gaz.
De l'argent ! Et par modestie
J'ai fait vœu très-chrétiennement
Que les gros billons seulement
— 109 —
Dans ma bourse du régiment
Auraient le droit de bourgeoisie !
Adonc tu peux perdre l'espoir
De m'embraï^ser , de me revoir ;
A plus tard remets la partie.
Heureusement , grâc^' à Cadmus
Je puis à mon aise l'écrire ,
Et la poste , enfant de Cyrus ,
Jusqu'aux limites de l'Empire
Te portera mon papyrus :
Cette poste-là n'est pas fière ,
De gros billons font son affaire.
Ecoute donc tout mon babil
A l'égal du conte Joconde ;
Mais si je n'ai pas la faconde
DuLafontaine si gentil
Pour exciter quelque sourire
Sur ta bouche où le cœur respire ,
Tâche au moins de ne pas dormir
Mademoiselle la Fortune
Pour moi réservant sa rancune ,
Croyait me faire ici blêmir ;
Toi-même par excès de zèle
— MU —
Croyais qu'au fond d'une ruelle ,
Sans pain , sans habit , sans argent ,
J'irais sur l'angle d'une pierre ,
IMarmotant deux mots de prière ,
Reposer mon front indigent ;
Mais le bon Dieu dans la nature
A cha:un donne sa pâture ,
J'ai ma place sous le soleil :
Quand je rêvais dans la richesse ,
Mon rêve était plein de tristesse ,
Aujourd'hui voici le réveil ;
la Liberté que je possède
M'a fait traverser le Léthé ,
Et pour les soucis mon remède
C'est d'être gai , constamm.nt gai.
Ma simple chambre du troisième
Vaut un salon officiel ,
Car si j'en ouvre la persienne
J'admire de plus près le ciel ;
Je n'entends jamais comme à Cannes
Crier , tempêter , tapager ;
J'y chante sans me déranger
Des refrains sacrés ou profanes ;
Et mes cinquante francs par mois ,
Lorsque j'ai Foldé ma dépense,
Sont réduits à de tels abois
— m —
Que eans instruments de défense
J'y dois content et rassuré :
Le voleur serait le volé.
Le matin je griffonne vite
Les vers composés dans le lit ,
Puis à la maîtresse du gîte
Qui tout doucement me sourit
Je souhaite bonne journée ,
Et d'une chan.-^on fredonnée
J'accompagne encor mon départ.
Tu vois que l'homme de nectar
Peut s'emplir lui-même la coupe ,
Et que s'il a de la vertu ,
Toujours un Génie à la poupe
De son bateau qu'on croit perdu ,
Après les tourments de l'orage ,
Tôt ou lard prend le gouvernail
Pour le ramener au rivage !
Tempérance , joie et travail ,
Ces trois mots forment ma devise.
Oh ! pour papa quelle surprise
S'il soupçonnait tout mon bonheur ! !
11 verrait avec des artistes
Dont le trésor est dans le cœur
Régner toujours ma belle humeur ,
— -112 —
Pendant nos courses de touristes ;
Il verrait mon cher Rocamir ,
Armé d'une horrible palette ,
Grave , plus grave qu'un Emir ,
Suer son sang en gouttelette
Pour me façonner un portrait
Qui dans l'espoir d'une conquête
Ne me montre pas aussi laid ;
Et pour lui , contre ce chef-d'œuvre ,
Aux heures du coq matinal ,
Souvent il me verrait à l'œuvre
D'un compte-rendu de journal ;
D'autres fois il pourrait encore ,
Au milieu d'un bruyant festin ,
Les verres remplis de ce vin
Qu'un beau rayon de soleil dore ,
Ouïr ma Muse dont on implore
Quelques couplets sur le Poussin :
Le peintre est frère du poète.
Or si dans l'exil je regrette
L'absence du meilleur ami
Et d'une famille complète ,
Grâce à Dieu je retrouve ici
Plus de vingt charmantes personnes
Qui , pour moi sans doute trop bonnes ,
Plaignent mes soi-disants malheurs ,
Et qui voudraient cueillir des fleurs
Pour me composer des couronnes.
— H3 -
Ne va point ni'accuser d'oubli ,
De dureté , d'ingratitude ;
Quand mon horizon fut noirci ,
Devais-je avoir l'inquiétude
De toujours calculer un bien
Dont il ne me restait plus rien ,
De toujours pleurer la famille
D'où cette coquine de fille
Me faisait chasser comme un chien ?
C'aurait été trop de misère ;
Mais néanmoins je pens.' à toi ,
A Suzanne , à ma pauvre mère ,
A Marceline qu3 naguère
Les chants lugubrer. du convoi
Menaient au cypvèo funéraire ;
Je pense à vous tous , croyez-moi.
Je me rappelle nos collines
Où l'oranger , les aubépines ,
L'olivier menaçant les cieux ,
Le jujubier qui vient du Pinde , *
Les palmiers , l'aloës de l'Inde
Se mêlent aux ifs orageux ,
Aux sapins des sommets neigeux ;
Et toutes ces villas splendides
Que caresse le flot vermeil ,
Et Cannes et son beau soleil ,
Et nos si coquettes bastides
— 114 —
Qui ressemblent, aux flancs du mont ,
A des perles qu'un noir démon
Jette devant les Lords avides.
Et toi , te souvient-il , ma sœur ,
De rile Sainte-Marguerite
Où nous cherchions la fraîcheur
Sous les cotillons d'Amphitrite ?
De tous ces instants de plaisir ?
De ces ébats de jeune fille ,
Dont le radieux souvenir
Au fond de mon passé scintille
Comme la lune au fond des mers ?
Cette époque est un peu l'avers
De ma médaille et son revers
Depuis m'offre mainte aventure.
Il me semble encor voir Toulon ,
Ses grands vaisseaux à triple pont
A la gigantesque mâture ,
Où je fesais avec Gibouin
Mon maritime apprentissage
Pour devenir un Duguay-Truin ;
Dans un plus séduisant mirage
Je vois encor la faculté
Et son indigeste Digeste ,
— 1!o —
Et Lombard plus cruiiil que la pc^te
Et les soltiges du ( afé ,
Les bals peu masques , le Ibeàtre ,
Les punchs à la llanmie bk-uàtre ,
Les gros petits soupers à quatrv' ,
Julie et Claire et Rosaiba,
Et plusieurs autres noms en a ,
La Conférence littéraire
Où le lecteur pouvait tout faire
Excepté nous faire bâiller ;
Et la nuit sur mon oreilk r
Ces images , joyeuse ban c ..
Pour bannir l'ombre d'un cbagriu
Viennent danser la sarabande :
\^\\ songe est un prisme divin.
Mais supposes-tu que /oublie
Cette huitième batterie
Où j'ai)pris la philosophie
Mieux que chez un auteur ancien ?
L'oublier , ingrat ! Ne crains rien.
Ah ! je me rappelle fort bien
Le pain bis , le bouillon aveugle ,
Le maix'chal-logis qui beugle
Aux tPiUsses du pauvre conscrit ,
Mes gros sabots , ma gros^-e toile
Et mes Huits à la belle étoile ,
— 446 —
Le livre chinois qui décrit
La théorie et la manœuvre ,
Et , tout barbouillés de crottin ,
Mes pauvres doigts traçant une œuvre ;
Cet état que Callot eût peint ,
Maintenant surtout me fait rire.
Le canonnier Trouin dût te dire
Qu'aux cambuses soir et matin
Les bons mots étaient d'ordonnance ,
Que j'avais part à leur dépense
Et large part , que l'indulgence
Se perdait à nous écouter ,
Que , lorsque je courais licher
Sur les planches de la cantine ,
Je faisais excellente mine ,
Et que même en pansant Thomas
La gai té ne me quittait pas ,
D'où venx-ta que ça me chagrine ?
Enfin , comme tout ici-bas
Se succède , à présent pour vivre
Me voici donc teneur de livre ,
Plus tard je serai professeur ,
Plus tard.... Je n'en sais rien. Ma sœur ,
0 ma sœur , tu ne pourrais croire
Ce que c'est que rêver la gloire ,
Rêver les transports de l'amour ,
— 117 —
Rêver k-s regards d'une femme
Qui res;)IejKlissent dans voire âme
Comme \o.s feux d'un dernier jour ,
Rêver la foule qui s'empresse
Enthousiaste à votre entour ,
Rêver la volupté , l'ivresse ,
Rêver un palais , une cour ,
Rêver pour l'ange que l'on aime
Des monceaux d'or , un diadème ,
Les parfums que l'Orient sème ,
L'éventail , redoutable emblème
Dont cha(iue coup est un arrêt ,
Et pour Notre front de poète
Rêver l'auréole qu'apprête
Sa main plus blanche que le lait !!
Bienheureux l'homme dont la vie
Peut s'écouler en rêverie !
Qu'importe une déception ?
La pensée est assez féconde
Pour remplajer par mille un monde
Qu'a détruit la froide raison.
Ainsi , quand l'ombra se déroule
Dans le golfe de h Napoule ,
Que d s cimes de l'Estcrel ,
L'astre à la ii:i de sa c.irrièi'o
S'.mble Ij.nlser la lu.niJrj
— 118 —
Comme une brillante poussière
Sur les toits de ton vieux castel ,
Souvent tu guettes les nuages
Formant des maisons , des villages
Dorés par le rayon couchant :
Au moindre souffle du zéphyre
Tout cet univers se chavire ,
Mais n'en renaît-il pas autant ?
J'accepte cette destinée ,
Je ne changerais pas mon sort
Contre la pourpre couronnée ;
Ke point sentir c'est être mort.
Une voix m'a toujours dit : chante
Et je chante , et peut-être enfin
Aux sons de ma cythare aimante
Une femme sur mon chemin ,
Pour reposer ma tête errante
Daignera me prêter son sein ;
Et si le Nulgaire idolâtre
Montre au poète l'hôpital ,
Le poète brave ce mal ,
Car il voit sur un piédestal
Camoëns , Gilbert, Malfllalre !
Toulouse , 1855.
— 119 —
tpé '^y/éac/em.oc^eâe S'. J^.
Vous vous êtes mis dans la tête
De savoir comment le poète
Aime la femme ; ce désir
Est le désir d'une coquette ,
Et vous viendrez après songer à ma conquête
Quand vous en aurez le loisir.
N'importe , une Grâce commande ,
Ma Muse doit vite obéir,
Il faut que mon orgueil s'amende.
Jamais , enfant , jamais , vos songes du matin
Ne vous ont tig'uré de plus chaste destin ,
De plus tendre discours , de volupté plus pure ,
Jamais votre brune figure
Ne s'est épanouie à de plus beaux rayons.
— 120 —
Comme le lys dans les vallons
Garde la goutte de rosée ,
Notre cœur, patère sacrée ,
Garde les nobies passions ;
On juge du poète au culte de la femme ,
Etre poète , c'est aimer :
Le Seigneur a voulu former
^'ot^e essence d'amour, d'harmonie et de flamme.
Moins douce est la brise du soir,
La cloche sonnant la prière ,
L'onde murmurant sous le lierre ,
Le flot contre le rocher noir
Faisant gémir l'algue marine ,
Le passereau sur la chaumine
Saluant l'astre qui décline
Et semble lui dire : au revoir,
La dernière chanson du cygne ,
Les premiers cris du nouveau né ,
L'arrêt de grâce au condamné
Que déjà le bourreau désigne ,
Et les ballades du berger
Que l'angelus ramène au gîte ,
Et l'hymne que le pauvre ermite
Entonne sous l'humble verger,
El le bruissement du zéphyre ,
Et l'orgue saint qui nous attire
— 121 -
Sous l'ogive du monument,
Et les fanfares d'une fête
Sont bien moins douces que le cliant
Que la voix du jeune poète
Oui de vou aimer fait serment !
Aimer ! oh î que de gens profanent ce langage ,
Voient tout ce qu'il désigne à travers un nuage
Et n'ont jamais plongé leur regard dans les cieux ;
Aimer, c'est vivre ici comme vivent les anges ,
Mieux que sur les duvets, sur les plus riches franges,
C'est poser votre front sur un sein amoureux ;
Aimer, c'est respirer l'haleine d'une femme ,
C'est lire dans son œil des poèmes d'amour,
C'est mettre sur son cou des baisers pour atour,
C'est ouvrir votre cœur et dévoiler votre âme ,
C'est jeter à ses pieds rêves, gloire , bonheur,
Pour elle à l'avenir demander des couronnes ,
Choisir les plus beaux fruits des plus belles automnes ,
Du printemps le plus gai la plus suave fleur ;
Aimer, c'est n'avoir plus de désir sur la terre
Lorsque la femme aimée a comblé vos désirs,
Auprès d'elle trouver le charme , les plaisirs ,
Les consolations , l'oubli de la misère ,
C'est vivre de sa vie et mourir de sa mort ,
Dans ses petites mains faire vibrer la lyre
El , lorsque à vos côtés son cœur bat et soupire ,
— 122 —
Faire envier au ciel votre brûlant transport !
Aimer ! Un fils de l'homme aurait-il dans sa bouche
Pour exprimer l'amour des sons assez puissants ?
Au milieu des châteaux dont il orne sa couche
Le poète lui-même aurait-il des accents ?
Le cœur le plus ardent n'a qu'un mot pour langage
J'aime , et l'indifférent dans ce mot ne voit rien.
Tel , aux flancs du granit , monumentale page ,
A Thèbes , à Memphis , le prêtre égyptien
Savait peindre ou graver un symbole , une image
Dont les initiés comprenaient seuls le sens.
W ais il tl^t ces Iturcs d'ivresse ,
Il est de sublimes instants
Où le souffle d'une maîtresse
Ranime les moins éloquents.
Comme notre coupe déborde
Sous des flots de généreux vins ,
Comme au troubadour qui l'accorde
La harpe rend des sons divins ,
Dans les étreintes d'une femme ,
Heureux de sa félicité ,
Le poète exalte son âme
Avec un hymne à la beauté :
Alors les douces harmonies
Qui de ses lèvres sans détour
Montent aux sphères infinies.
Sont l'expression de l'amour.
— 123 —
Vous ne le croyez pas, et vous trouvez étrange
Qu'aimer soit le don seul du poète et de l'ange ,
Vou^ doutez , vous riez , hé bien ! soyez à moi ,
Acceptez mon offrande , acceptez nia tendresse ,
Acceptez les serments , les gages de ma foi ,
D'un t^ensible retour donnez-moi la promesse ,
Partagez , excitez ma noble émotion ,
Dites , dites , laissez sur votre sein de neige ,
Sans qu'un voile jaloux de ses plis le protège ,
Comme sur un jasmin l'avide papillon ,
Laissez-moi promener ma lèvre dévorante ,
Laissez-moi de l'hymen suivre toute la pente,
Laissez-moi dans vos bras m'èblouir, m'inspirer ,
Et du poète alors les airs , lys mélodies ,
Comme les chants du cygne au moment d'expirer ,
Comme les chants du cloître et des vierges bénks ,
Comme les chants ce gloire au triomphe d'un roi ,
Viendront enivrer vos oreilles ,
De déhces remplir nos entretiens , nos veilks ,
Vous le verrez , soyez à moi !
De NOS cheveux défaits mêlant les noires tresses ,
Enfant , sur vos genoux mes coudes appuyés ,
Dans vos regards de feu puisant des flots d'ivresses ,
Vos deux mains dans mes mains, serf et prince à vos pieds,
Après un long silence , un serrement suprême ,
En extase , en moiteur, je vous dirai : je t'aime ,
Je t'aime ! Et votre tête à la fin sur mon front ,
— 124 —
Comme le dahlia courbé par l'aquilon ,
S'inclinera pensive et , semblable aux murmures
Qui parcourent la nuit , de vos lèvres si pures
Un mot s'échappera faiblement , mot divin ,
Mot sublime, sacré , qui fait bondir le sein ,
Mot que l'on prostitue et qu'ici-bas vénère
Le poète rêveur, mot qui jette en émoi ,
El les anges au ciel , les sylphes sur la terre
Entendront seuls ce mot, ce soupir, ce mystère :
Je ne l'entendrai pas , mais vous serez à moi.
A moi ! Qui vous dira l'ivresse
Dont je puis abreuver vos sens?
Qui vous dira de mes accents
L'enthou-iasme ou la mollesse?
Quand verrai-je d'un peu d'amour
Une femme égayer ma vie ?
IS'est-ce pas encore mon tour ?
L'tspérance de jour en jour
Doit-elle aussi m'être ravie?
Vous! pour vous je voudrais cueillir les fleurs des champs,
En former un tapis de\ant votre couchette,
Appuyer dessus vos pieds blancs ;
Moi-même je voudrais, le soir, de la toilette
Dont la mode à grands frais surcharge une coquette
Détacher les satins , les précieux chilfons ;
Et puis , vous prenant demi îuie
I
— 12o —
Doucement dans mes bras tremb'ants de passions ,
Doucement vous poser sur vos mous édredons,
Comme une Naïade ingénue
Couchée au milieu des gazons ;
Et puis dans l'ombre enfin , libres de toutes craintes ,
Tous les deux enlacés , tous les deux sans contraintes,
De transport , de délire haletants , enivrés ,
Sur nos lèvres laissant de brûlantes empreintes ,
Et tomber et mourir, anéantis , brisés ,
Et retrouver toujours de nouvelles étreintes ,
Et renaître toujours sous de nouveaux baisers!!
Quel beau rêve , Dieu , quel beau rêve !
Mais hélas ! pour en venir là ,
Comme Adamastor qui se lève
Entre l'Océan et Gama ,
Le fantôme de l'impossible
Entre nous met son voile noir.
Il faut se consoler ; l'odalisque invisible
Au sérail n'a que son miroir
Pour admirateur de ses charmes ,
Ainsi , pour vous seule gardez
Vos appâts , vos trésors secrets
Qui pourraient me coûter des larmes.
Et je donnerais cependant
Contre une nuit de vos caresses
— 126 —
Tous les parfums de l'Orient,
Le trépied des vieilles prêtresses ,
Les porcelaines du Japon ,
Toutes les merveilles de Sèvres ,
Le nectar que portaient aux lèvres
Les dieux déchus de l'IIélicon ,
Tout': s les glaces de Voni-e ,
Tous les festins de S^baris ,
Et ks vases d'or de l'église ,
Et la Perse et tous f es tapis ,
Et tout le sable du Potose ,
Et sur une feuille de rose
Ces vers par une fée écrits 1
Toulouse, 1355,
STANCES.
— 120 —
kS% '^na c&uétne c5^. &t<Qccaa.
C'était l'heure où sur cette terre
L'homme d'un repos salutaire
Goûte le bienfait précieux ,
L'heure où dans tout l'espace immense
Des pieds de Jéhovah s'élance
L'hymne grandiose des cieux.
Nous partons : la rame fidèle ,
Comme dans les airs de son aîle
Se dirige au loin le condor,
Du quai Saint-Pierre nous enlève
Et sur chaque vague soulève
Une humide poussière d'or.
— 430 —
Nous fuyons : le sein d'Amphitrite
Et s'ouvre et s'abaisse et palpite
S JUS les coups de nos avirons ;
Bientôt disparaissent ri\age ,
Arbres , châteaux , obscure image
De nos gracieux environs.
Nous voguons , nous voguons encore
Lorsque dans l'orient l'Aurore
Ouvre ses portes de cristal
Et semble sur la côte entière
Mettre une frange de lumière
Comme sur un manteau roval.
Enfin notre légère barque
Touche la rive et nous débarque
A la vieille Néapolis ,
Sombre manoir, ruine antique
Où le châtelain despotique
Dort sous les donjons démolis.
Vous savez , quand nous arrivâmes
Morphée encore dans vos âmes
Distillait ses subtils pavots ;
— 13J —
Nous dûmes longtemps vous attendre
Jamais vous ne pouviez descendre :
La toilette a tant de travaux.
Vous rappelez- vous cette entrée
De tant de bravos saluée ,
Puis I armi les chants et les cris
^'otre déjeuner qui s'apprête
Et le bouquet de votre fête
Aux nombreux œillets si jolis?
Et notre départ pour le&îles ,
Vos airs aidant nos mains agiles
L'abord contre le rocher vert ,
Le bédouin dont l'œil sauvage
Loin des sables de ce rivage
Cherchait les sables du désert ?
Dites, vous souvient-il encore
Des pins séculaires que dore
Le rayon de l'astre brillant ,
Du genêt cueilli sur la plante ,
De notre gaîté si bruyante ,
De nos pieds aux rocs vacillant?
132
Du noir marabout en prière ,
A genoux sur la même pierre
Qu'autrefois le Masque de Fer,
Du cimetière poétique
Où ce pauvre enfant de l'Afrique
Se lamentait avec la mer ?
De Saint-Honorat , l'île sainte ,
Saint-Honorat et son enceinte
De ruines et de tombeaux ?
Des restes du castel antique ,
Lieux sacrés , pieuse relique
Qu'on dirait gardés par les eaux ?
Et des colonnes de porphyre
Dont la grandeur n'a pu suffire
A combattre contre les ans ;
Et du palmier de la légende
Dont le front tout courbé demande
Une foi de petits enfants ?
Dieux Pénates de ces décombres ,
Des moines les timides ombres
Habitent le mur crevassé ;
— 133 —
ISiille voix sous la voûte immense ,
Kul écho , tout dort : le silence
Est l'expression du passé.
Le soir une douce tristesse
Remplaça notre folle ivresse :
Au cloître avaient gémi les vents ,
Et nos pas avaient sous le lierre
Remué la sainte poussière
D'un ancien peuple de savants.
La nuit tombait , nous reparti mes ,
Les lames alors sur leurs cîmes
Firent craquer mâts et bateau ,
Le mistral siffla plein de rage ,
On craignit de faire naufrage :
Ce fut là l'ombre du tableau.
Joyeuse et rapide journée !
Le Temps l'a vite moissonnée ,
Plus vite encore elle nous fuit ,
Mais son souvenir dans mon âme
Sera toujours en traits de flamme
Comme un astre isolé qui luit !
Cannes
— 434 —
tPâ <LJÙac/e'.
aoremocôeite
Hier, je rêvais près du flot solitaire
Où se miraient les étoiles en feu ,
Et tout-à-coup du pied poussant la terre
Je m'élançai vers le trône de Dieu ;
Et là je vis sur les lèvres des anges
Percer la joie en sourire éternel :
Dans leur amour, au lieu de mots étranges ,
Us échangeaient un baiser fraternel.
Et je me dis : pour goûter plus de fête
Que ces esprits, ces élus du Seigneur,
Il me faudrait le temps que la tempête
Met à briser l'épi du moissonneur ;
— 135 —
Je ne veux pas la puissance et la foudre ,
Je ne veux pas les prestiges de l'or,
Ni des lauriers pleins de sang et de poudre ,
Ni le génie à l'immortel essor ;
Contre le cœur d'une tendre maîtresse
Qu'un seul moment puisse battre mon cœur,
Et de mon âme en contemplant l'ivresse ,
L'ange â son tour enviera mon bonheur !
Cannes, 1849.
— 136
cP^ ^Û a(/e<?^^i^:)iàe//6 9& .
Lorsque vers moi ton front s'incline
Comme le lys de la colline
Sons les gouttes d'or du matin,
Lorsque j'ai tes mains dans ma main
Que mes lèvres audacieuses
A tes lèvres si gracieuses
Dérobent un baiser divijn ,
Que je respire ton haleine ,
Que ta chevelure d'ébène
De ses boucles effleure à peine
Mon visage qui te sourit ,
Que sur toi mon regard se pose
Comme l'abeille sur la rose ,
Comme un passereau sur son nid ,
— 137 —
Et que nous devisons ensemble
D'un amour plus pur qu'une fleur :
O ma chère , alors il me semble
Que les seuls moments de bonheur
Sous les brocarts et sous le chaume ,
Ici-bas se comptent à l'homme
Par les battements de son cœur !
Cannes. 1850.
— t38
cPo^ ^fiOaaemacéôi
Les blanches vagues sur la grève
Venaient expirer tour à tour ,
Et leur voix qui n'a pas de trêve
En berçant mon cœur d'un doux rêve ,
M'entretenait de ton amour.
Quand le zéphyre , dans la plaine
Que dore le déclin du jour ,
Caressait les feuilles du chêne ,
Le bruit léger de son haleine
M'entretenait de ton amour.
Les chants joyeux que l'hirondelle
Modulait sur la vieille Tour
— 139 —
Où la nuit s'abrite son aile
Et les accords de Philomèle
M'entretenaient de ton amour.
L'eau qui bruissait sous la verdure
Où s'égara le troubadour ,
Chaque soupir, chaque murmure ,
Chaque souffle de la nature
M'entretenait de ton amour !
Cannes, 1850.
'140 —
cpé^ ^iâ/^tc rS^a^e.
Félix , oh ! felix qui pectore vivit amici
Tes caresses , ami > viennent sécher mes pleurs ,
Tes fraternelles mains ont jeté quelques fleurs
Parmi les ronces de ma vie ,
Oh ! merci ! Mon âme ravie
Oublie auprès de toi ses précoces douleurs.
De mon cœur mon amour déborde ;
Comme au doigt qui touche une corde
La lyre rend des sons divins ,
11 me semble à ta voix apaisant mes chagrins
Qu'ici-bas les cieux se découvrent ,
Et je crois au bonheur et mes lèvres s'entr'ouvrenl
Pour remercier les destins.
— <i1 —
Cependant l'ennui nie dévore ,
Mon cœur ne pourra plus battre long-temps encore ,
Ma nef sans avirons s'égare sur les eaux ,
Je languis, la langueur me rend la \ie amère ,
Je ne suis point t'ait pour la terre ,
Je soupire après les tombeaux.
Mais quand pour moi le glas, de ses plaintes funèbres
Comme un râle au fond des ténèbres
Fera vibrer la vieille tour ,
Au moins j'emporterai ta suave mémoire :
Si Dieu me refuse la gloire
J'aurai possédé ton amour !
Aix, 1852.
— 142 —
=Jr a '^40e7zrAa7i/e a éG7i ^nien .
Pauvre animal , toi dont le zèle
Dans l'infortune m'est fidèle ,
Viens , viens consoler mes douleurs
Viens japper , bondir d'allégresse ,
Toi que dans ces jours de détresse
Si souvent je baigne de pleurs!
Il fut un temps où j'étais reine ,
Où l'amour avait à ma chaîne
Attaché captifs tous les grands ,
Et maintenant je trouve à peine
De la pitié chez les passants.
A mes pieds j'avais un ministre
Qui prodiguait son or pour un désir léger
— 143 —
Aujourd'hui , présage sinistre !
Nous n'avons pas de quoi manger.
Mon cœur ardent battait sous des voiles de gaze ,
La soie et l'édredon protégeaient mon sommeil
Et des courtisans en extase
Venaient attendre mon réveil ,
Et maintenant sous ces guenilles
Mes vieux os s'agitent de froid :
Ce que je gâtais en vétilles
Hélas ! nous donnerait un toit.
J'avais dans mon palais de brillants équipages
Dont un baiser était le prix ,
J'avais des esclaves , des pages
Au moindre caprice soumis ,
Mon regard en colère assassinait un homme ,
Mon sourire d'un autre égayait le destin ,
Et maintenant leur fils avec mépris me nomme ,
Et maintenant, la nuit, je pose sur le chaume
Mon front ridé par le chagrin !
— 144 —
Que reste-t-il ? que vois-je autour de moi ? Misère
Ronces qui déchirent mes pas ,
Honte , remords , douleur amère ,
Et sur cette terre étrangère
Tout le malheur des Parias.
Et toi seul bientôt sur ma tombe
Où toute vanité succombe ,
Tu feras entendre des cris ;
Loin de tant. d'amis des richesses ,
Ami vrai , toujours tu t'empresses ;
Tu ne fuis pas mes cheveux gris ,
Tu n'as point réglé tes caresses
Sur le luxe de mes habits !
Cannes, 1852.
— 145 —
tS^ Ly/6ac/em(>eje/!^. ^.
Il parlar che neiranîma si sente.
(PÉTKABait.)
L'alcyon qui fuit les rivages
Confie au souffle des orages
Le soin de bercer ses amours ;
Et l'hirondelle passagère
Tous les ans joyeuse et légère
Revient chanter aux mêmes tours
L'un aux flots demande un asile ,
L'autre sur un chaume tranquille
Vient de l'hiver fuir la rigueur,
Partout on- s'aime sans mesure ,
L'amour fait vivre la nature
Et fait partout battre le cœur.
— U6 —
Et moi j'aime , et toute mon àm«
S'anéantit dans cette flamme ,
Je suis esclave de ma foi ,
J'aime , je languis , je soupire ;
J'aime , j'aime jusqu'au délire.
Et tout cet amour est pour toi.
Oh ! combien de fois ta pensée
Dans mes longs rêves s'est placée
Comme une fleur sur mon chemin ,
Que de fois ta riante image
Dans un voluptueux mirage
A semblé me tendre la main ;
Que de fois sur ton sein candide
J'ai cru coller ma lèvre avide
Et boire l'amour à longs traits ,
Et que de fois , ma toute pure ,
J'attachais à ma vie obscure
Ta destinée et tes attraits !
Mais hélas I ce plaisir s'écoule
Et nul oracle ne déroule
Les mystères de l'avenir :
— 147 —
Un mortel pourrait il nous dire
Si le destin doit nous sourire ,
Si nos astres doivent s'unir?
Le ciel toUjOurs me crie : espère
Chacun pour soutien sur la terre
K'a-t-il pas un ange avec soi?
J'espère donc , mais de ma vie
Je donnerais une partie
Pour que cet ange ce fut toi !
Cannes. 165^
— 448
cPc? icne ac^^
tce.
Le théâtre sans vous , madame ,
Devient un triste amusement;
Mais dès que vous entrez , mon âme
Contre ce dégoût d'un moment
Trouve un délicieux dictame
Dans votre sourire charmant.
Vous entrez , et les plus rebelles
De bâiller finissent soudain ,
Vous entrez, et parmi les belles
Je vous cherche une égale en vain ,
Car laissant l'ennui derrière elles
Les Grâces vous donnent la main ;
— 149 —
Plus brillant que la luciole ,
Votre œil noir attire et confond ,
Vénus envierait une épaule
Où les Ris se groupent en rond ,
Et le talent d'une auréole
Entoure votre joli front ;
Et ce que mon aveu respire
D'enthousiasme louangeur ,
Ce que pour vous chante ma lyre ,
Parfum qui retourne à sa fleur,
Mon âme heureuse me l'inspire ,
A moins que ce ne soit mon cœur î
Aix, 1853.
— 150 —
cPc' une ae?n.&€-éeue ^^oTnan^ft-aue,
Tristior in ramis !uge pliilomela dolorem
Heu! suus est misero nec mihi fidus amor!
0 mon bel ange ,
Quand je
T'aperçus pour
Le premier jour ,
Pour toi mon âme
A me
Rendre idiot
Brûla bientôt.
— Jiil
Ta gentillesse
Et ce
Regard fasci-
Nateur et si
Doux , ton épaule
Molle
Ou je puisais
Mille baisers ,
Ton sein candide ,
Dit de
Neige en blancheur
Et ta douceur ,
Gage
De nos serments
De vrais amants ,
Et tant de charmes
D'armes :
Tout contre ma
Raiion s'arma.
1o2 —
« Tout , ô Clélie ,
« Lie ,
a Dis-je en émoi ,
« Mon sort à toi. »
Notre existence
En ce
Moment coulait
Comme du lait.
Mais dans la tombe
Tombe
Tout , depuis lors
Tes feux sont morts.
Et moi je t'arme ,
Même
Quand la froideur
Est dans ton cœur :
Je te souhaite
Fête,
Santé , vin , gant ,
Bal , robe , argent
— 153 —
Que chacun t'aime ,
Sème
Tes pas de fleurs
Loin de mes pleurs
Que l'on t'adore
Au re-
coin d'un sérail
D'or et d'émail ,
Comme à la Mecque
Et que
Un beau muphti
Te die Houri î
Aix, 1853.
— 1d4 —
(L.4'{!^o'}i<iceu?^ c
Voici le jour de votre fête :
Le plus harmonieux caquet
Pour vous la souhaiter parfaite
Dirait bien moins que ce bouquet.
Nous vous l'ofifrons , mais à l'oreille
Nous vous rappelons qu'un gourmet
Trouve dans le jus de la treille
Un autre genre de bouquet ;
Vos caveaux remplis de mystère
Le sont aussi de vin sablé »
C'est pourquoi nous voudrions faire
Un simple échange de bouquet.
Ail, 1854.
— 155 —
(lP& ^na ôœar- <iyf'balce/c7ze.
L'hymen en tressant sa couronne
De notre sœur pare le front ;
Ce soir le Champagne bouillonne
Les verres circulent en rond ;
La joie est ?ur tous les visages ;
L'Amour qui préside au festin
Pour égaliser tous les âges
Met la jeunesse dans le vin.
Pourtant une douleur secrète
De nos cœurs comprime l'élan ,
Hélas ! noire mère à la .fête
Ne peut pas béuir son enfant.
— I.jG —
Mais ne va point , triste et timide
Croire un augure malheureux ,
Au banquet si sa place est vide ,
Elle te contemple des cieux ;
Et puisque Olivier «e dispose
A t'orner de lieurs l'avenir.
C'est que tes larmes vont Unir :
Sous le cyprès naîtra la rose.
Cannes, avril 1854.
— i;i7
rS^h <iJé)cu/c?nocôeÛ"e ^\ ^,
Le vent qui lail de riianiionle
Aux crevasses d'un vieux manoir,
Les noies de l'Iiynitie hénicî
Qu'on nujrrnure à l'auUîl , le soir,
La voix des animes en piirie ,
Des Mois (|ui eouient se briser
Valent-ils le doux l)ruit , ma chère
D'un seul baiser ?
Sous le verl ^a/on de; la plaine
Suivi(î les ondes du ruisseau ,
Du bocage sentir l'haleine ,
Guôler les amours de l'oi^-eau ,
Des nuits rechercher le mystère
Où l'âme vient poétiser
Je préfère à cela , ma chère ,
Un seul baiser.
Partout l'homme inquiet s'agite ,
Brûlé de la soif du bonheur ,
Sans que gloire , trésors , mérite
Puissent jamais remplir son cœur :
Eh bien ! ce rèvs de la terre ,
Moi pour le voir réahser
Je ne voudrais de vous , ma chère ,
Qu'un seul baiser !
Toulouse, 185-
— 150 —
cPé ^Ha ^eue=ôccu/^ Ou^cc,
Quoi ! ta fille est déjà ravie à tes caresses !
Tu n'as plus ces baisers qui payaient ta douleur I
Autour d'un berceau vide à présent tu t'empresses
Pour te rappeler ton bonheur !
Sans doute c'est bien peu : le Seigneur dans sa grâce
A ton rêve exaucé n'a donné qu'un moment ;
Comme l'étoile d'or qui file dans l'espace ,
Elle est passée..., en t'embrassant !
Mais, tu lésais, souvent dans nos destins étranges,
L'amertump est au fond de la coupe de miel ;
Cache df;nc sans regret ses inutiles langes ,
Ne pleure plus : si Dieu l'a rappelée au ciel ,
C'est qu'il doit lui manquer des anges !!
Toulouse , 1855.
— 160 —
çpfe '^/la couôi^72e ^S%. c/c^hfauc/.
Un compliment pour votre fête
Ne sera pas un long écrit ,
Je n'y voudrais qu'un peu d'esprit
Mais vous seule avez la recette.
Si j'étais Satyre ou Sylvain ,
J'emprunterais sa robe à Flore
Et je parerais votre sein
Des atours brillants de l'Aurore
J'irais , si j'étais enchanteur ,
Voler à Vénus sa ceinture ,
Si j'étais prince , sans murmure
— 161 —
Je suis bien laid comme un Satyre ,
Mai^ je n'ai guère le talent
Des vieux enchanteurs , et partant
Que vous offrirai-je ? Ma lyre»
Oui , ma lyre , et j'ai bon espoir
Pour ces vers que ma Muse emporte ,
En souriant sur votre porte
Les Grâces vont les recevoir.
Ce que m'a dicté la tendresse
Serait-il jugé sans pitié ,
Quand du temple de l'Amitié
Je chante l'aimable prêtresse ?
A vous mille vœux de bonheur ,
Mille souhaits de bonne fête ,
Vous qui seriez à notre tête',
Si l'on commandait par le cœur !
A vous un avenir d'ivresses :
Il sera long si vos enfants
Au Seigneur demandent le temps
De rendre toutes vos caresses I
— 162 —
Pour vous que les sylphes rôdeurs
Dans la plus riche porcelaine
Rangent les plus suaves fleurs
Dont vous serez toujours la reine !
A vous une félicité
Qui soit ici-bas sans mélanges :
On a droit au plaisir des anges
Quand on les égale en bonté !
Toulouse , 1855.
— 163 —
(lP^
ae'^iGiàeite
Quand les vagues comme des pleurs
Baignent les sables du rivage,
Devant la beauté de la plage
La foule heureuse des rameurs
Oublie entièrement l'orage ;
En fuyant le monde importun
Dans les sentiers d'une ravine ,
Souvent pour cueillir l'églantine
On se pique , mais son parfum
Fait bien vite oublier l'épine ;
Du printemps par mille chansons
Les passereaux sur la toiture
— IG4 —
Chantent la naissante verdure :
IS'ont-ils pas aux premiers rayons
Oublié la triste froidure ?
Vous dont l'amour si vrai , si doux ,
Avec les roses qu'il y sème
M'a rendu cher l'exil lui-même ,
Oubliez mes soupçons jaloux
En voyant combien je vous aime I
Toulouse, 18S5.
i
— 165
^Sé) ^^(car/e^nofé€//e t^. ^.
Hier dans ma chambre où la Fortune
JN'a pas besoin de gros verroux ,
Aux pâles clartés de la lune
Je pensais à vous , ô ma brune ,
3Ia brune , je pensais à vous;
Et sur un rayon de lumière
Une fée arrivant des cieux
Surprit ma Muse roturière :
Ses petits pieds comme poussière
Laissaient des rubis précieux ;
Et la fée ôtant sa couronne
La mit en riant sur mon front :
G Prends , dit-elle , je te la c'onne ,
— 166 —
« Pour l'amante fidèle et bonne ,
« Elle a dans chaque fleur un don.
u Une fleur sera la richesse ,
0 Une fleur sera la beauté ,
« Une autre sera la jeunesse ,
« Une autre , la gloire et l'ivresse ,
« Une autre eufin , la volupté !
« Mais pour que la fleur merveilleuse
« Ainsi se transforme à l'instant ,
« 11 faut que , (le t'a voir heureuse
« L'amante la plus gracieuse
« Te jure amour et de\ouement ! »
La belle foc alors m'embrasse ,
Et puis sur l'aile dus zéphyrs
Elle ouvre son vol dont la trace
A travers les champs de l'espace
Forme une ligne de saphirs.
Et cette couronne divine
Aux fleurons toujours embaumés ,
Aux roses toujours sans épine ,
Elle est pour vous', ma Joséphine ,
Elle est pour vous si vous m'aimez!!
Toulouse , septembre 18b>.
1G7 —
-S^ ^/6ac/a^?ie c^
3Ies vœux vous paraissent étranges ,
Mes désirs vous paraissent fous ,
Comme un refrain de billet doux
Vous considérez mes louanges :
Je suis trop vieille , dites-vous.
Vieille ! Qui le croira? Personne.
Et vous m'en voudrez bien longtemps
Si jamais au mot je vous prends ,
Et si j'ose aux fruits de l'automne
Préférer les fleurs du printemps.
Les Ris entourent votre tête.
Votre guimpe cache un trésor,
Les Grâces font votre toilette :
— 468 —
Vous n'êtes donc pas vieille encor
Puisqu'encor vous êtes coquette.
D'ailleurs ce que la bouche dit
Prouvez-vous que le cœur le veuille ?
Une vieille de votre esprit
Sait qu'une femme qui vieillit
Est une rose qu'on effeuille !
Toulouse, 1853.
169
iy/6ac/a
ccme
Pardonnez-moi , je ne sais plus
Dans un embarras fort étrange
Comment rimer une louange ,
Vous êtes sans doute au-dessus.
Irai-je chanter d'une mère
Les ten Cesses et la douceur ?
Mais l'éloge de votre cœur
Votre en'ant seul pourrait le faire.
0
Dirai-je que toujours je vois
Les trois Grâces à votre suit© 7
Mais à ma discordante voix
Elles prendraient toutes la fuite.
470
Vanterai-je au monde étonné
Vos chefs-d'œuvre de broderie ?
Mais je craindrais pour une amie
Les infortunes d'Arachné.
De votre luth plein d'harmonie
Je répéterais bien les airs ,
Mais une juste jalousie
M'empêche de citer vos vers.
Je dois donc garder le silence :
Quand la simple et franche Amitié
Avec des compliments s'avance ,
Aux Amours elle fait pitié.
Toulouse, 18bî>.
— 471 —
cP& ^non a'^tc &i&ca9?ît/^ de ta ^oue ,
Restaurateur des Tableaux du Musa'e de Toulouse.
Dieu ! yotre toile est animée ,
Quel coloris et quels contours !
Vous renouvelez de nos jours
Le miracle de Frométhée.
Sans doute pour joindre si bien
La force à la touche moëlkuse ,
Vous trempez le pinceau de Greuse
iSur les couleurs du Titien.
— m —
ia comparaison est gent lie .
e m'inspire d'après vos goûts :
Apollon , Titien et vous
K'est-ce pas la même famille ?
Je voudrais bien en votre honneur
Rimer un chant d'apologie ,
Mais les fleurs de la poésie
Valent-elles l'élan du cœur ?
Votre palette , à la muraille
Où le cadre me sert d'autel ,
Dès ce jour m'a fait immortel :
Elle m'a fait à votre taille.
Cependant l'excès est un mal";
Quand je ne voulais qu'un Sosie
Vous avez trop mis la copie
Au-des.'Us de l'original.
3Iais d'une telle enjolivure
Je vous accuse injustement ;
Voyez , mon petit doigt m'apprend
Que votre œuvre est une imposture.
473 —
Soyez sincère , ce portrait
N'est pas de vous : dans la nuit sombre,
D'un grand artiste la grande ombre
L'a peint sur votre chevalet ;
Et pour qu'une gloire sublime
Là vous paraisse en pronostic ,
Rocamir est un pseudonyme
Qu'à dessein a choisi Van-Dic
Toalouse, 1855.
<sé <yfhcc/ame ^
oca9Jii/^
ae /a tJ&Me>
Je ne puis vous rendre un hommage
A votre mérite ex œquo.
Tout l'esprit d'Eugène Guinot
Ne le pourrait pas davantage.
Avec quel art vous restaurez !
Quelle touche légère et nette !
Est-ce un ange aux cheveux dorés
Qui vous tient pinceaux et palette ?
Comme un brin de lilas fané
Donne encore du miel aux abeilles j
Vous recomposez des merveilles
Avec les cendres du passé ;
Et loi'sque une vieille figure
Vous redoit l'éclat de ses yeux ,
L'auteur même de la peinture
A coup sûr ne ferait pas mieux.
De Coypel vous suivez les traces ,
Mais vous avez bien plus d'honneurs
Les Muses vous broient les couleurs
Que vous octroyèrent les Grâces.
Néanmoins chez vous le talent
IS'empêche pas la bonne mère :
Votre éloge le plus sincère
Sort des lèvres de votre enfant ;
Aussi , si les dieux de la Grèce
Pouvaient ressusciter encor,
Appollon dans un temple d'or
Vous choisirait pour sa prétresse.
.Parmi les fleurs qui sous vos pieds
Vous rendent la route si belle ,
Quend Rocamir prend les lauriers ,
Votre main cueille l'immortelle!
Toulouse M 855.
— 176
cPé? /'S^^ùanc/e/i^.
La Garonne , ô fille des airs ,
Pour toi n'a que des flots profanes;
Voici la saison des hivers ,
Allons , de l'espace où tu planes ,
Au loin cherche des champs plus vevts ,
Cherche , n'aperçois-tu pas Cannes?
Vole , vole , où la brise aura
Plus de fraîcheur, plus d'harmonie ,
Où le plus beau ciel brillera ,
Où de la plus belle prairie
Le plus doux parfum montera ,
Arrête , c'est là ma patrie !
Oh ! que ne puis-je comme toi ,
Y fuir, 6 charmante hironf^elie ,
— 117 —
Que n'y puis-je sous mon vieux toit
Préparer un gîte à ton aile !
Mais hélas ! dans l'exil sur moi
Le sort pose une main cruelle.
Va , raconte a tous mes amis
Combien pour eux mon cœur soupire;
Dis-leur que le mot de pays
Fera toujours vibrer ma lyre ,
Dis-leur d'accueillir ces écrits
Par un bravo , par un sourire ;
Va , va revoir le sable blanc ,
Les pins , les rochers , l'onde amère ,
Va saluer chaque parent ,
Et sur le tombeau de ma mère
Où la croix fait gémir le vent ,
Pour moi murmure une prière ! !
Toulouse, ccloLre 1355.
TABLE DES MATIÈRES.
ODES.
Ma Pipe.
9
La Côte.
11
Le Sabbat.
14
L'Exposition de Londres.
16
Napoléon III.
19
Le Jour de l'an.
23
La Mort de ma Mère.
28
Ma Brune.
38
Le Beau Ciel de Cannes.
41
Le mois de Marie.
46
Le Mistral.
48
Le Boute-Selle.
S2
L'Amour du Poète.
55
La Garonne.
61
Le Poète.
65
La Mort de ma Sœur.
73
Sébastopol.
77
TABLE DES MATIERES.
EPITRES.
A Frédéric Aube , avocat.
83, 90, 91
A ma belle-sœur Eliza.
107
A Mademoiselle J. L.
119
STANXES.
A ma cousine A. Rigaud.
129
A Mademoiselle X. 15i , 156
. 158, 145
A Frédéric Aube
140
La Mendiante à son chien.
142
A une Actrice.
148
A une demoiselle romantique.
150
A Monsieur M.
154
A ma sœur Marceline.
155
A Mademoiselle L. G.
157
A ma belle-sœur Eliza.
159
A ma cousine A. Rigaud.
160
A MaJernoiselle H. G.
163
A Mademoiselle J. L.
165
A Madame T.
167
A Madame D.
169
A mon ami Rocamir delà T,:!T'^
171
A Madame Rocamir de la Tuirr.
171
A l'Hirondelle.
176
Toul<Mi^f> , TvpogT. V, Sen» et P. Savy
rue Saint-Rome , 4,
I
e^^Si^y
PQ Négrin, Emile
2376 La folle du lac d'Go
N33^
PLEASE DO NOT REMOVE
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